Live Japon : Mobile d'occasion, franchir le rubicon

Karyn Poupée
Publié le 30 octobre 2010 à 00h04
Au Japon, les produits d'occasion n'ont a priori pas la cote, surtout les objets à usage très personnel. Pourtant, comme nous le montre notre mangaka japonais Jean-Paul Nishi, des jeunes loups malins mais sans grands moyens prennent leur pied en épousant les « deuxièmes mains ».

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Le marché des téléphones portables d'occasion (chuko keitai denwa), jusqu'à récemment confidentiel au Japon, y prend de l'ampleur ces derniers mois avec les nouvelles offres proposées par des grands noms de la distribution de produits électroniques. Le décollage s'est produit l'an passé et s'accélère désormais. Depuis quelques mois, certaines des plus importantes enseignes de produits électroniques, qui gèrent des centaines de boutiques, comme Yodobashi Camera ou Kitamura, rachètent les téléphones et les revendent. Le spécialiste de la seconde main (TV, appareils photo, PC, baladeurs, etc.), Sofmap, s'y est mis aussi. Les magasins Bic Camera, groupe auquel appartient désormais Sofmap, ont également installé des comptoirs de reprise. Tout le monde est susceptible de se ruer pour vendre des mobiles anciens qui ne servent plus à rien, mais « qui peut bien acheter un keitai d'occasion ? », s'est d'emblée exclamé l'ami mangaka Nishi lorsque l'auteur lui a présenté le thème de la semaine. Les Japonais, qui sont méfiants de nature et à cheval sur l'hygiène, sont en effet a priori assez réticents à s'offir un téléphone, objet éminemment personnel, déjà utilisé par un autre dont on ignore tout. Cependant, les choses changent. De plus en plus de Nippons franchissent le rubicon, parce que les temps sont plus dur et que les modèles neufs sont bien plus chers depuis que les subventions ont en grande partie été supprimées.

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En effet, depuis fin 2007, les opérateurs proposent de payer le terminal quasi intégralement au départ ou en 12 ou 24 mois, mais n'en financent plus eux-mêmes la majeure partie comme c'était le cas auparavant. Si bien qu'un changement de mobile pour un modèle dernier cri coûte in fine de 45.000 à quelque 80.000 yens (390 à 700 euros). Crise économique aggravant les craintes personnelles, les ventes de terminaux neufs au Japon ont chuté, passant de plus de 50 millions par an il y a quelques années à seulement 31 millions l'an passé, et sans doute guère plus cette année. Pour quelqu'un qui a choisi de payer son nouveau keitai en 24 mois, l'échéance mensuelle n'est certes pas importante, mais s'il décide de changer de mobile en cours de période de remboursement (ce qui est possible), il va devoir continuer de payer pour un terminal inutilisé et s'acquitter en plus des échéances de règlement du nouvel appareil.

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Pour éviter de se retrouver dans cette situation, l'achat d'un téléphone d'occasion peut être une bonne solution, de même que pour les individus qui ont fusillé ou, chose rare, définitivement perdu leur mobile, et n'ont guère les moyens d'en reprendre un neuf. Pour en avoir le coeur net, l'auteur a donc décidé de se prêter au jeu. Nous sommes dans une des boutiques Sofmap de la « ville électrique », le quartier d'Akihabara. Dans la vitrine des téléphones d'occasion s'alignent quelques dizaines d'appareils, pour la plupart datant de 2007 à cette année.

Première surprise, s'y trouvent de très récents modèles très populaires, comme l'Xperia de Sony-Ericsson ou bien encore des iPhone. La plupart des exemplaires en vente sont cependant des traditionnels mobiles nippons, ceux qu'on surnomme les « garake »(« Galapagos keitai »), avec leurs caractéristiques particulières (porte-monnaie électronique, télévision mobile terrestre, étanchéité, etc.). Précisons d'emblée que l'offre est limitée ici par le fait que Sofmap ne rachète et revend que les téléphones destinés aux réseaux de troisième génération (3G) de NTT Docomo (56,9 millions d'abonnés fin septembre) et Softbank (23,5 millions de souscripteurs), tous verrouillés pour les cartes SIM associées.

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Les mobiles qui fonctionnent sur le réseau de norme différente du deuxième opérateur japonais, KDDI, de même que ceux conçus pour les infrastructures des petits acteurs du secteur, comme Willcom, ne sont pas proposés chez Sofmap. Ils le sont cependant dans d'autres enseignes et sur internet.

Selon la société de recherches en marketing MM, le marché des mobiles d'occasion au Japon n'a représenté qu'environ 2% de l'ensemble en 2009 (620.000 exemplaires), mais il devrait tripler dans les trois ans à venir. Le fait notamment que NTT Docomo se dise prêt à lever le verrou SIM, sous diverses conditions contractuelles pour certains appareils, constitue un facteur entraînant.

Les prix des mobiles présentés chez Sofmap, tous prêts à fonctionner, à condition d'y glisser sa propre carte SIM NTT Docomo ou Softbank compatible, vont de moins de 10.000 yens pour les plus anciens en relatif bon état (les engins vraiment abîmés sont absents) à quelque 50.000 yens pour les modèles les plus récents et haut de gamme de très bonne apparence.

