Live Japon : le rêve brisé des fabricants japonais d'écrans

Karyn Poupée
Publié le 05 novembre 2011 à 11h34
Tout individu un tantinet soigneux qui prend la précaution de coller un film de protection sur l'écran tactile de son smartphone a vécu le cauchemar des bulles d'air si récalcitrantes qu'on les croirait vivantes (manga de Jean-Paul Nishi). Mais ce genre de galère n'est rien comparé au calvaire des fabricants japonais de dalles-mères.

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Il y a ne serait-ce que deux ou trois ans, les fabricants japonais de dalles d'écrans à cristaux liquides (LCD) et plasma investissaient des sommes pharaoniques dans de gigantesques usines au Japon, dopaient la production de leurs sites existants pour le marché des télévisions. Aujourd'hui, ils broient du noir.

En l'espace de trois ans, le discours des patrons de Panasonic, Sharp ou Sony a radicalement changé. Alors qu'ils misaient avec enthousiasme sur la production massive de dalles-mères à technologie plasma ou à cristaux liquides, ils annoncent désormais tour à tour des changement radicaux de braquets. Sharp, pionnier du secteur, avait inauguré en octobre 2009 un immense complexe industriel de façonnage de dalles LCD à Sakai (ouest), avançant même le calendrier pour répondre à la demande. En avril 2010, il annonçait fièrement le doublement, plus tôt que prévu, de la capacité de production de ce site, du fait d'un essor de la demande de téléviseurs. L'usine allait passer d'une production mensuelle de 36 000 dalles-mères à 72 000, l'équivalent d'environ 1,3 million d'écrans de téléviseur de 40 pouces de diagonale (102 cm). Aujourd'hui, Sharp est forcé de rétro-pédaler.

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« Le tarif de vente des dalles de TV ne cesse de chuter faisant peser une pression énorme sur les fabricants », se plaignait en juin le PDG de Sharp, Mikio Katayama. Face à des groupes asiatiques capables de débiter des dalles à bas coûts, les Japonais ne parviennent plus à suivre, pénalisés par la cherté de leur monnaie et installations. Le prix des TV de tailles moyennes dégringole de l'ordre de 30 % par an en magasin, alors que la seule dalle représente 60 % du coût de revient. « Les TV de dimensions inférieures à 40 pouces de diagonale (102 cm) ne sont plus rentables », selon M. Katayama. Et d'ajouter: « il suffit de voir les prix ultra bas pratiqués aux Etats-Unis pour se rendre compte de la difficulté de conserver des marges dans ce domaine hyper-concurrentiel ». Les Taïwanais ont rattrapé plus vite que prévu leur retard technique en se dotant d'équipements de pointe, au demeurant souvent conçus par des groupes nippons. « Pour que nous restions compétitifs, il faut absolument que nos produits se distinguent des autres sur le plan de la qualité car, par ailleurs, nous sommes handicapés par les coûts de production au Japon amplifiés par la force du yen », souligne M. Katayama.

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De fait, au lieu de continuer à fabriquer des dalles pour les TV de tailles moyennes, le groupe estime nécessaire de se concentrer sur deux types de marché pour l'heure jugés plus prometteurs : les petits et moyens écrans pour appareils nomades, dans son usine de Kameyama (centre), et les très grands écrans pour les TV et systèmes d'affichage électronique, à Sakai. Les écrans tactiles des téléphones multifonctionnels (smartphones) et tablettes numériques exigent des technologies avancées et une excellente qualité, conditions que les Japonais remplissent mieux que les autres firmes asiatiques. Apple le sait qui achète ses écrans d'iPhone et iPad à Sharp et Toshiba. Sharp est numéro un mondial dans ce domaine, contrôlant 15 % (en valeur) du marché mondial des petits et moyens écrans. Il figure aussi en bonne place pour les modèles géants destinés à devenir des TV de riches ou dévolus à divers usages professionnels. Là encore, la fabrication des dalles repose sur des technologies particulières qui ne sont actuellement pas à la portée du premier industriel venu. Sharp est encore le seul groupe à même de sortir des dalles dites de 10e génération, de dimensions atteignant 3,05 mètres sur 2,85.

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Sharp n'est en revanche pas le seul à être forcé de repenser de fond en comble sa stratégie. Même motif, même sanction et même système de défense pour son compatriote et concurrent Panasonic. Le géant japonais de l'électronique et de l'électroménager a annoncé ce lundi 31 octobre une vaste restructuration de sa division de production de dalles d'écrans de téléviseurs à cristaux liquides (LCD) et plasma. Le groupe va arrêter de produire en propre au Japon une grande partie des dalles LCD destinées aux téléviseurs. « Nous allons fermer l'usine de dalles LCD de Mobara (est de Tokyo), et réduire la production à Himeji (centre-ouest) au profit de dalles destinées à d'autres usages que les TV », a expliqué le groupe. Il va aussi stopper deux usines de dalles plasma dans l'archipel et renoncer au transfert à Shanghai d'équipements d'un site japonais, selon des documents remis à la presse.

La production sera concentrée dans une usine à Amagasaki (centre-ouest) au lieu de trois sites encore en activité. Pour les TV, « nous allons augmenter l'approvisionnement auprès de fournisseurs étrangers », a précisé le PDG de Panasonic, Fumio Ohtsubo, pour qui les téléviseurs restent néanmoins une activité importante mais qui doit être profitable. Panasonic envisage aussi une réorganisation de son activité de semi-conducteurs pour concentrer ses ressources sur les puces offrant le plus gros potentiel de croissance, dont les capteurs d'images pour produits nomades et les semi-conducteurs de puissance, le tout au détriment de circuits intégrés à grande échelle (LSI).

