Ce concept, imaginé par une chaîne de salons baptisée QB House, fonctionne du feu de dieu depuis 15 ans, grâce à la combinaison d'une multitude de technologies. Jean-Paul Nishi (pseudonyme du mangaka Taku Nishimura mais aussi personnage central d'un manga publié au Japon) a payé de sa personne pour Clubic.
« QB House se préoccupe du temps et de l'argent de ses clients », prétend un tenancier d'un des quelque 400 salons QB House du Japon. Cette chaîne existe depuis fin 1996, une période de crise économique post-bulle financière et immobilière, au cours de laquelle les Japonais, démoralisés par la piètre conjoncture, secoués par le séisme de Kobe ou encore terrorisés par l'attentat au gaz sarin dans le métro de Tokyo, n'avaient plus envie de dépenser d'argent.
« Pas cher, rapide, pratique, simple, sans rendez-vous » : avec ces quelques arguments-clés, le concept QB House s'est rapidement développé dans tout le pays, essentiellement près des gares et autres lieux de transit de salarymen, guère disposés à passer deux heures chez un coiffeur. En mars 2000 ouvrait le 50e salon, un an et demi plus tard le 100e, en 2002, on en comptait 300 et cent de plus à présent, sans compter ceux ouverts à l'étranger.
Le succès de QB House repose sur l'utilisation de méthodes propres et moyens techniques inédits, parfois surprenants, avec une philosophie tenant en quatre volets:
- on supprime tout ce qui est superflu, tout ce qui n'est pas directement lié à la coupe elle même (just cut).
- on réduit le temps, l'espace et les frais (prix unique, 1000 yens)
- on augmente l'hygiène et la sécurité (de façon ostentatoire)
- on fait travailler le client (sans le dire).
En devanture de chaque QB House, où l'on est censé être coiffé en 10 minutes, est fixé un genre de feu rouge : il s'agit d'un indicateur du temps d'attente approximatif. Vert = on s'occupe de vous tout de suite. Orange : entre 5 et 10 minutes d'attente. Rouge : 15 minutes ou plus de patience. Grâce à cette information, le client entre en connaissance de cause et ne s'enquiert pas auprès du coiffeur du temps d'attente, ce qui évite des discussions chronophages. Le changement de couleur du feu est automatique, en fonction du nombre de personnes déjà dans le salon. Ce calcul ne nécessite aucune action spécifique: il se fait en temps réel grâce à des capteurs installés dans les fauteuils. Ce dispositif permet en outre, grâce à un système en réseau, aux dirigeants du groupe de recueillir des statistiques précises horodatées sur le nombre de personnes fréquentant tel ou tel salon, de savoir quels sont les jours et heures de pointe, et d'évaluer ainsi la nécessité ou non d'ouvrir un deuxième point de présence à proximité. C'est ainsi que l'on dénombre pas moins de trois QB House à la gare centrale de Tokyo et que d'autres sont peut-être déjà prévus.
Lorsque le client entre, il sait par avance combien il va payer: le tarif est le même pour tous, 1 000 yens (un peu moins de 10 euros). Pourquoi ne pas avoir choisi un type de tarif psychologique habituel, tel que 980 yens ? Eh bien parce que 1 000 yens correspond à un seul billet de banque, le plus répandu. Le billet en question (le seul accepté), on le glisse en entrant, sans mot dire, dans une machine d'encaissement, développée spécialement, appareil qui donne en échange un reçu. Un prix de 980 yens aurait compliqué les choses pour le client, allongé le temps et nécessité une machine plus chère, capable de rendre la monnaie. Depuis quelques années, QB House accepte aussi le paiement par porte-monnaie électronique, ce qui permet par exemple de régler avec sa carte de train/métro ou avec son téléphone portable.
Lorsque vient son tour, on donne le ticket en question au coiffeur, comme preuve de paiement, puis l'on prend place sur l'un des fauteuils de coiffage, directement, sans passer par les bacs de lavage. Et pour cause, chez QB House, il n'y en a pas. « Just cut », on coupe les cheveux, on ne les lave pas, ce qui apparemment arrange pas mal d'hommes.
