© William Potter / Shutterstock
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RISC-V est une architecture libre et ouverte, accessible à tous, même aux ingénieurs chinois. Ce qui ne réjouit pas certains législateurs américains, qui risquent pourtant de ne rien pouvoir y faire.

La concurrence commerciale entre les deux premières puissances économiques mondiales a eu un impact important sur le monde de la tech. Les États-Unis ont déployé beaucoup d'efforts pour bloquer l'accès des entreprises chinoises à certaines technologies.

En réponse, l'Empire du Milieu se tourne vers les puces RISC-V, qui pourraient lui conférer une autonomie technologique et industrielle vis-à-vis de l'Oncle Sam et de ses alliés.

Un véritable risque sur le plan stratégique ?

Les États-Unis vont-ils lancer un embargo sur l'architecture RISC-V ? Certains l'envisagent, et même assez sérieusement. Le mois dernier, la Chambre des représentants a été créée une commission d'enquête pour étudier le sujet. Parmi ses conclusions, elle a recommandé qu'un comité gouvernemental inter-agences étudie les risques liés à son développement en Chine, ce qui n'est pas anodin. Les discussions suggèrent même une extension des restrictions imposées à cette dernière en empêchant, par exemple, les citoyens américains d'accompagner les entreprises et institutions chinoises dans ce domaine.

Si les politiciens outre-Atlantique se penchent sur la question, c'est parce que les puces RISC-V pourraient permettre à la Chine de contourner légalement l'embargo qu'elle subit, toujours et encore, dans le milieu de la tech. Cela lui permettrait également de développer ses propres technologies dans des secteurs clés autres que l'informatique grand public, tels que l'armement, le spatial ou encore l'intelligence artificielle.

De quoi irriter Raja Krishnamoorthi, représentant démocrate de l'Illinois, qui estime que ses concitoyens travaillant sur l'architecture RISC-V devraient se concentrer sur l'avancement de la technologie et « non sur les intérêts géopolitiques du Parti communiste chinois ». L'ambiance n'est donc pas au beau fixe, mais les autorités américaines ont-elles vraiment le pouvoir de faire quelque chose, si ce n'est même un intérêt à le faire ?

Prototype de processeur utilisant l'architecture RISC-V en janvier 2013 © Derrick Coetzee / Wikimedia
Prototype de processeur utilisant l'architecture RISC-V en janvier 2013 © Derrick Coetzee / Wikimedia

Le difficile embargo sur le standard RISC-V

Selon Handel Jones, analyste chez International Business Strategies, les entreprises chinoises se lancent massivement dans l'aventure RISC-V. Pas moins d'une centaine d'entreprises « majeures » du pays développent des puces utilisant cette architecture, sans compter toutes les start-up qui leur emboîtent le pas.

Et pour cause : si la technologie est pour l'instant limitée aux appareils de faible capacité, les récentes avancées de Qualcomm dans le domaine montrent que le potentiel de ces processeurs est réél. Dans les années à venir, il ne serait pas étonnant de voir des smartphones de marques chinoises propulsés par des puces RISC-V conçues et produites localement. Et ce, sans que les autorités américaines puissent faire quoi que ce soit pour l'en empêcher.

En effet, cette technologie est supervisée par une organisation à but non lucratif qui compte plus de 4 000 membres dans 70 pays, dont des universités chinoises et américaines, mais également des géants de la tech comme Alibaba et Google. En 2020, elle a déménagé en Suisse et changé de statut, dans le but de limiter toute « perturbation politique ». RISC-V est amené à devenir un standard régit par les mêmes règles que le Wi-Fi ou l'Ethernet, et c'est pourquoi un embargo sur ce dernier serait assez difficile à mettre en place.

Il est fort probable que, dans un avenir assez proche, nous verrons des smartphones Huawei équipés de puces d'un nouveau genre © karanik yimpat / Shutterstock

Selon Daniel Pickard, avocat chez Buchanan Ingersoll & Rooney, le contrôle des exportations de code RISC-V « soulèverait certainement des questions juridiques épineuses et des préoccupations importantes en matière de politique publique ». Pour Dave Ditzel, directeur technique d'Esperanto Technologies, il s'agit d'une idée « absolument stupide ». « C'est comme déclarer : "Les Chinois peuvent lire un livre sur les armes nucléaires écrit en anglais, alors résolvons le problème en interdisant l'alphabet anglais" », ajoute-t-il.

D'autant plus que la nature libre et ouverte derrière la conception des puces RISC-V pourrait répondre aux craintes des responsables américains en matière de sécurité. En effet, à l'instar des logiciels libres, les détails internes de cette technologie peuvent être librement consultés. Il serait donc, dans la plupart des cas, difficile d'introduire des vulnérabilités dans ces processeurs sans immédiatement déclencher une levée de boucliers massive. Cela ne se ferait d'ailleurs pas sans nuire aux entreprises chinoises implantées sur des marchés étrangers, déjà méfiants à leur égard. Si tant est que le Parti communiste chinois y attache vraiment de l'importance.