La firme à la pomme affiche un engagement fort en faveur de la protection de l'environnement. Cependant, derrière cette étiquette verte, des choses restent imparfaites, au point de se demander si toutes ces déclarations ne sont pas un peu trompeuses. Spoiler : elles le sont.
Dans la lutte contre le changement climatique, les industriels ont un rôle essentiel à jouer. Et pour cause : directement et indirectement, ils figurent parmi les plus gros émetteurs de gaz à effet de serre. C'est pourquoi de nombreux secteurs travaillent sur des solutions pour réduire leur impact sur notre planète, et le monde de la tech ne fait pas exception.
Google, Samsung, Microsoft, Amazon, Meta… Chacun a son propre plan pour proposer des produits et des services plus écologiques. Mais, dans ce domaine, Apple est certainement l'un des plus sonores.
Une smartwatch pas totalement verte
Vous avez sans doute croisé cette affirmation depuis la dernière keynote de la firme à la pomme : « L'Apple Watch est le premier produit Apple neutre en carbone ». C'est grâce à l'utilisation de matériaux recyclés, d'énergies renouvelables et de modes de transport non aériens que cet exploit serait réalisable, du moins avec certaines combinaisons très spécifiques de modèles et de bracelets.
Bien entendu, la production d'un tel produit ne peut pas être exempte d'émissions de CO2, c'est même quasiment impossible avec les technologies actuelles. En fait, pour réduire l'impact environnemental de sa montre connectée, Apple a eu recours à l'arme ultime des industriels et des gouvernements dans la lutte contre le réchauffement climatique : la compensation carbone.
Cette approche est assez simple à résumer : après avoir calculé les émissions de gaz à effet de serre de ses activités, une entité s'engage dans divers projets à travers le monde, tous destinés à réduire l'équivalent de cette production en CO2. Il s'agit souvent de replanter des forêts défrichées ou de restaurer des écosystèmes précédemment altérés, pour ne citer que les solutions les plus courantes. Et, il en existe bien d'autres, à l'image de la captation du carbone qui a le vent en poupe.
Cependant, tout n'est pas parfait, car les projets ne sont pas toujours bien suivis. Comme l'a révélé The Guardian en janvier 2023, 90 % des projets menés par Verra, l'organisation gérant l'une des plus grandes normes mondiales en matière de crédits carbone, n'ont pas permis de réduire des émissions de gaz à effet de serre. Mal encadrés, voire mal conçus, ils ont même tendance à déplacer des activités néfastes pour l'environnement ailleurs.
Du greenwashing en bonne et due forme ?
Les émissions de CO2 de l'ensemble de la chaîne d'approvisionnement et de production d'Apple sont difficiles à suivre et à calculer. Il existe, en effet, de nombreux sous-traitants et autant d'intermédiaires pour pouvoir construire un smartphone ou une montre connectée. Ainsi, si Apple enjoint ses fournisseurs à modifier leurs pratiques, à investir dans les énergies renouvelables ou à s'engager dans des projets de compensation carbone, les actes ne suivent pas forcément.
Tout le monde ne dispose pas des mêmes moyens que le géant américain, ou ne cherche tout simplement pas à être aussi transparent que lui. De plus, certains régulateurs sont moins regardants sur l'origine des produits et des matières premières que dans les marchés les plus développés. Si ce n'est pas impossible, il est très peu probable que les crédits carbone obtenus par Apple compensent réellement et en totalité les émissions de CO2 générées par sa montre connectée.
D'autant plus que celle-ci ne représente qu'une petite partie de l'ensemble des produits commercialisés par l'entreprise américaine. On peut donc supposer que les affirmations d'Apple sur la neutralité carbone reposent sur des calculs… tirés par les cheveux. La firme serait-elle alors en train de nous mentir ? Légalement, pas encore. Toutefois, certaines organisations, comme l'ADEME en France ou le BEUC pour l'UE, cherchent à faire disparaître l'argument de la « neutralité carbone », qui s'avère trop souvent trompeur.
