Zoom sur Puter.com, le nouvel OS Web
Zoom sur Puter.com, le nouvel OS Web

Votre ordinateur personnel accessible virtuellement partout et sur tous les écrans. Avouez que l'idée est plutôt alléchante. Maintenant imaginez que la puissance de ce PC virtuel puisse s'adapter en permanence à vos besoins. C'est la promesse du très ambitieux projet Puter.com en développement depuis trois ans et dont le code vient juste d'être publié sur Github.

Puter.com, un OS Web hybride et open source

Il y a vingt ans, nous connaissions les premiers balbutiements de l'Ajax offrant une expérience web plus riche. Puis, avec les évolutions des standards du web et les premières interfaces de programmation Web, la notion d'applications en ligne a commencé à voir le jour donnant naissance des suites bureautiques, des clones de Photoshop ou encore à de véritables outils professionnels en ligne.

Dans cette apologie du Web, la phase ultime consiste alors soit à concevoir un OS avec des technologies Web (comme nous l'avons vu avec Firefox OS, WebOS ou encore Chrome OS), soit à délocaliser complètement son système d'exploitation. Et sur ce dernier point, il faut bien avouer que ces projets très ambitieux m'ont toujours intrigué. On se souvient de plusieurs tentatives, de AaronOS à YouOS en passant par eyeOS. Alors quand quelqu'un a eu l'ingénieuse idée de déposer le nom de domaine puter.com pour lancer sa tentative, il fallait bien que j'y jette un oeil.

Le moins qu'on puisse dire, c'est que Puter souhaite embarquer tout le monde. On retrouve un menu Démarrer inspiré de Windows avec une barre de lancement centrée en bas de l'écran, des icônes libres de droits, dont ceux utilisés par l'élégante distribution GNU/Linux elementaryOS et un fond d'écran par défaut à faire pâlir les équipes de macOS. Puter n'est ni un gadget, ni élitiste. Et c'est une bonne chose.

Puter.com - Une interface entre Windows 10, macOS et GNOME
Puter.com - Une interface entre Windows 10, macOS et GNOME

Le système

Puisqu'il reprend des codes déjà bien établis, Puter est relativement simple de prise en main et peut s'afficher en plein écran. L'explorateur de fichiers propose le traditionnel volet de navigation sur la gauche et trois vues différentes sur la droite pour le listing des fichiers (vignettes, liste détaillée ou liste compacte).

Le panneau de préférences, accessible en haut à gauche, retourne des informations relatives à l'espace de stockage en ligne (500 Mo gratuits) et au compte utilisateur. Une section propose de personnaliser l'interface et le fond d'écran. Il est aussi possible de traduire le système ou d'afficher l'horloge. Reste qu'à l'heure où nous écrivons ces lignes, les traductions sont incomplètes.

Puter.com - L'explorateur de fichiers et les préférences système

Les applications

Du côté logiciel, Puter est livré avec un certain nombre d'applications Web que nous retrouvons au sein d'un répertoire dédié baptisé App Center. On y découvre les traditionnels bloc-notes et éditeurs de texte, plus d'une vingtaine de jeux et quelques applications plutôt intéressantes comme l'éditeur de photo miniPaint, l'outil de dessin SBoard mais aussi un lecteur vidéo, un enregistreur vocal, un lecteur PDF ou encore une camera.

Cependant, pour avoir un véritable système d'exploitation en ligne qui cible réellement tout le monde, plusieurs outils non négligeables manquent encore à l'appel. Dans mon cas, si je devais jeter mon ordinateur, j'aurais sans doute besoin d'une suite bureautique, d'un client email et d'un calendrier.