Les ciseaux et autres instruments de coupe sont stérilisés entre deux clients dans un engin qui ressemble à première vue à un four à micro-ondes. Quant au peigne, il est à usage unique et est offert au client après la coupe. Tout est étudié pour que le coiffeur ait le moins possible de déplacements et gestes non relatifs à la coupe à effectuer. Tout est à portée de main dans un espace des plus réduits. Les affaires du client sont placées directement dans un placard derrière la glace en face du fauteuil. Une fois les cheveux taillés, les poils coupés qui ont tendance à rester dans la chevelure en sont extirpés par une sorte d'aspirateur (« air washer ») lui aussi conçu spécifiquement. Les cheveux tombés au sol sont quant à eux balayés et poussés dans une trappe située sous le fauteuil ou dans le pan de mur.
Dans certains QB House sont également installés des écrans LCD où défilent des informations en tout genre, envoyées au réseau de boutiques depuis un serveur de contenus multimédias, un concept généralement connu sous l'appellation « digital signage ». Les données ainsi distribuées sont fonction du lieu, du jour, de l'heure et éventuellement d'autres critères jugés pertinents. Les coiffeurs n'ont rien à faire, juste allumer lesdits écrans, le tout étant géré de façon centrale et la plus automatique possible à distance, via Internet.
Pas de comptoir, pas de toilettes, pas de téléphone (les prises de rendez-vous ne sont pas acceptées), c'est autant de place de gagnée. Les salons ne sont pas toujours jolis (même parfois très moches), mais toujours situés en des points de passage stratégiques. On dit même que la maison-mère, QB Net, s'arrange pour les implanter près de lieux où se trouvent des WC pour hommes, de sorte que le client qui se rend aux urinoirs les cheveux fraîchement coupés donne envie à ses congénères d'en faire autant. Bingo, il y a justement un QB House à côté.
Les salons QB House n'ont certes pas une excellente image auprès du citoyen lambda, mais les milieux d'affaires saluent leur inventivité. Ils coiffent quand même plus de 12 millions de têtes au Japon chaque année, un nombre en croissance constante, pour une population de 127 millions d'individus dont moins de la moitié sont susceptibles de s'y rendre. Pour qu'un salon de ce type, où oeuvrent deux ou trois coiffeurs, soit rentable, il faut qu'y soient accueillies plus de 100 personnes par jour, soit de huit à dix par heure. La clientèle est constituée en grande majorité d'hommes d'une trentaine à une soixantaine d'années, raison pour laquelle il est précisé que les individus un tantinet imbibés d'alcool ne sont pas bienvenus, de même que l'utilisation des téléphones portables y est interdite.
Afin d'élargir la cible, QB Net a lancé plusieurs autres concepts comme « 20 mn, 2 000 yens » dans des salons pour femmes appelés « Quatre beauté » (sans s) ou « Fass » pour les jeunes hommes et filles d'une vingtaine d'années particulièrement attachés à leur look. Tout récemment a été créé « Ikka », pour les mamans et leurs enfants, où le tarif est aussi de 1 000 yens en 10 minutes pour une mère et son fils ou sa fille. Cette dernière initiative a été conduite en partenariat avec la compagnie de chemins de fer JR Est, dont les gares sont de véritables villes dans la ville avec de multiples boutiques et services. Dans certains des nouveaux salons sont aussi installés des terminaux sans contact pour obtenir des points de fidélité grâce à son téléphone portable, un type de service désormais extrêmement fréquent au Japon.
Les jeunes coiffeurs n'ambitionnent généralement pas de travailler chez QB House mais, contrairement aux idées reçues, ceux qui y consentent y acquierent, grâce à de régulières séances de formation, une technique très particulière pour être capables de coiffer une personne en dix minutes, y compris un Premier ministre, type de personnalités qui ne fréquentent généralement que les coiffeurs du Parlement ou des grands hôtels.
Quant à Jean-Paul Nishi, il est ressorti ma foi plutôt satisfait.
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