Dans le cas de l'Apple Watch, on nous fait croire qu'elle n'aurait aucun impact sur l'environnement, ce qui serait « un peu ridicule », selon David Ho, climatologue à l'université d'Hawaï. « Cela donne aux consommateurs l'idée qu'il existe des solutions à ces problèmes qui n'impliquent pas de consommer moins », ajoute-t-il, « il n'existe pas de produit neutre en carbone ».
Un équilibre difficile à maintenir entre bénéfices et environnement
Faut-il pour autant cracher dans la soupe ? Les engagements d'Apple ne sont pas totalement vides, et on peut dire que c'est mieux que rien. D'autres géants de la tech sont moins prolixes dans ce domaine, et l'argument vert d'Apple pourrait accélérer la course à l'écologie dans ce secteur. Néanmoins, le chemin à parcourir semble encore long et sinueux, tant pour les entreprises que pour les consommateurs.
Dans une séquence presque lunaire, Tim Cook a déclaré à nos confrères de Brut : « Je pense qu'avoir un [nouvel] iPhone chaque année, pour ceux qui le veulent, est une bonne chose ». Si le patron d'Apple est favorable à la revente ou au recyclage des appareils, ce qui n'est pas la pire des solutions, la plus vertueuse pour l'environnement reste la réparation.
Apple a fait des progrès dans ce domaine, mais une telle déclaration de la part d'un des hommes d'affaires les plus influents du monde nous rappelle qu'écouler les stocks reste primordial pour ce type d'entreprise. L'écologie passe donc par d'autres méthodes, plus faciles à mettre en œuvre mais moins efficaces, et toujours adaptées aux modèles économiques actuels.
Prenons l'exemple de l'iPhone 15, qui dispose d'une fonctionnalité permettant de préserver sa batterie en limitant sa charge à 80 % de sa capacité. Il s'agit d'une très bonne idée ! Toutefois, petit bémol : les modèles précédents ne peuvent pas bénéficier de cette option, alors que ce serait tout à envisageable sur le papier. L'écologie devrait donc forcément se faire avec l'achat d'un nouveau modèle ?
L'herbe est-elle plus verte ailleurs ?
Les concurrents d'Apple ne manquent pas de bonnes idées. Google, par exemple, s'est engagé à fournir des mises à jour à ses derniers smartphones pour les sept prochaines années, ce qui est n'est pas commun dans le secteur. Pour assurer une telle durée de vie, le géant américain facilite également le remplacement de certaines pièces des Pixel 8, notamment de leurs batteries. Un geste que l'on n'avait pas vu venir, mais qui est plus que bienvenu.
De plus petites marques, comme Nokia avec son G22, tentent de mettre en avant l'éco-responsabilité de leurs produits, en utilisant l'argument de la durabilité et de l'utilisation de matériaux recyclés. Si les moyens mobilisés sont semblables à ceux d'Apple, la neutralité carbone n'est pas évoquée, ce qui rend les objectifs écologiques de ces entreprises moins trompeurs et plus clairs.
En matière d'éco-responsabilité, les champions restent Fairphone et Framework. Ces entreprises ont misé sur la réparabilité de leurs appareils, ce qui est actuellement le meilleur moyen de réduire l'impact de l'industrie de la tech sur l'environnement. Cependant, rien n'est parfait, et même les meilleurs élèves rencontrent des difficultés pour suivre l'impact carbone de leurs fournisseurs.
Apple peut investir autant qu'elle le souhaite dans la plantation d'arbres ou la construction de fermes solaires, la fabrication d'un nouvel appareil à partir de zéro, ou presque, aura forcément un impact plus important sur notre planète. La firme reste tout de même exemplaire dans un domaine : celui du suivi logiciel. La première version de l'Apple Watch, par exemple, vient de rejoindre le club des produits obsolètes de la marque. Une belle carrière, longue de neuf années, que tous les fabricants ne sont pas capables d'offrir à leurs clients.
De leur côté, les iPhone ne sont pas en reste, puisqu'ils reçoivent de nouvelles mises à jour majeures près de cinq ans après leurs sorties. Dans ce domaine, la plupart des concurrents est clairement à la traîne, et Apple fait figure de bon élève.
Sources : The Guardian, ADEME, iFixit, Key Discussions, Financial Times