Notons au passage que si Puter fonctionne au travers d'un navigateur Web… il est lui-même équipé de son propre navigateur ! Et si la question vous taraude déjà : oui, on peut lancer Puter.com au sein de Puter.com lui-même au sein de Puter.com, lui-même…

Puter.com - en boucle

Baptisé simplement Browser, ce navigateur est basé sur la startup CloudTabs et propose l'avantage de masquer son adresse IP. En effet, une fois le compte utilisateur créé, CloudTabs vous permet de sauvegarder votre progression mais surtout de choisir un emplacement virtuel, en Europe, en Asie ou aux États-Unis. Bon clairement, utiliser un navigateur au sein d'un OS qui tourne lui-même dans un navigateur... c'est peut-être un peu tordu… Mais à y réfléchir, on obtient quand même le bénéfice de pouvoir surfer comme si on utilisait un VPN. Et puis sur un ordinateur public, on est sûr de ne pas oublier d'effacer l'historique. Reste qu'au lancement de CloudTabs, l'équipe laisse suggérer que cette application deviendra payante après une période d'essai.

Puter.com - Le menu et les applications

Le stockage

Nous l'évoquions un peu plus haut, chaque nouveau compte Puter.com est livré avec 500 Mo de stockage gratuit. D'emblée, la question du stockage ouvre des possibilités commerciales pour le service. Interrogé par nos soins Nariman Jelveh, développeur et fondateur de Puter.com, et également PDG et co-fondateur de Mixnode, nous confirme l'arrivée prochaine de plusieurs souscriptions.

Un système de parrainage relativement traditionnel permet d'augmenter son espace de stockage de 1 Go à chaque nouvelle création de compte effectuée depuis un lien personnel.

Rappelons toutefois qu'il s'agit d'un projet open source et, si l'idée d'utiliser quelques lignes de commandes ne vous effraie pas, il est possible d'installer l'OS Web sur votre propre serveur. En théorie, vous bénéficierez donc non seulement d'un espace de stockage uniquement limité par la taille de vos disques ou SSD mais aussi d'un meilleur contrôle sur vos données si vous décidez d'y stocker vos fichiers.

Puter.com - Le système de parrainage pour davantage de stockage

Puter.com, un OS Web qui s'adapte

Au-delà d'un OS en ligne, une idée qui finalement n'est pas si novatrice en soi, l'objectif de Puter est aussi de proposer une machine virtuelle capable de s'adapter en temps réel aux besoins de l'utilisateurs. Nariman Jelveh explique ainsi :

Avec Puter, je tente d'apporter la puissance du cloud computing aux utilisateurs lambda de tous les jours. J'imagine un monde dans lequel n'importe quel appareil peut décupler sa puissance pour atteindre les performances d'un super-calculateur et revenir à une fréquence plus basse en fonction des besoins des utilisateurs. C'est un monde dans lequel nous pouvons avoir des jeux et des applications qui demandent des calculs très puissants et qui pourtant fonctionnent sur des dispositifs bon marché, le tout grâce la puissance du cloud computing.

Clairement, M. Jelveh a donc de grandes ambitions. Pour l'heure, l'idée d'un super-calculateur accessible pour tout le monde n'est sans doute pas encore là... pour la bonne raison que les jeux proposés au sein de l'App Center ne sont pas les plus gourmands en ressources matérielles. Toutefois, Puter propose à chacun de développer très facilement son application web et de la publier.

Puter.com - Le terminal et l'IDE

Mais quelles technologies applicatives pourraient donc nécessiter beaucoup de ressources "à la demande" ? L'intelligence artificielle bien sûr ! Sur ce sujet, le fondateur de Puter précise qu'il s'agit d'un enjeu majeur :

Nous allons mettre l'accent sur l'IA en 2024, en facilitant grandement la tâche des développeurs pour construire des applications IA sur Puter et permettre aux utilisateurs d'utiliser l'IA sur leurs fichiers et leurs données. Nous nous concentrerons également sur l'amélioration des performances et de la stabilité pour atteindre la version 1.0 le plus rapidement possible. L'écosystème des développeurs est un autre aspect de Puter sur lequel nous travaillerons dur, d'autres API et fonctionnalités pour les développeurs sont en cours d'élaboration en ce moment.