Acheter dans une boutique ayant pignon sur rue est rassurant, alors que les ventes en ligne par enchères de particulier à particulier ou à travers des enseignes guère connues suscitent des craintes, notamment de recel, même si infime est le risque de se faire chaparder son portable au Japon. La tranquillité vis-à-vis des appareils d'occasion s'est aussi améliorée du fait des mesures strictes prises par les opérateurs et qui rendent très hasardeuse et risquée la revente d'appareils dérobés. Les magasins qui reprennent les mobiles peuvent en effet immédiatement vérifier à partir du numéro de série qu'il ne s'agit pas d'un exemplaire extorqué.

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Alors que les acheteurs étaient en grande majorité des jeunes hommes, les filles aussi désormais s'y mettent, certaines dans le but de trouver un mobile pas cher qu'elles vont s'employer à décorer avec les innombrables fioritures que l'on trouve dans les boutiques nippones.

Est-ce pour autant absolument sans risque? Pas totalement. En effet, les mobiles d'occasion ne sont garantis en cas de panne que durant un mois. Par ailleurs, s'il s'agit d'un modèle de moins de deux ans, le précédent utilisateur l'a sans doute revendu avant même d'avoir fini de le payer. S'il suspend le règlement des échéances suivantes, le mobile sera bloqué par l'opérateur. Dans ce cas cependant, le magasin s'engage à le remplacer par un modèle équivalent. Dans les grandes enseignes, les vendeurs sont généralement très honnêtes et informent très bien les clients sur ces aspects, de sorte que l'on se laisse finalement assez vite tenter pour peu qu'on ait envie de changer d'appareil.

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La preuve: assez peu satisfaite de son téléphone blanc NTT Docomo Sharp SH-03B, du fait d'un maniement peu commode (en dépit d'une qualité technique absolument irréprochable), l'auteur a donc décidé de le vendre et d'acheter à la place un modèle noir NTT Docomo Fujitsu F-09A, joli, fignolé et pas cher. Le Sharp, parce qu'accompagné de la boîte, du mode d'emploi et de tous les accessoires d'origine, a été repris 18.000 yens (160 euros), un tiers du prix d'achat environ six mois plus tôt. Le deuxième, de moins d'un an, dans un état impeccable, d'apparence presque neuve à vrai dire, a été acquis pour 16.000 yens (140 euros). Bilan: acheteuse ravie, non seulement s'agissant des tarifs, mais aussi sur le plan matériel, car le Fujitsu est bien plus ergonomique. Si bien que l'auteur s'est surprise à réactiver sur-le-champ toutes les fonctions abandonnées du temps du Sharp, à savoir les cartes porte-monnaie électroniques à puce sans contact Edy (pour le supermarché), Nanaco (pour les supérettes multiservices Seven Eleven), Suica (pour passer les portillons de trains et métros et payer dans de nombreux commerces), la carte de crédit intégrée ID/DCMX NTT Docomo, les applications de suivi de compte bancaire, les abonnements d'achat de mangas numérisés, de réception automatique d'informations, d'accès à des canaux vidéo (BeeTV de NTT Docomo), etc. Le téléphone Fujitsu en question, à écran tactile et pavé numérique physique, est de surcroît doté d'un efficace appareil photo et sécurisé par empreintes digitales avec un capteur très fiable et rapide. Voilà qui incite encore plus à employer les palettes de fonctions de paiement, et à précharger en argent ledit mobile à hauteur de 10.000 ou 20.000 yens (90 à 180 euros) sans se faire le moindre souci.

Bref: « excellente occase » et, morale de l'histoire personnelle ici contée: les usages d'un terminal sont apparemment plus largement dépendants de l'aisance d'emploi que des besoins avérés. Si le mobile est plus pratique que d'autres moyens existants - par exemple pour le paiement des achats - eh bien l'on s'en sert, sinon on revient tout en le déplorant aux méthodes d'antan.

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Par ailleurs, profitant de sa virée dans les boutiques spécialisées, l'auteur a remarqué qu'on y pouvait faire d'autres bonnes affaires. Exemple: des téléviseurs haute-définition de très grand format à écran à cristaux liquides ou bien encore un enregistreur vidéo sur disque dur 250 Go et disque Blu-Ray en très bon état et vieux de seulement un an, pour un tarif deux fois inférieur à un produit neuf actuel, voire meilleur marché encore. Qui veut remplacer son iPod Classic pour un modèle iPod Touch 64 Go en trouvera un en bon état à un prix au tiers inférieur à celui d'un neuf. Les bonnes affaires a priori sont aussi légion dans le domaine des PC, des appareils photo et de divers autres matériels informatiques ou audiovisuels, à condition de s'y connaître un peu et même le plus souvent de résider au Japon. Notons au passage que parmi les produits en vente, certains ne sont pas des appareils de seconde main mais des exemplaires neufs déstockés par le fabricant, ce qui est encore un « meilleur plan ». Dans tous les cas cependant, avant d'acheter, il convient de bien comparer avec des produits neufs car leurs prix baissent aussi très vite dès l'arrivée de nouveaux modèles, de sorte que certains appareils d'occasion sont parfois plus chers que l'équivalent en première main.

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