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Le fleuron nippon Sony est aussi pris dans la nasse. Depuis plus de sept ans, son activité de téléviseurs est ancrée dans le rouge et le groupe dans son ensemble ne dégage plus de bénéfice depuis quatre ans. Sony, numéro deux mondial des TV en parts de marché, s'était associé en 2004 à son rival sud-coréen Samsung, numéro un, pour façonner ensemble des dalles LCD au sein de la coentreprise S-LCD installée en Corée du Sud. Il se fournit aussi en partie auprès de Sharp. Cette tactique devait permettre de sécuriser ses besoins (au moment où il craignait une pénurie) et de mieux rentabiliser les installations grâce à de gros volumes. Sony a déboursé plus d'un milliard d'euros jusqu'en 2009 pour doper la production de la coentreprise S-LCD.

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Las, selon la presse nippone, il envisage aujourd'hui de revendre ses parts à Samsung et de s'approvisionner davantage auprès de sous-traitants. Le groupe japonais espère même aboutir à un accord sur ce plan avec Samsung d'ici à la fin de l'année, mais les discussions risquent d'être difficiles, car Samsung va devoir trouver un gros client pour remplacer, souligne le Nikkei. « Nous étudions plusieurs options avec Samsung », s'est borné à dire le numéro deux de Sony, Kazuo Hirai, lors d'une conférence de presse mercredi 2 novembre. Face à cette situation et à des ventes de TV bien moindres qu'escompté, Sony a aussi pour l'heure renoncé à investir davantage dans l'usine de Sharp à Sakai, alors qu'il devait monter à hauteur de 34 % des parts de la filiale qui exploite le site.

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Par ailleurs, instruits par les déboires liés aux TV, Sony, Toshiba et Hitachi ont annoncé fin août le rapprochement l'an prochain de leurs activités de petits et moyens écrans destinés aux appareils nomades, afin que les industriels nippons restent les champions du monde dans ce domaine.

Les trois firmes, qui ambitionnent de devenir numéro un du secteur, espèrent conclure un contrat définitif à la fin de l'année pour constituer une société commune d'ici au printemps 2012, sous réserve d'approbation des autorités de la concurrence. La nouvelle entité aura pour principal actionnaire un fonds public-privé japonais, Innovation Network Corporation of Japan (INCJ). Tous les actifs des filiales de petits et moyens écrans des trois groupes, (à savoir Hitachi Displays, Sony Mobile Display et Toshiba Mobile Display) seront transférés à la nouvelle société. « Le marché des petits écrans devrait croître au rythme de 21 % par an dans les prochaines années pour atteindre 4 200 milliards de yens (38 milliards d'euros) en 2015, contre 1.600 milliards de yens en 2010 », a expliqué le patron de l'INCJ, Kimikazu Noumi. « Les besoins pour les téléphones de type smartphone devraient augmenter de 51 % par an et la demande pour les tablettes de 33 % », a-t-il précisé, ajoutant « cela devient un marché énorme ».

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« Les Japonais sont puissants dans ce domaine. C'est une chance exceptionnelle qu'il faut absolument saisir, mais c'est maintenant qu'il faut agir, qu'il faut exploiter nos atouts et forces », a-t-il insisté. Bien que les industriels nippons soient en tête dans la fabrication de petits écrans de grande qualité technique requis pour ces populaires produits, ils redoutent la concurrence sud-coréenne et taïwanaise qui s'active également.

« Les autres fabricants mondiaux ont annoncé des investissements importants pour essayer de capter ce marché, ce qui nécessite des réactions appropriées afin d'élever notre compétitivité », ont justifié les trois groupes japonais. « Nous disposons d'excellentes technologies et grâce à cette fusion nous allons pouvoir les utiliser à plus grande échelle », s'est réjoui le patron de Toshiba, Norio Sasaki.

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Pour être en mesure de lutter, il faut une taille critique qui permettre une montée en puissance à mesure que la demande augmente, « ensemble, nous allons pouvoir nous battre à l'échelle internationale », a renchéri son homologue de Hitachi, Hiroaki Nakanishi. Regroupées, les filiales des trois firmes caracolent au sommet, revendiquant une part de marché mondiale sur les petits et moyens écrans de 10 % en volume et de 22 % en valeur, grâce à la concentration sur les modèles à haute valeur ajoutée.

Ces entreprises entendent en outre pousser leur avantage en investissant pour faire fructifier un patrimoine commun qu'aucune n'aurait pu détenir intégralement seule. Proposition a également été faite à Sharp de rejoindre cet ensemble qui s'apparente à un « consortium de défense nationale », mais le numéro un mondial dans cette activité a vraisemblablement estimé qu'il avait encore les moyens de lutter seul. Le fonds INCJ, appuyé par l'Etat, injectera quant à lui 200 milliards de yens (1,80 milliard d'euros) dans la nouvelle entreprise et recevra en échange des actions qui représenteront 70 % du capital et des droits de vote de cette société qui sera baptisée Japan Display. Sony, Hitachi et Toshiba en détiendront pour leur part chacun 10 %. La firme commune à naître comptera six sites de production au Japon et des effectifs de 7 600 personnes au départ. Elle pourrait aussi racheter des équipements à Panasonic pour se doter de nouvelles lignes et investir de façon importante en recherche et développement (R&D) afin de concevoir des écrans à cristaux liquides (LCD) ou organiques électroluminescents (OEL ou OLED) de prochaine génération.

« Je suis certain que le rapprochement des technologies et savoir-faire des trois entreprises va être un nouveau moteur d'innovations technologiques et de croissance », a commenté le PDG américain de Sony, Howard Stringer.

Twitter, en direct du Japon, @karyn_poupee
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