La désinformation, un fléau à craindre davantage que le réchauffement climatique ? C'est en tout cas ce qu'a conclu le Forum économique mondial (WEF) dans son tout dernier rapport.
Si le réchauffement climatique est déjà une épée de Damoclès suffisamment lourde pesant au-dessus de notre civilisation, le Forum économique mondial met en avant un autre phénomène menaçant notre planète : la désinformation. En effet, lors de son 19ᵉ rapport hiérarchisant les risques à l'échelle mondiale, celle-ci passe devant les conflits armés et les catastrophes naturelles sur les deux prochaines années à venir. Un constat aussi alarmant que surprenant, témoin d'une convergence de facteurs inédite.
La désinformation, l'ennemie numéro un pour la planète ?
Pour le WEF, c'est une première. La directrice de la fondation, Saadia Zahidi, a exprimé le fait que « c’est la première fois que ce risque est explicitement évoqué dans notre rapport ». Un risque, qui, selon elle, est à considérer plus que sérieusement car « une grande partie du monde va voter cette année » explique-t-elle pour compléter. Dans la prochaine année, ce sont, en effet, deux milliards de personnes qui se rendront aux urnes à l'échelle planétaire. Un chiffre très important, expliqué en raison des élections qui se tiendront dans 70 pays. Parmi ceux-ci : l'Inde (plus d'1,4200 milliard d'habitants en 2023), le Royaume-Uni (presque 69 millions de personnes en 2023) et les États-Unis (environ 339 millions d'habitants).
Un exemple relevé par Le Figaro illustre à merveille le pouvoir de la manipulation de l'information et les conséquences désastreuses qui peuvent suivre. Ce mardi aux États-Unis, un faux message est apparu sur le compte X/Twitter de la Securities and Exchange Commission (organisme américain de réglementation des marchés financiers). Résultat : le cours du bitcoin s'est envolé brutalement. Ce ne sera pas la première fois que X/Twitter tient le rôle de catalyseur en propageant des informations erronées.
Comme l'exprime le rapport à la huitième page : « Près de trois milliards d'individus devraient se rendre aux urnes dans divers pays, parmi lesquels le Bangladesh, l'Inde, l'Indonésie, le Mexique, le Pakistan, le Royaume-Uni et les États-Unis, au cours des deux prochaines années. Face à ce constat, l'usage répandu de la désinformation, ainsi que les outils facilitant leur propagation, pourraient sérieusement ébranler la légitimité des gouvernements nouvellement élus. Les troubles qui en découleraient pourraient aller de manifestations violentes et de crimes haineux à des confrontations civiles et des actes terroristes ». Le flux d'information global, par son instantanéité et sa propension à se fausser, est désormais perçu comme un vecteur potentiel de graves déséquilibres sociaux ou économiques.
L'impact de l'intelligence artificielle
L'IA serait également un facteur aggravant. Le rapport de la WEF a été construit en collaboration avec plusieurs acteurs, dont le courtier en assurance Marsh McLennan. L'entreprise a ainsi sollicité 1 400 experts issus de domaines très variés, principalement des dirigeants d'entreprises ou décideurs politiques, pour les questionner sur leurs perceptions des risques. La directrice commerciale Europe de Marsh McLennan estime que : « L’intelligence artificielle (IA) fournit de nouvelles armes aux cybercriminels, il n’y a même plus besoin d’être supérieurement intelligent (…) Les avancées en matière d'intelligence artificielle vont radicalement bouleverser les perspectives de risque pour les organisations, beaucoup d'entre elles peinant à réagir aux menaces résultant de la manipulation de l'information ».
À comprendre : l'IA est une nouvelle arme de choix pour les cybercriminels. Son progrès transforme déjà la cybercriminalité et la propagation de la désinformation en rendant ces processus toujours plus sophistiqués et accessibles. À la page 18 du rapport, on peut y lire : « aujourd'hui, nul besoin de compétences spécialisées : les interfaces simples d'accès aux modèles d'intelligence artificielle (IA) à grande échelle ont déjà déclenché une explosion d'informations falsifiées et de contenus dits “synthétiques”. Cela va du clonage vocal sophistiqué à la création de sites web contrefaits ». Un risque sans précédent, et difficilement prévisible tant l'expansion des applications de l'IA et sa puissance sont rapides.
Divergences des risques à court et long terme
Afin de définir un panorama de la perception des différents risques plus précis, le rapport de la WEF fait la distinction entre les risques à court terme (deux ans) et ceux à long terme (10 ans). Dans l'immédiat, c'est bien la désinformation qui l'emporte sur les autres, suivie des événements météorologiques extrêmes.
Lorsqu'on bascule sur les perspectives à dix ans, les craintes sont plutôt redirigées vers les risques environnementaux, qui prennent largement le dessus. Les événements météorologiques extrêmes passent en première place, suivis par un bouleversement global des systèmes naturels en deuxième position. Vient ensuite la perte de la biodiversité en quatrième place. La désinformation se situe juste après et reste tout de même dans le top 5 !
Fait intéressant à noter : il existe de fortes disparités dans la perception des risques selon le pays. Les experts et dirigeants français craignent d'abord le ralentissement économique ; en deuxième place, les fractures sociales et ensuite (forcément), la dette publique. Côté américain, on voit que les préoccupations diffèrent, même si ceux-ci ont aussi classé le ralentissement économique en première position. La deuxième place revient en revanche aux maladies infectieuses et la troisième à l'inflation. En ce qui concerne l'Inde, le constat est très différent. La désinformation arrive d'abord, les maladies infectieuses suivent à la deuxième place et le travail clandestin clôture ce top 3.
Voir le rapport du WEF comme une simple prédiction serait une erreur, selon Saadia Zahidi, qui insiste sur l'importance de le considérer « comme un levier pour agir ». L'esprit de collaboration que cherche à instaurer la WEF entre les différentes institutions étatiques, décideurs et entreprises sera-t-il suffisant pour contrebalancer ce risque grandissant que représente la désinformation ? Reconnaître le problème est déjà un premier pas, même si c'est celui d'un très long voyage.