Live Japon : élections mécatroniques

Karyn Poupée
Publié le 05 septembre 2009 à 00h03
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Les Japonais ont en sainte horreur les pertes de temps et la piètre organisation. En revanche, ils adorent les automates et surtout démontrer à travers de surprenantes machines leur ingéniosité, pragmatisme et savoir-faire, y compris dans les bureaux de vote et centres de dépouillement.
Une petite entreprise nippone, Musashi, logée au coeur de Tokyo s'est spécialisée depuis plus d'un demi-siècle dans la conception de matériel électoral, fournissant une prestation intégrale presque clef en main, allant des rampes d'accès au bureau de vote pour les invalides, en passant par les urnes (en matériau léger, assimilable à du carton hyper-costaud), les isoloirs et machines à dépouiller, petites merveilles électro-mécaniques que nous allons vous présenter.

"Les élections japonaises sont très particulières, les électeurs doivent écrire le nom de leur candidat favori sur un bulletin spécial qui leur est donné au bureau de vote", explique Yasuyuki Shinozawa, un directeur de Musashi. La procédure de vote et le dépouillement étaient il y a quelques décennies entièrement manuels, les résultats n'étaient disponibles que le lendemain voire deux jours plus tard, après maintes vérifications. Délai indigne du Japon.

En outre, dépouillent, non pas des bénévoles, mais des fonctionnaires et employés temporaires payés, qui plus est à un tarif horaire majoré, puisque, comme en France, les élections ont lieu le dimanche et le tri des voix dans la soirée. Plus les opérations de comptage durent, plus c'est cher.
Réduire le coût et le temps grâce à la mécatronique, telle est la mission citoyenne de Musashi.

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Au Japon, désormais, les registres sont informatisés, ce qui compte-tenu du nombre d'inscrits (quelque 104 millions lors du dernier scrutin législatif du 30 août) n'est pas du luxe, évitant les bottins avec des enfilades de Yamada, Nakamura, Kitamura et autres noms de famille hyper courants.
La période de vote est divisée en deux temps: le jour du scrutin, et une dizaine de jours précédant cette échéance pendant lesquels les électeurs peuvent, s'ils le souhaitent, voter par anticipation. Ce système mérite une mention spéciale puisqu'il apparaît, par certains aspects, unique en son genre. En effet, afin d'encourager la participation, des bureaux de vote ont été installés dans des gares et des hypermarchés comme Daiei, au pied de la station ferroviaire d'Ichikawa, en banlieue de Tokyo.

Reiko Kazio, employée de la mairie, explique qu'auparavant, il n'existait que le vote par procuration pour ceux qui ne sont pas libres à la date du scrutin. "Je pense que ce système de vote avancé est meilleur. En tout cas, depuis que nous l'avons mis en place, le taux de participation a augmenté", assure-t-elle. Au Japon, tout électeur peut déposer son bulletin par anticipation, en invoquant un empêchement professionnel ou personnel (absence, voyages, vacances) qu'il n'est pas tenu de prouver. Il peut en plus se rendre dans n'importe quel bureau mis en place spécialement dans sa circonscription. Les inscrits, qu'ils s'expriment le jour du scrutin ou avant, reçoivent auparavant une même convocation qui comporte un code à barres. Ce dernier est lu à l'entrée et les coordonnées du votant sont automatiquement affichées sur un écran pour que le scrutateur vérifie. Un bureau accueille entre 2.000 et 3.000 personnes.

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Ensuite, une machine, dont la première version date de 1965, distribue sans se tromper un seul bulletin par individu: le scrutateur appuie sur un bouton différent pour les hommes et les femmes. "Comme le jour du scrutin chaque bureau comporte un nombre pré-défini d'inscrits, en fonction du nombre de bulletins délivrés, la machine affiche en temps réel le taux de participation par sexe, ce qui permet d'annoncer chaque heure le ratio au centième de pourcentage près", se félicite M. Shinozawa. Le votant s'isole ensuite pour écrire au crayon de papier le nom du candidat choisi. Il plie son bulletin et vient le glisser dans l'urne.

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Regroupées dans d'immenses centres de dépouillement par circonscription, lieux qui ressemblent à des usines, ces boîtes spéciales sont vidées sur des tables. Montagnes de bulletins en vrac, pliés en tous sens, cela prenait un temps fou de les mettre à plat un à un. "Nous avons résolu ce problème en développant un papier spécial qui retrouve naturellement sa forme d'origine, quelle que soit la façon dont il a été plié", explique M. Shinozawa, moult démonstrations probantes à l'appui. L'auteur de ces lignes en a même récupéré quelques échantillons pour effectuer des tests supplémentaires, mais rien à faire, ce papier est infichu de conserver le pli. Damned! Il gagne à chaque fois, et c'est bien là le but du jeu. L'énorme gain de temps ainsi réalisé compense largement le surcoût dudit papier, matériau conçu en 1989. Initialement, Musashi avait pensé utiliser une sorte de film en plastique, mais il était impossible d'y inscrire des noms au crayon de papier (une tradition qu'il faut conserver), si bien qu'il a fallu abandonner à cette idée initiale, s'associer à un fabricant de papier et se creuser les méninges. Mais Nippon futé est persévérant qui renonce rarement et arrive souvent à ses fins, la preuve.


