Sur le papier, le film The Batman de Matt Reeves prend des risques certains : détaché du DCEU, porté par Robert Pattinson, orienté enquête et durant presque 3 heure… Le projet, probablement motivé par le succès de l'atypique Joker, a de quoi interroger, et on ne peut malgré tout que saluer Warner Bros de l'avoir soutenu. Reste maintenant à voir si le résultat est à la hauteur des attentes…
Accompagnez la lecture de cet article avec la musique du film :
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Voilà maintenant deux ans que Bruce Wayne, sous le masque de Batman, arpente les rues de Gotham à affronter le crime. Alors que le mystérieux Riddler semble s'en prendre à l'élite de la ville, et que sa route croise celle du Pingouin et de Selina Kyle qui pourraient menacer sa double vie, le justicier masqué ne peut compter que sur lui-même et sur l'aide des fidèles Alfred et Gordon pour s'en sortir et sauver la ville.
The Batman est assurément sur le podium des films aussi redoutés qu'attendus ces dernières années. De fait, malgré un impressionnant casting et un réalisateur/co-scénariste reconnu pour son travail sur Cloverfield et la trilogie La Planète des Singes, le projet risquait bien de n'être qu'une énième adaptation du Chevalier Noir, voire, comme redouté par certains, un long calvaire pompeux de 3 heures.
Or, bien que certains passages se rapprochent parfois dangereusement de ces craintes, inutile de faire semblant plus longtemps : le long-métrage est une réussite quasi totale.
À l'instar du Joker de Todd Phillips, en s'émancipant du DCEU, The Batman déroule librement sa propre histoire, se permet de (re)fabriquer ses personnages et, surtout, de construire une ville de Gotham à l'ambiance aussi pesante que réaliste. Dès les premières minutes et bien après la sortie de la salle, on est en effet happés, pour ne pas dire écrasés, par la vision de Matt Reeves.
De la photo inspirée aux plans de réalisation solides, en passant par les décors sales, les costumes sobres et séduisants, ou encore l'ambiance sonore imposante, The Batman nous embarque dans une histoire de laquelle il est aussi difficile de sortir que de sous une couette lestée un lundi matin. D'autant plus que cette efficacité de forme, difficile à retranscrire en mots, n'est que renforcée par le fond de l'œuvre.
Chevalier et la détresse
Tout d'abord, et à quelques rares exceptions près, The Batman se montre étonnamment réaliste. Pas le moindre super pouvoir ici, la place est laissée aux gadgets et technologies plus ou moins ancrées dans le réel et, surtout, à une enquête centrale qui nous rappelle que « Batou » est autant un combattant chevronné, qu'un détective hors pair.
De par une mise en place et un déroulé de l'intrigue fins et maîtrisés, le film nous porte sans forcer du début à la fin au fil d'un scénario teinté de corruption et de meurtres, et ce, malgré les énigmes bien perchées du Riddler, incarné par l'effrayant Paul Dano. À l'équilibre, The Batman évite toutefois de trop prendre les spectateurs par la main, et c'est assurément une bonne chose.
The Batman n'est définitivement pas une énième histoire de super héros. Il s'agit surtout d'un film d'enquête noir, avec l'un des Batman les plus convaincants jamais proposé sur nos écrans. Non seulement Robert Pattinson est parfait pour cette version torturée du héros (malgré quelques passages que certains pourront juger un peu trop « emo »), mais ses réflexions et états d'âmes sont, en plus, intéressantes à appréhender.
Ses relations avec les rares personnes qu'il côtoie - également fort bien incarnées, notamment par Zoë Kravitz, impeccable Selina Kyle -, ses motivations, ses attitudes… en un seul film ce Batman, bien qu'encore un peu débutant, se montre plus humain, faillible et profond que bien d'autres avant lui. Un véritable tour de force, d'autant que l'on voit beaucoup plus le Chevalier Noir que Bruce Wayne à l'écran, Pattinson arrivant donc à incarner et transmettre énormément de choses malgré son masque.
