Live Japon : défaite digérée, honneurs acceptés

Karyn Poupée
Publié le 16 janvier 2010 à 04h52
En 1988, Sony lançait sur le marché japonais son premier magnétoscope VHS. Il n'était pas le pionnier, au contraire, plutôt le dernier, après JVC, Matsushita/Panasonic et consorts. Par ce geste, Sony signifiait qu'il acceptait la défaite, reconnaissait la préséance du VHS pour les enregistreurs vidéo de salon grand public sur le format qu'il avait créé et farouchement défendu, le Betamax.

Ce jeudi 14 janvier, quelque 22 ans plus tard, une scène identique ou presque s'est reproduite, concernant cette fois non plus les modes d'enregistrement vidéo sur bande magnétique, mais sur disque optique. Cette fois, Sony a gagné.

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Le conglomérat industriel japonais Toshiba, très connu pour ses produits électroniques et moins pour le reste, a en effet présenté jeudi à Tokyo une gamme de lecteurs et enregistreurs vidéo de salon au format Blu-ray. Cela signifie qu'il a enfin fait son deuil de sa propre technologie concurrente, le HD-DVD. « Nous faisons notre entrée sur le marché des équipements à disque optique Blu-Ray au Japon », a annoncé Toshiba, en dévoilant ses premiers appareils. Le groupe, qui rejoint dans cette arène ses compatriotes Sony, Sharp, Panasonic et plusieurs autres, proposera en février plusieurs enregistreurs de salon à disque dur et optique Blu-ray ainsi qu'un simple lecteur. Avant de franchir ce pas commercial, Toshiba avait fait part en août dernier de son adhésion à l'association Blu-ray. Cette démarche pré-annonçait le développement de produits pour ce format d'enregistrement sur disque optique contre lequel Toshiba s'était auparavant âprement battu.

Au terme de mois de combat, Toshiba avait en effet dû renoncer début 2008 à tenter d'imposer sa propre technologie d'enregistrement, HD-DVD, face au Blu-ray Disc de Sony vite rejoint par Matsushita/Panasonic et soutenu pas les studios de cinéma ainsi que par nombre d'autres plus importants fabricants mondiaux d'équipements audiovisuels.

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Amer, Toshiba n'hésitait pas alors, en coulisse, à parler de trahison vis-à-vis de certains de ses soutiens initiaux. En colère, il avait dans un premier temps affirmé ne pas envisager de fabriquer des produits compatibles avec le Blu-ray, un standard dont il contestait les avantages promis. Ayant désormais digéré la défaite, Toshiba est donc revenu deux ans plus tard sur sa décision initiale. C'est qu'il ne peut que constater le potentiel que représente ledit Blu-Ray, actuellement seul standard mondialement disponible pour le stockage volumineux sur disque optique, si l'on exclut un format alternatif encore embryonnaire apparu en Chine.

« Nous répondons à des demandes de clients satisfaits de nos téléviseurs et qui voulaient un enregistreur de même marque », a justifié la direction de Toshiba lors d'une conférence de presse. Le fait de posséder un ensemble TV-enregistreur émanant du même fabricant permet généralement d'en simplifier l'installation et l'emploi.

Il faut dire que les enregistreurs de salon au format Blu-ray se vendent très bien au Japon où les nombreux foyers équipés de téléviseurs en haute-définition veulent pleinement profiter de cette qualité d'image et enregistrer leurs programmes TV favoris sans la perdre. Actuellement, ce sont, en alternance, les modèles Sharp, Panasonic et Sony qui occupent les trois premières places du palmarès des enregistreurs. Ces marques sont aussi très bien classées dans le hit-parade des téléviseurs les plus appréciés au Japon.

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La société BCN, qui étudie les ventes dans 2 300 magasins spécialisés au Japon, estime que l'envolée des achats de lecteurs-enregistreurs Blu-ray constatée au Japon depuis fin 2008 va se poursuivre encore tout au long de cette année 2010 avec un rythme de progression de 20 à 30% en nombre d'unités par rapport aux ventes de l'an passé. Cette progression s'explique par les achats de plus en plus souvent couplés de téléviseurs à écran plat et d'enregistreurs. BCN pense d'ailleurs que les ventes de TV à écran plat vont encore bondir au Japon de 50% à 70% cette année par rapport à celles de 2009, déjà en forte hausse, favorisées par quatre facteurs :
  1. le système d'à-valoir "eco-point" mis en place par le gouvernement nippon pour que les citoyens remplacent leurs vieux postes par des modèles haute-définition moins énergivores à taille identique voire très nettement supérieure.
  2. les JO d'hiver de Vancouver
  3. la coupe du Monde de football
  4. la proximité de l'arrêt de la diffusion du signal hertzien analogique en juillet 2011.

De plus en plus de clients optent en outre pour des TV qui intègrent elles-mêmes un enregistreur Blu-Ray et/ou à disque dur, types de produits qui se logent facilement dans un studio d'étudiant ou jeune salarié, ou bien dans une pièce annexe d'une maison. Selon BCN, sur l'ensemble des postes de télévision vendus en décembre dernier, 22% étaient des hybrides TV-enregistreur, également perçus comme plus avantageux sur le plan pécuniaire. À suivre.

