Dieu qu'il a du être houleux et pour certains douloureux le conseil d'administration d'Olympus le vendredi 14 octobre. Ambiance. Ce jour là, le PDG exécutif d'alors, le britannique Michael Woodford, n'a pas eu droit à la parole. Quelques minutes après l'issue de la réunion, un communiqué informait la presse de son limogeage. Il dût quitter l'entreprise sur-le-champ.
Agé de 51 ans, M. Woodford était le premier étranger à prendre la tête de ce groupe spécialisé dans les appareils photo, endoscopes, microscopes et autres instruments de mesure et de précision. « De très importantes divergences sont apparues dans l'orientation et la conduite des affaires entre M. Woodford et les autres membres de la direction, ce qui constitue un blocage pour les prises de décision », justifiait le groupe dans un avis aux actionnaires. « Tous les membres présents du Conseil d'administration, à l'exception de l'intéressé qui n'a pas été autorisé à prendre part au vote, se sont prononcés pour la rupture de son contrat, jugeant qu'il était difficile de mener à bien sous sa conduite le projet intitulé +prochaine phase vers le développement mondial », a précisé l'entreprise.
C'est le président honoraire, Tsuyoshi Kikukawa, 70 ans, qui prit alors pour une durée indéterminée, la direction exécutive du groupe. « Pour Olympus, la conduite des affaires internationales repose sur l'utilisation des atouts de l'approche japonaise en matière d'attention portée aux personnes, aux technologies et à la fabrication, en partageant les règles internationales de la gouvernance, de la gestion des informations et des opérations, afin de construire un socle d'affaires puissant et efficace », a expliqué Olympus. En ce sens, « il faut que tout le monde dans l'entreprise agisse dans le même sens avec la volonté commune d'atteindre le même objectif », a souligné l'entreprise.
Cette crise au sein de la direction d'Olympus a immédiatement fait plonger son action de 18 % le jour-même à la Bourse de Tokyo. Ainsi débuta une descente aux enfers sur fond de scandale. L'éviction brutale de M. Woodford surprit alors que, deux semaines plus tôt, le conseil d'administration se disait « très satisfait des progrès accomplis (par l'entreprise) sous sa direction ».
A peine rentré en Grande-Bretagne où il passait en réalité l'essentiel de son temps, M. Woodford, qui fut aussi patron d'Olympus Europe avant de diriger le groupe, se répandit dans la presse anglophone. Dans un entretien au Wall Street Journal, M. Woodford affirma que son renvoi était motivé par un conflit l'opposant à M. Kikukawa, à qui il avait demandé des éclaircissements au sujet du coût de plusieurs acquisitions réalisées par Olympus entre 2006 et 2008, dont certaines apparaissent douteuses car sans grand rapport avec l'activité du groupe. Les interrogations du PDG étaient fondées sur une enquête d'un magazine financier nippon, Facta, publiée en plusieurs volets à partir d'août et selon laquelle le groupe a payé plusieurs achats à des tarifs exorbitants et versé des commissions mirobolantes à des intermédiaires. « Je n'ai jamais reçu de réponses claires à ces questions », a souligné M. Woodford. Ce dernier a alors adressé le 12 octobre des courriers à M. Kikukawa et à d'autres directeurs pour leur demander de démissionner. Il a ensuite convoqué une réunion extraordinaire du conseil d'administration le vendredi 14. Mais à l'ouverture de la session, M. Kikukawa, en tant que président de cette instance, a déclaré que M. Woodford était en « conflit d'intérêt » avec Olympus et ne serait pas autorisé à parler. Le conseil d'administration a alors voté le limogeage de M. Woodford.
Depuis, la direction d'Olympus campe sur ses positions et menace M. Woodford de poursuites en justice, mais elle ne parvient pas à stopper l'hémorragie à la Bourse et se fait même tancer par ses principaux actionnaires. Trois des quatre plus gros détenteurs de titres Olympus, Nippon Life Insurance, Southeastern Asset Management et Harris Associates, qui contrôlent ensemble environ 17 % des parts du groupe, ont en effet exigé une clarification des opérations effectuées.
Alors que l'action continuait de s'effondrer de jour en jour et que le Bureau fédéral d'investigation américain (FBI) ainsi que les autorités britanniques déclenchaient des enquêtes, le groupe Olympus a été forcé de lâcher des informations au sujet de ses acquisitions passées. « Des préparatifs sont en cours pour créer un comité extérieur, notamment composé de contrôleurs financiers et juristes, afin d'étudier les transactions contestées », a expliqué le groupe dans un communiqué le 21 octobre, une semaine après le début de l'affaire.
Quatre jours plus tard, Olympus confirmait le montant de 687 millions de dollars versé à une société de conseil financier dans le cadre de l'acquisition en 2007 de la firme Gyrus, spécialisée dans les instruments chirurgicaux, payée environ 1,9 milliard de dollars. Toutefois, la direction du groupe nippon assure toujours que cette somme était justifiée et que le renvoi de M. Woodford n'a rien à voir avec ce sujet, mais provient d'un « grand écart » entre ce dernier et le reste des dirigeants à propos de la gestion et de la stratégie d'entreprise.