Cependant, la trouvaille la plus plus bluffante, en l'occurrence la machine la plus chère (25.000 euros), entre en scène à l'acte suivant: celui du tri des voix. Il s'agit d'un séparateur automatique associé à un ordinateur doté d'un logiciel également conçu par Musashi. Cet engin incroyable place chaque bulletin dans un casier dédié à un candidat donné après avoir lu à une vitesse folle (480 bulletins par minute) les noms manuscrits dessus grâce à des capteurs à rayons infrarouges, et ce quelle que soit l'écriture (petit ou gros caractères, idéogrammes, syllabaires, un peu des deux, à l'endroit, à l'envers). Comme la machine laisse voir ses entrailles, sa précision et sa vitesse sont immédiatement perceptibles de même qu'on peut ainsi détecter si un bulletin ne disparaît pas au passage. "Le plus dur a été de peaufiner le programme informatique de reconnaissance des écritures manuelles", confie M. Shinozawa.



Sur le plan matériel, en dépit de la subtilité de la mécanique, la firme n'a guère eu de mal. Elle fabriquait depuis des années déjà des engins pour compter et ranger les billets de banque. Si cette trieuse tombe sur un bulletin dont elle ne peut pas décrypter avec certitude le nom calligraphié, elle le rejette dans un casier dédié, confiant aux humains la tâche de le lire à sa place. Cela n'arrive que dans moins de 4% des cas au maximum, selon M. Shinozawa. Et on peut vous garantir qu'il faut vraiment que la personne ait écrit comme un sagouin sur son bulletin pour que la machine ne parvienne pas à le déchiffrer, car l'expérience montre qu'elle comprend des caractères pourtant bien difficiles à différentier à première vue. Une fois ce travail fastidieux terminé, les préposés n'ont qu'à récupérer chaque pile de voix par candidat pour la glisser dans une autre machine qui compte en faisant des paquets de 100 bulletins par postulant, à raison de 15 tas par minute. Deux machines du même type sont utilisées successivement, ce qui permet de repérer une éventuelle erreur, rarissime au demeurant. "Si nos appareils ont été acceptés par les autorités, c'est qu'ils répondent à un ensemble de critères draconiens", insiste M. Shinozawa.


Les petits lots de 100 bulletins sont ensuite flanqués d'un code à barres identifiant, puis enregistrés dans une base de données informatique et emballés. A voté, c'est pesé. Les résultats sont annoncés le soir même dans chaque circonscription, les médias font les totaux et donnent les chiffres définitifs à l'échelle du pays. Quant au ministère de l'Intérieur, il attend que tout soit apporté dans la capitale pour confier le lendemain, aux médias de son choix (les accrédités de son club) les résultats officiels, avec force détails (participation par sexe, âge, nombre d'élus femmes, hommes, nouveaux venus, caciques battus, etc.).

Comme vous l'avez sans doute appris par la presse, les élections législatives du 30 août se sont soldées par la victoire écrasante du Patri démocrate du Japon (PDJ), une jeune formation de centre-gauche, née en 1998, qui a mis au tapis le quinquagénaire Parti libéral démocrate (PLD, droite). Il s'agit d'une première vraie alternance depuis la fondation de ce vaste mouvement omnipotent il y a 54 ans. Le Premier ministre sera désigné le 16 septembre, une formalité puisque son nom, Yukio Hatoyama (chef-fondateur du PDJ), est déjà connu.

"Le jour de la dissolution de la chambre basse en juillet et de l'annonce d'élections le 30 août, nous avons reçu un lot insensé de commandes de machines, nous avons dû produire spécialement", assure M. Shinozawa dont l'entreprise dépêche même des personnels qualifiés dans les centres de dépouillement pour combler les manques.

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Musashi a conçu des appareils tellement pensés pour le mode électoral japonais qu'elle n'a aucun client à l'étranger, ce qui n'est pas très grave car elle détient 80% du marché nippon. De surcroît, M. Shinozawa ne pense pas que le vote informatique, dématérialisé, viendra remplacer le modèle présent au Japon. Selon lui, on n'arrivera jamais à lever tous les doutes sur la fiabilité des données numériques. Avec le dispositif actuel, les bulletins sont là, tangibles, qui sont tracés et peuvent être recomptés à la main en cas de litige. Les électeurs eux-mêmes auraient des craintes face à un vote entièrement informatisé, presque virtuel, se demandant si leur voix a bien été prise en compte et, le cas échéant, une fois et une fois seulement. Le bulletin en papier magique, lui, est unique et, glissé dans l'urne, s'il se perd en route, cela se voit à l'arrivée (différence entre le nombre de votants cochés sur le registre et le nombre de bulletins totalisés). Bref, cette méthode prouve une fois encore, s'il en était besoin, que les Japonais recherchent la précision, font confiance à la haute-technologie mécanique et électronique palpable (des domaines dans lesquels ils excellent) mais se méfient de la dématérialisation (avec laquelle ils sont moins à l'aise), fut-elle aussi le résultat d'exploits technologiques.
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