Puisqu'on parle d'enregistrement, profitons-en pour signaler que l'octogénaire japonais Shun-ichi Iwasaki, inventeur de la technique fondamentale qui a permis la mémorisation perpendiculaire sur disque dur, a été désigné vendredi lauréat du Japan Prize 2010, la plus prestigieuse distinction scientifique nippone. A également été distingué en même temps le biochimiste américain Peter Vitousek, spécialiste de l'azote et des conséquences d'une présence trop importante de cette substance dans l'environnement.

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Shun-ichi Iwasaki, 83 ans, universitaire qui commença sa carrière chez Tokyo Tsushin Kogyo (Sony aujourd'hui), a le premier conçu un procédé qui permet de coucher des données sur un support (bande et disque dur notamment) de façon magnétique, perpendiculairement à la surface de ce dernier et non horizontalement comme cela a longtemps été le cas.

« En pratique, les particules magnétiques utilisées dans un disque dur sont autant de petits dominos, placés horizontalement (parallèlement à la surface du plateau), suivant des cercles concentriques (les pistes). Tels des aimants, ces dominos possèdent des pôles magnétiques pouvant être permutés lors de l'enregistrement », explique le professeur Maeda, membre du jury du Japan Prize. Pendant la phase de lecture, une transition magnétique nord-sud ou réciproquement est interprétée comme un « 1 », l'absence de changement comme un « 0 ».

Lorsque deux pôles identiques se retrouvent horizontalement en vis-à-vis, ils se repoussent, occasionnant un espace partiellement irréductible. De surcroît, plus les particules sont petites, plus elles deviennent instables (sous diverses influences, dont celle de la température ambiante), subissant des permutations spontanées et aléatoires, occasionnant une corruption des données. « Bref, tout le monde savait depuis longtemps que le mode parallèle (horizontal) est trop limité, mais seul M. Iwazaki est parvenu tôt à développer une tête d'enregistrement qui permette un enregistrement perpendiculaire afin de contourner ces problèmes », souligne M. Maeda. « L'idée de polariser la couche supérieure d'un disque en profondeur lui est venue très tôt, en 1956, et il est le premier au monde à l'avoir matérialisée en laboratoire en 1977 », a précisé le jury du Japan Prize, un aréopage de scientifiques et autres éminences japonaises.

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Cette méthode, de bon sens mais difficile à concrétiser, a permis d'augmenter considérablement la capacité de stockage d'informations à surface égale. En 1980, un disque dur de 0,3 gigaoctets (300 mégaoctets), employant le procédé horizontal sur plusieurs plateaux superposés, pesait 35 kilogrammes et consommait 600 Watts. Aujourd'hui, grâce à l'enregistrement perpendiculaire et diverses autres astuces, un disque dur de 500 Go (500 000 mégaoctets) n'exige plus que 0,4 Watt et pèse seulement 135 grammes.

L'enregistrement perpendiculaire a toutefois mis longtemps à être réellement industrialisé et employé pour des produits commerciaux. C'est le japonais Toshiba qui le premier, en 2005, a annoncé le premier disque dur de ce type, un modèle de 1,8 pouce de diamètre, d'une capacité de 40 Go. Les autres fabricants s'y sont aventurés ensuite (les japonais Hitachi et Fujitsu, l'américain Seagate), de sorte qu'on considère que tous les disques durs qui seront mis sur le marché cette année devraient reposer sur le mode perpendiculaire, ce qui n'était pas encore le cas jusqu'à présent.

À noter au passage que Fujitsu a cédé en octobre dernier ses activités de disques durs à son compatriote Toshiba. En reprenant les disques durs de Fujitsu, Toshiba, spécialiste des technologies de stockage informatique et champion des ordinateurs portables, souhaite gagner rapidement des parts de marché. Il est ainsi désormais en position de faire jeu égal en tête avec son compatriote Hitachi sur le segment croissant des disques durs de diamètres de 2,5 pouces et inférieurs.

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Les travaux de M. Iwasaki ont déjà joué un rôle primordial dans l'évolution de l'informatique. Ils s'avèrent à présent d'autant plus essentiels que se développent les services en réseau pour lesquels les centres de stockage de données sont cruciaux. « En tant que chercheur, je ne peux qu'être enchanté que mes découvertes aient non seulement été industrialisées et fassent vivre des entreprises, mais aussi qu'elles jouent un rôle dans la vie de nombreuses personnes », a réagi le professeur Iwasaki lors d'une conférence de presse.

Dans un registre voisin, le jury du Japan Prize avait déjà récompensé en 2007 le chercheur français Albert Fert pour ses travaux sur la magnétorésistance géante (GMR) via lesquels il a révélé une propriété des électrons aussi utilisée dans les disques dur. Ses inventions lui avaient également valu la même année l'obtention du Prix Nobel de physique.

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Deux « Japan Prize » sont décernés chaque année dans des disciplines scientifiques préalablement définies. L'an prochain, les technologies de télécommunications seront à l'honneur, de même que les sciences médicales et du vivant. L'annonce des lauréats a lieu à chaque fois en janvier. La grandiose cérémonie se déroule quant à elle en avril, au Théâtre National de Tokyo, en présence de l'Empereur et de l'Impératrice du Japon. Chaque récipiendaire, divinement reçu dans la capitale nippone, reçoit alors la coquette somme de 50 millions de yens (375 000 euros au cours actuel).
Karyn Poupée
Par Karyn Poupée

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