Nouveau coup de tonnerre mercredi 26 octobre à 16H15, tombait un deuxième avis aux actionnaires: « le PDG, Tsuyoshi Kikukawa, quitte ses fonctions ». Une heure et 15 minutes plus tard, conférence de presse.
« Je renonce à mes attributions en tant que président et directeur général tout en présentant mes excuses aux clients, actionnaires, fournisseurs et autres relations d'Olympus pour leur avoir causé tant de soucis », a déclaré Tsuyoshi Kikukawa, 70 ans, dans un message lu par un responsable du groupe devant les journalistes surexcités. « Nous avons acheté des sociétés sur la base d'estimations justes et selon des procédures appropriées, nous n'avons rien fait d'illégal. Pour établir les faits, un comité d'enquête indépendant va être mis en place », a-t-il ajouté.
Seul attablé face aux journalistes, son remplaçant, Shuichi Takayama, a indiqué que M. Kikukawa avait préféré partir « se sentant responsable de la confusion créée et de la chute du cours de l'action Olympus à la Bourse de Tokyo ». Le nouveau patron Takayama a reconnu avoir aussi voté le départ de M. Woodford dont l'attitude et l'autorité « ne pouvaient pas permettre une bonne conduite des affaires de l'entreprise ». « Je suis indigné que M. Woodford ait divulgué des informations confidentielles de l'entreprise », s'est-il agacé, réitérant la menace de poursuites en justice. Incapable de répondre correctement aux questions féroces des journalistes nippons qui, dans ce genre de situation, se comportent comme des policiers lors d'interrogatoires musclés, M. Takayama n'a convaincu personne. Résultat, dès le lendemain matin, jeudi 27, Olympus a dû re-convoquer en urgence la presse avec un argumentaire un peu plus solide pour justifier les achats d'entreprises effectués dans le passé, dont la légitimité a fortement été remise en cause.
Face à des journalistes encore plus remontés que la veille et qui ont empêché la réunion de s'achever dans les temps impartis, les principaux dirigeants du groupe ont assuré que les sommes importantes et commissions payées pour l'acquisition du groupe britannique Gyrus ainsi que la reprise de trois sociétés japonaises, étaient fondées sur une « juste appréciation » et ne laissaient apparaître aucune irrégularité. Ils ont également réaffirmé le motif de renvoi de l'ex patron britannique. « M. Woodford passait de longs moments hors du Japon et lorsqu'il était là, il traitait ses propres affaires, les temps consacrés à écouter les rapports des autres membres de la direction étaient très courts », a alors expliqué un directeur général adjoint d'Olympus, Hisashi Mori. Par la voix de ce dernier et du nouveau PDG, Shuichi Takayama, Olympus s'est surtout employé à tenter de démontrer la logique stratégique qui a présidé à la reprise de Gyrus, ainsi qu'à celle des trois entreprises japonaises - une firme de compléments alimentaires et cosmétiques, une société de recyclage de matériel médical et un fabricant de récipients alimentaires pour four à micro-ondes. « Il est inexact que ces rachats soient illégaux ou qu'il y ait des points irréguliers », a écrit Olympus dans un document-plaidoyer. Pour le rachat de Gyrus, le groupe japonais a expliqué que l'intermédiaire avait souhaité être en partie payé en actions, et que la somme avait gonflé jusqu'à plus de 600 millions de dollars lorsque ces titres ont été rachetés par la suite.
Jeudi 26 octobre, la direction d'Olympus a enfin consenti à livrer le nom de cette firme entremetteuse, Axes, dirigée par un Japonais expatrié aux Etats-Unis, Hajime Sagawa, choisi pour « son expérience et son entregent ».
« Il n'est pas exagéré de dire que le rachat de Gyrus est un succès », a en outre osé le nouveau patron. Et le même d'ajouter que toutes les sociétés acquises forment un ensemble cohérent allant de la prévention sanitaire au recyclage d'instruments médicaux en passant par le diagnostic et le traitement. Selon lui, Olympus ambitionne de « devenir un fabricant intégral dans le domaine médical ».
Pourquoi ces explications n'ont-elles pas été données plus tôt ? Pourquoi ne pas les avoir présentées directement à M. Woodford, ce qui aurait peut-être évité le scandale ?, s'interrogent ouvertement nombre d'actionnaires et observateurs.« Nous ne pensions pas qu'en ne le faisant pas, l'affaire dégénèrerait à ce point », a avoué M. Mori.Bien que l'action Olympus se soit redressée de 23 % à la clôture jeudi après la divulgation de nouvelles informations, les acteurs du marché jugent qu'Olympus n'a pas encore éliminé tous les doutes entourant les transactions. La preuve, dès vendredi le titre a replongé de 10 % et l'affaire est lin d'être finie.
In fine, les produits de la marque et les salariés du groupe sont les victimes les plus à plaindre de ces règlements de comptes qui les dépassent. Inutile de vous en prendre aux appareils Olympus comme le font les deux loubards du manga de JP Nishi, ils n'y sont pour rien, n'ont rien perdu de leur prestige ni de leur qualité.