I Am The Night Of
Résultat, on se passionne pour cette réinterprétation extrêmement sérieuse du mythe classique de DC, qui n'oublie heureusement pas de distiller quelques toutes petites touches d'humour (à travers Jim Gordon notamment, aka Jeffrey Wright) pour laisser passer un peu d'air dans une Gotham étouffante et pleine de désespoir.
«The Batman n'est définitivement pas une énième histoire de super héros. Il s'agit surtout d'un film d'enquête noir, avec un homme chauve-souris plus convaincant que jamais. »
Par ailleurs, puisque l'on parle manque d'oxygène, notons que les combats, bien montés et chorégraphiés, ne manquent assurément pas d'impacts (souvent au visage) et ne souffrent assurément pas du choix de Warner de faire un film pour public averti. Attention cependant pour les plus jeunes : s'il n'y a que peu de sang ou de morts graphiques, The Batman demeure un film violent qui ne prend pas de gants.
En plus d'éviter de nombreux pièges (comme de montrer la mort des parents de Bruce Wayne qu'on a déjà assez vue, merci), Matt Reeves soigne avec talent ses « premières fois », souvent mémorables. Première apparition de Batman depuis les ombres, première apparition de la Batmobile, première transformation de Selina Kyle en Catwoman… le film jouit de moments qui donnent des frissons ou nous collent de gros sourires sur le visage.
Ainsi, le film se destine aussi bien aux fans, qui connaissent déjà les baux mais en veulent toujours plus, qu'aux néophytes, grâce à quelques éléments de contexte savamment dispersés ça et là, encore une fois avec subtilité.
Il arrive tout de même qu'en quelques occasions le réalisateur n'y aille pas un peu trop avec le dos de la main morte, comme certains disent. Scènes ou plans trop longs pour leur propre bien, musique un poil trop appuyée (soit dit en passant composée par le chevronné Michael Giacchino, dont le thème principal marque au fer rouge), monologues internes de Batman parfois un brin forcés ou clichés…
Quelques passages peuvent ainsi faire tiquer, faire sourire malgré eux, voire nous faire presque sortir du film. John Turturro, pourtant très solide acteur, ici dans la peau de Carmine Falcone, est également l'un des rares choix de Matt Reeves qui ne nous a pas pleinement convaincus.
Gotham vue du fiel
Heureusement, il ne s'agit que de quelques points noyés dans un ensemble du reste parfaitement convaincant et cohérent, qui aurait simplement gagné un peu en rythme grâce à quelques coupes supplémentaires. On ne voit finalement pas le temps passer, si ce n'est lors de l'acte final qui donne un peu l'impression de vouloir à tout prix agrandir l'échelle globale et forcer sur l'action pour éblouir et réveiller le spectateur une ultime fois.
Le plus fort dans tout ça, c'est que l'histoire de fond racontée l'a pourtant déjà été maintes fois. L'abus et l'oppression des oubliés et des pauvres par les riches et puissants est un thème central de Batman, et même un thème universel.
Pourtant, cette interprétation moderne convainc en évitant notamment de sombrer dans un manichéisme outrancier. Voir notre héros dire qu'il est la « Vengeance », pour finalement se décomposer en entendant ce même mot dans la bouche de ses adversaires : c'est un délice.
Contemporain, The Batman se permet également d'évoquer, pour servir son intrigue, quelques fléaux de notre époque, comme l'endoctrinement sur les réseaux sociaux. Espérons que de tels sujets seront un peu moins rapidement survolés et davantage développés dans une éventuelle suite, ou encore dans la ou les différentes séries annoncées (la préquelle sur le GCPD par exemple) ou encore à l'état de rumeur (celle sur le Pingouin du méconnaissable Colin Farrell).
S'il faudra attendre quelques mois pour s'assurer que notre sentiment actuel perdure, il semblerait bien que The Batman nous ait marqué autant que l'avait fait l'incroyable The Dark Knight de Christopher Nolan. En tout cas, Matt Reeves a prouvé que l'on pouvait faire un film mémorable avec des ingrédients pourtant déjà connus, et ce sans avoir forcément recours à un antagoniste iconique pour faire briller Batman.
The Batman est proposé en salles depuis le 2 mars 2022.