Franck Biancheri, LEAP/E2020 : « l'effondrement du Dollar est bien d'actualité »

Jérôme Bouteiller
Publié le 02 mars 2009 à 15h58
Président du mouvement Newropeans (www.newropeans.eu) et directeur de recherche du Laboratoire Européen d'anticipation politique LEAP/E2020 (www.europe2020.org), Franck Biancheri fait partie des rares économistes ayant anticipé dès 2006 l'actuelle crise économique qu'il n'hésite pas à qualifier de crise « systémique ». A quelques semaines du sommet du G20, il livre son analyse d'une économie mondiale en pleine tourmente...

JB -Franck Biancheri, bonjour. Vous avez été l'un des premiers à anticiper dès 2006 une "crise systémique" pour l'économie mondiale. La situation peut elle encore empirer ?

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FB -Oui, la situation peut encore empirer et en fait elle empire chaque jour un peu plus : chômage en forte hausse partout dans le monde, effondrement sans fin des banques, PNB en baisse partout, escalade effrayante des tentatives américaines de sauvetage de leur économie, ... . Chaque trimestre est actuellement comme l'anneau d'une spirale qui s'enfonce toujours plus profond. Pour LEAP/E2020, le prochain sommet du G20 à Londres le 2 Avril est la dernière chance d'éviter que la crise n'entre d'ici la fin 2009 dans sa 5° phase que nous avons appelée "phase de dislocation géopolitique mondiale", c'est-à-dire le moment où le système international craque complètement et où les grandes entités politiques (USA, Chine, Russie, UE) vont elles mêmes devoir faire face à des tensions internes croissantes.

JB -Peut on faire un parallèle entre cette crise des crédits et des crises antérieures comme l'éclatement de la bulle internet ou la crise de 29 ?

FB -Non. Nous faisons face aujourd'hui à ce que nous avons appelé dès Février 2006 une "crise systémique globale", c'est-à-dire, une crise que affecte les fondements même du système (tous les secteurs et tous les relais, et non pas un secteur particulier comme c'était le cas avec la bulle Internet par exemple) et une crise qui affecte simultanément toute la planète (et non pas comme en 1929 un espace atlantique Etats-Unis et Europe de l'Ouest encore peu intégré in fine). Elle est donc beaucoup plus grave que les crises précédentes. en fait, et nous le répétons depuis Février 2006, personne n'a encore jamais vu une telle crise car c'est bien la première fois dans l'Histoire que notre planète est aussi intégrée. Pour le meilleur ou pour le pire, nous allons être les témoins/victimes d'un évènement d'une ampleur sans précédent. S'il y a une faible analogie à faire, c'est sûrement avec l'effondrement du bloc communiste dans la seconde moitié des années 80. On a en effet assisté là à une crise systémique mais d'ampleur régionale.

JB -Vous aviez annoncé l'effondrement du dollar dès la fin de l'année 2008. L'élection d'Obama aurait-elle changé la donne ?

FB -Pour le dollar, l'impact de la crise en Septembre/Octobre a été plus brutal que prévu et notamment cela a généré des tendances contraires, mais provisoires. Nous estimons que l'effondrement  du Dollar est bien d'actualité et certainement d'ici l'été 2009. Le récent budget d'Obama est d'ailleurs la dernière illustration de cette tendance : le déficit qui va en résulter est tout simplement délirant.. Les Chinois font leur shopping en Dollars actuellement, tant que cette monnaie à encore de la valeur (grâce à eux notamment). Une fois le shopping terminé, l'évolution sera brutale notamment pour ceux à qui ils refilent actuellement leurs Dollars.

JB -Marques, logiciels, brevets, produits financiers... les économies occidentales reposent de plus en plus sur des actifs immatériels. Cette crise va t'elle mettre un terme à la "virtualisation" de l'économie ?

FB -Nous pensons en effet que cette crise va remettre au premier plan la nécessité d'avoir un secteur agricole et un secteur industriel puissants. Le secteur des services financiers est sans aucun doute un mythe désormais révolu. Il ne se remettra pas (en tout cas à l'horizon d'une vingtaine d'années) de son effondrement actuel. Pour le reste, les innovations auront toujours de l'avenir; mais elles devront très certainement être des innovations qui ont un impact sur l'économie réelle et non pas seulement comme ce fut beaucoup le cas ces dernières décennies sur l'économie virtuelle.

JB -Concrètement, quelles sont vos recommandations pour éviter le pire ?

