Live Japon : la crise lamine les technologies

Karyn Poupée
Publié le 25 octobre 2008 à 00h06
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Souvenez-vous, il n'y a pas si longtemps, au mois de mai précisément, l'auteur de ces lignes était tout heureuse de vous expliquer ici comment Sony avait retrouvé des couleurs et s'attendait à un avenir radieux, tant sur le plan des innovations que des finances. Le PDG du groupe promettait même aux actionnaires patients des dividendes croissants. Patatras. Le géant de l'électronique japonais a été contraint jeudi de sabrer sans ménagement ses prévisions de résultats financiers pour l'année en cours, victime innocente de la déconfiture économique mondiale et de son cortège de conséquences malheureuses, à commencer par la hausse soudaine du yen devenu une monnaie refuge face au dollar et à l'euro.

Sony, qui avait abaissé une première fois ses prétentions en juillet, voyant déjà la crise restreindre ses marges, ne table désormais plus que sur un bénéfice net annuel de 150 milliards de yens (1,30 milliard d'euros au cours actuel), inférieur de plus de moitié à celui encaissé l'an passé. « La conjoncture économique s'est brutalement dégradée et notre situation financière est en-deçà de nos estimations de juillet en raison notamment de la forte appréciation du yen », a expliqué le directeur financier du groupe, Nobuyuki Oneda, lors d'une conférence de presse convoquée dans l'urgence.

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La brusque et forte hausse de la monnaie japonaise produit des effets désastreux sur les hypothèses de recettes tirées des téléviseurs, des appareils photo numériques, des caméscopes et autres équipements électroniques distribués à l'échelle mondiale. C'est simple: si Sony prévoit qu'un produit qu'il vend 200 euros en Europe va lui rapporter 33.000 yens sur la base d'un taux de change à 165 yens pour un euro, ce même article proposé au même tarif en euros ne rapporte plus que 25.000 yens lorsque la monnaie européenne chute à 125 yens. Idem sur le marché américain quand le yen s'élève vis-à-vis du dollar. Voilà exactement ce qui s'est produit en l'espace de quelques semaines et que nul n'avait anticipé. Multipliez ce cas par des millions de produits, et, à l'arrivée, le différentiel se chiffre en milliards d'euros ou dollars donc en centaines de milliards de yens.

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Sony, qui pariait toujours en juillet sur des taux de change de 105 yens pour un dollar et 160 yens pour un euro, cours presque aussi favorables qu'en 2007, s'expose à de nouveaux déboires si d'aventure ses estimations actuelles pour les six mois à venir (100 yens pour un dollar et 140 yens pour un euro) s'avèrent encore trop optimistes. Le billet vert s'échangeait en effet vendredi sous les 95 yens et la devise européenne aux alentours de 115 yens. Bref, si les valeurs monétaires restent à ces niveaux alarmants pendant plusieurs semaines ou mois, Sony va encore devoir prévenir ses actionnaires que les bénéfices ne seront pas à la hauteur des attentes. Et si, pour compenser les effets de change et préserver ses marges, il augmente ses prix en euros et dollars hors du Japon, ses produits ne seront plus compétitifs et les clients les dédaigneront au profit de ceux, moins onéreux, de concurrents sud-coréens, européens, chinois ou autres.

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D'autant que, deuxième conséquence de la crise, se profile une baisse de la demande de produits électroniques, principalement aux Etats-Unis et en Europe. « Nous pensons désormais que nous écoulerons 16 millions de téléviseurs cette année, alors que nous ciblions 17 millions précédemment », a précisé M. Oneda. Du coup, cette activité majeure et emblématique, qui devait redevenir rentable cette année, risque de terminer l'exercice budgétaire une fois de plus dans le rouge. Même chose pour celle des jeux vidéo, affectée par les taux de change, bien que les ventes de consoles et divertissements numériques associés se portent plutôt bien en nombre d'unités. « Le retour aux profits d'exploitation (dans ces deux domaines) apparaît désormais difficile », a reconnu le patron des finances du groupe. Sony est en effet entraîné dans une guerre des prix face à ses concurrents du secteur des TV et autres produits grand public. Voilà qui accentue encore la difficulté de pronostiquer et garantir des profits.

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Bilan, le fleuron de l'électronique nippon n'escompte désormais plus qu'un chiffre d'affaires annuel de 9.000 milliards de yens (78 milliards d'euros au cours actuel) contre 9.200 milliards auparavant attendus. Cela reste encore supérieur à l'an passé (8.871 milliards), mais l'horizon n'en est pas moins assombri puisque les profits ne suivront pas. Ce retournement conjoncturel est d'autant plus attristant que Sony venait tout juste de renouer globalement avec la forte rentabilité en 2007 et de redonner ainsi le moral tant à ses salariés qu'à ses actionnaires. Pis, il pense à présent que la situation économique ne va pas se redresser en quelques semaines.
Cette noire prédiction semble largement partagée. La preuve, la Bourse de Tokyo s'est encore effondrée vendredi, Sony ayant entraîné tout le secteur majeur de l'électronique dans sa vertigineuse dégringolade.