L'IA, toujours l'IA, un buzzword qui revient inlassablement, et j'en vois déjà certains faire la grimace à l'idée d'un OS soit disant "intelligent". Je n'ai pas forcément non plus besoin d'un super Clippy. Mais…. et si cette fois les choses étaient bien faites ?

De la génération de texte à la retouche photo intelligente en passant par un OS capable d'apprendre vos usages au quotidien, en théorie, l'OS Puter pourrait donc non seulement être capable d'adapter les performances nécessaires mais également de s'adapter à votre usage. Et au passage, il s'adapte déjà à votre appareil puisqu'il présente une interface entièrement responsive.

Alors Puter.com a-t-il un avenir ?

Un énième essai en vain ?

Mais face à cette belle promesse, restons terre-à-terre. Des systèmes d'exploitation en ligne, on en a vu et, du jour au lendemain, ils ont disparu ou n'ont jamais vraiment évolué. Evidemment, il nous fallait bien titiller Nariman Jelveh sur le sujet : en quoi est-ce que Puter.com est différent des précédentes tentatives d'un OS en ligne ?

Pour le fondateur, ces échecs sont principalement liés à une question de timing et de maturité technologique qui n'était pas au rendez-vous. Selon lui, Puter présente quatre forces majeures qui faisaient défaut aux systèmes délocalisés que nous avons pu connaitre dans le passé :

  • Le cloud est maintenant devenu une technologie bon marché.
  • Les connexions très haut débit sont bien plus largement répandues offrant une expérience fluide et stable.
  • Les navigateurs Web ont gagné en puissance, notamment avec le standard WebAssembly conçu pour remplacer JavaScript.
  • Puter a été pensé pour n'avoir aucun bridage sur les performances ou les fonctionnalités.

Un modèle open source pour assurer le développement

Afin de garantir un développement rapide, mais aussi pour assurer la confidentialité des données utilisateur, le fondateur Nariman Jelveh a publié le code source et lance un appel aux experts en sécurité.

Ce qui n'est peut-être qu'un Proof of Concept aujourd'hui peut alors évoluer sereinement dans le temps par n'importe quel développeur motivé souhaitant continuer de faire évoluer le système, voire en proposer une alternative.

On retrouve déjà le répertoire Puter-Fuse, un projet qui promet d'intégrer le système de fichiers de Puter directement au sein d'un Mac ou un PC sous Linux, pour par exemple à terme synchroniser ses fichiers.

Un modèle commercial pour assurer les finances

A l'instar d'Automatic qui propose sur Wordpress.com une version payante mais clé-en-main de son CMS Wordpress.org, Puter est donc amené à être soutenu par un modèle économique plus ou moins similaire.

Si le stockage en ligne semble en être la première pierre angulaire, on imagine facilement des applications ou des fonctionnalités exclusives développées en interne pour la version premium du web OS. Sans parler d'une brique de support pour les usagers professionnels.

L'idée d'un système d'exploitation en ligne est encore loin d'être démocratisée. L'offre la plus tangible reste celle de Microsoft, mais à l'heure actuelle Windows as a Service est encore cantonnée aux entreprises souhaitant faciliter l'intégration temporaire de leurs prestataires au sein du réseau interne de la société. Face aux machines virtuelles proposées par de nombreux hébergeurs ou des services de type Shadow, Puter reste bien plus accessible et surtout plus ouvert. Face à un NAS et une interface de type DSM, il promet des performances évolutives alléchantes. Aujourd'hui, la plupart des particuliers doivent encore composer avec les outils en ligne des GAFAM.

Dans un contexte de crise où les ventes de PC sont en berne à cause d'un pouvoir d'achat de plus en plus malmené, le gain de performances n'est peut-être plus dans la machine elle-même mais dans le cloud, et de manière ponctuelle. Et Puter pourrait peut-être changer la donne avec une formule attractive et un écosystème d'applications florissant. Affaire à suivre.