FB -Le premier conseil se résume à une idée très simple : le noeud de la crise actuelle se trouve dans la structure du système monétaire international hérité de l'après-1945. Le Dollar américain et l'économie des Etats-Unis ne sont plus en mesure d'être les piliers de l'ordre économique, financier et monétaire mondial. Tant que ce problème stratégique n'est pas abordé directement, puis traité, la crise s'approfondira. Il est donc vital que cette question soit l'objet principal du Sommet du G20 de Londres et que les premiers éléments de solution y soient lancés.

La solution à ce problème est d'ailleurs bien connue : il s'agit de créer une devise de référence internationale (qu'on pourrait appeler le « Global ») fondée sur un panier de monnaies correspondant aux principales économies de la planète, à savoir le Dollar US, l'Euro, le Yen, le Yuan, le Khaleel, le Rouble, le Real, ... . et de faire gérer cette devise par un « institut monétaire mondial », dont le Conseil d' Administration reflète les poids respectifs des monnaies composant le « Global ». Il faut demander au FMI et aux banques centrales concernées de préparer un tel plan pour Juin 2009 avec objectif de mise en oeuvre au 1° Janvier 2010. C'est leur seul moyen de reprendre l'initiative sur le temps de déroulement de la crise. Si une telle alternative au système actuel en plein effondrement n'a pas commencée à être préparée d'ici l'été 2009, démontrant qu'il existe une alternative au « chacun pour soi », le système monétaire international actuel ne passera pas l'été.

Si certains Etats du G20 pensent qu'il vaut mieux garder le plus longtemps les privilèges que leur procure le statu quo, ils devraient méditer sur le fait qu'aujourd'hui ils peuvent encore influencer de manière décisive la forme que prendra ce nouveau système monétaire mondial. Une fois la phase de dislocation géopolitique entamée, ils perdront toute aptitude à le faire. Pour un homme d'Etat, il ne doit y avoir aucune hésitation face à ce genre de choix.

Le second conseil est déjà largement évoqué dans les discussions préalables au Sommet de Londres. Il devrait être donc aisé de l'adopter. Il s'agit de mettre en place d'ici la fin 2009 un système de contrôle des banques à l'échelle mondiale qui supprime tout « trou noir ». Plusieurs options vous sont déjà proposées par les experts. Il faut que les dirigeants du G20 tranchent dès maintenant. C'est en tout cas le seul moyen de prévenir un nouvel endettement massif des établissements financiers comme celui qui a contribué à la crise actuelle; et de montrer aux opinions publiques qu'ils sont crédibles face aux banquiers.

Le troisième conseil touche à nouveau une question très sensible politiquement qui pourtant est incontournable. Il est indispensable que le FMI remette au G20, au plus tard, en Juillet 2009, une évaluation indépendante des trois systèmes financiers nationaux au coeur de la crise financière : ceux des Etats-Unis, du Royaume-Uni et de la Suisse. Aucune solution durable ne pourra en effet être efficacement mise en oeuvre tant que personne n'a la moindre idée des ravages causés par la crise dans ces trois piliers du système financier mondial.

Pour terminer, nous nous permettons de rappeler que si les dirigeants du G20 veulent restaurer la confiance chez 6 milliards de personnes, et des dizaines de millions d'institutions publiques et privées. Ils doivent pour ce faire rédiger un communiqué qui ne fasse pas plus de deux pages, qui ne contienne pas plus de trois idées centrales et qui soit lisible par des non-experts. Sinon, il ne sera pas lu par le plus grand nombre et il ne pourra donc pas ressusciter la confiance condamnant la crise à s'aggraver."

JB -Combien d'internautes fréquentent désormais votre site internet ? Vos recommandations sont elles également suivies en haut lieu ?

FB -Notre site est fréquenté chaque mois désormais par environ 200 000 visiteurs uniques. Et nous estimons que nos communiqués mensuels publics sont traduits spontanément dans plus d'une cinquantaine de langues (au-delà de nos 4 langues de diffusion) et lus chaque mois par plus de dix millions de personne dans le monde entier. Parmi nos abonnés on compte dorénavant un grand nombre de gouvernements, les principales banques mondiales, plusieurs médias financiers internationaux, beaucoup de grandes sociétés, ... . Les mois à venir diront si nos recommandations sont suivies puisque dans notre dernier numéro du GlobalEurope Anticipation Bulletin nous avons émis des conseils très précis pour le G20 de Londres.

JB -Franck Biancheri,je vous remercie.
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