L'indice de référence de la place tokyoïte, le Nikkei 225, a plongé de 9,60% vendredi, au terme d'une mémorable journée cauchemardesque, la quatrième du mois après celles entrées dans les annales des 8, 10 et 16 octobre (respectivement -9,4%, -9,6% et -11,41%). Redoutant un déluge de révisions à la baisse des objectifs de profits des firmes exportatrices nippones, les investisseurs à la Bourse de Tokyo se sont débarrassés de leurs actions.

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Le choc de très mauvais augure créé par Sony en divisant ses simulations financières a non seulement fait dévisser de 14,07% le prix de son action, mais il a aussi enfoncé tout le secteur des technologies, n'épargnant aucun des poids-lourds nippons de l'électronique que sont Panasonic, Canon, Sharp, Nikon ou Pioneer. D'habitude moins sanctionné, le numéro un japonais des consoles de jeu vidéo, Nintendo, a aussi été pris dans la nasse. C'est que les investisseurs des sociétés japonaises craignent aussi que la prudence des consommateurs occidentaux et nippons, couplée à la difficulté d'obtenir des crédits, se traduise par une offre supérieure à la demande, donc des stocks excédentaires aboutissant à des surcapacités de production.

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Cette effrayante appréhension est pour l'heure jugée infondée par le Premier ministre nippon, Taro Aso, lequel a affirmé vendredi depuis Pékin que « l'économie japonaise n'est pas en mauvais état », mais qu'elle subit durement l'impact de mouvements extrêmes des valeurs et des monnaies. L'homme n'a pas tort au demeurant. De nombreuses entreprises japonaises, à commencer par Sony, se sont profondément restructurées et assainies au début de cette décennie, se remettant de l'éclatement des bulles immobilière, financière et technologique ainsi que des effets des attentats du 11 septembre aux Etats-Unis, terrible enfilade d'événements endurés entre 1991 et 2001. La situation actuelle des sociétés nippones (y compris celle des banques) n'est donc pas en elle-même calamiteuse. Toutefois, les choses pourraient se dégrader rapidement si la clientèle se raréfie partout, sauf à ce que chaque firme s'adapte en douceur à cette nouvelle donne, ce qui n'est pas impossible mais exige de s'y prendre suffisamment tôt afin de ne pas répéter les erreurs du passé.

Le net recul des prix des matières premières et des hydrocarbures peut les aider à diminuer leurs frais, de même que des gains de productivité par l'innovation, des baisses d'impôts et la contraction des dépenses administratives. « Nous devons nous préparer à des temps difficiles », a toutefois averti le patron des finances de Sony. Et le même de préciser que le groupe envisage un « plan d'action » pour « réduire les coûts », en revoyant par exemple les projets d'investissement. Le but en sera de restaurer au moins partiellement des marges qui ont fondu à cause d'événements extérieurs soudains, imprévus qui ont ruiné en un rien de temps les efforts entrepris depuis des années au prix d'une restructuration dans la douleur. « Il n'est pas encore possible de préciser la nature et l'ampleur des décisions que nous allons prendre, mais devons mettre en oeuvre des mesures concrètes », a indiqué M. Oneda.

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Si le pessimisme de Sony a réellement fichu la trouille aux boursicoteurs, à vrai dire, ce mastodonte n'est pas le premier à avoir tiré la sonnette d'alarme. Le groupe d'électronique, d'informatique et de systèmes de télécommunications NEC l'avait devancé en indiquant qu'il n'attendait plus cette année qu'un profit net de 15 milliards de yens (100 millions d'euros) alors qu'il tablait auparavant sur un bénéfice net de 35 milliards. NEC pointe du doigt une contraction des commandes d'équipements de la part des opérateurs de télécommunications japonais, ainsi que des conditions de marché difficiles dans le domaine des appareils grand public (PC et téléphones portables notamment) et des composants électroniques. NEC, qui espérait un chiffre d'affaires annuel de 4.800 milliards de yens, ne prévoit plus désormais que 4.600 milliards, soit 4,2% de moins que l'an passé.

Autre récente alerte, celle de Sharp, un modèle de réussite pour ses compatriotes (il est numéro un local des TV LCD et des téléphones cellulaires). Ce pionnier de la technologie d'affichage à cristaux liquides a lui aussi été forcé de revoir ses évaluations pour l'exercice en cours, pénalisé par une chute « considérable » des achats de mobiles au Japon et une détérioration de la rentabilité de ses téléviseurs LCD en proie à une concurrence féroce. Pour les douze mois d'avril 2008 à mars 2009, Sharp n'escompte plus qu'un bénéfice net de 60 milliards de yens, soit une chute de 44,2% par rapport à l'année passée, contre une prévision initiale de 105 milliards.

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La déferlante de mauvaises nouvelles n'est sans doute pas terminée, car ces sociétés japonaises ont effectué leurs nouveaux calculs avant que le yen ne s'envole, ce qui les rend déjà obsolètes. Autrement dit, la probabilité que les choses s'aggravent et que les investisseurs délaissent encore plus ces firmes manufacturières nippones de hautes technologies (de même que les constructeurs d'automobiles) est hélas extrêmement élevée. Et ce, non pas parce que leurs dirigeants ont péché (contrairement aux banquiers), ni même parce que leurs produits ne sont pas conformes aux attentes des clients (tant s'en faut), mais parce que la quête par les agioteurs du gain immédiat rend les actionnaires oublieux de la réelle valeur humaine, sociale, technique et industrielle de ces entreprises créées par des capitaines d'industrie philanthropes.

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