Du côté des fabricants de TV, le bal des mauvaises nouvelles a été ouvert mercredi 1er par Sharp, pionnier des écrans à cristaux liquides (LCD). Pour les mois d'avril à décembre 2011, le groupe a fait état d'un déficit net de plus de 2 milliards d'euros sur un chiffre d'affaires qui a dégringolé de 18% par rapport à celui des mêmes mois de 2010, à moins de 20 milliards d'euros.
Du coup, il s'attend à présent à une perte nette annuelle de près de 3 milliards alors qu'il espérait précédemment un petit bénéfice. Sharp s'est enfoncé dans le rouge, en partie à cause de la prise en compte dans ses calculs d'une charge fiscale exceptionnelle, mais il est surtout victime de la chute exécrable des tarifs de vente de ses téléviseurs et composants à cause de la concurrence. Par ailleurs, le groupe a déploré une baisse des revenus tirés des dalles LCD nues fournies à d'autres fabricants de téléviseurs, un manque à gagner seulement en partie compensé par des commandes accrues pour les petits écrans tactiles destinés aux téléphones portables et tablettes numériques multimédias. Sharp a investi des milliards les années précédentes dans de gigantesques usines de dalles, lesquelles tournent à présent au ralenti en attendant d'avoir éclusé les stocks ou d'être reconverties pour fabriquer d'autres produits.
Dans ce contexte, Sharp a entrepris une profonde réorganisation de son activité d'écrans LCD afin d'échapper à la féroce concurrence et de capter les marchés stratégiques en croissance. Il va ainsi se concentrer sur deux types de marchés: les petits et moyens écrans pour appareils nomades et les très grands écrans pour les TV et systèmes d'affichage électronique ou autres applications.
Les panneaux solaires, autre produits forts de Sharp, subissent un sort identique à celui des TV, à cause de méventes en Europe et d'une baisse des prix sur le marché intérieur où la compétition s'accentue sur fond d'augmentation des besoins du fait de l'arrêt de 90% des réacteurs nucléaires à la suite du séisme du 11 mars.
Jeudi 2, c'était au tour de Sony d'annoncer ses comptes, lesquels ne sont pas reluisants non plus, quasiment pour les mêmes raisons.
Le fleuron nippon du secteur a fait état d'un déficit net de 2 milliards d'euros pour un chiffre d'affaires qui a perdu 12,6% sur un an à 49 milliards d'euros. Sony ne dégage plus de marges d'exploitation, non seulement parce qu'il ne gagne pas d'argent avec ses TV mais aussi parce que, très présent sur les marchés extérieurs, il subit l'ascension insoutenable de la devise japonaise. Le produit de ses ventes hors du Japon est ainsi mécaniquement réduit une fois converti en yens, à moins d'augmenter les tarifs en euros ou dollars, ce qui sabote la compétitivité face aux concurrents, sud-coréens notamment, qui font chuter les prix en rayon, alors que les coûts structurels faiblissent peu.
"La télévision est l'appareil de loisir familial par excellence, nous devons absolument remettre cette activité sur pied", a insisté le futur PDG Kazuo Hirai dont la promotion à la tête de Sony a été annoncée mercredi. Le quinquagénaire M. Hirai veut absolument que Sony redevienne numéro un dans ce domaine comme dans celui des jeux vidéo.
Sony a récemment pris le taureau par les cornes et cédé ses parts dans la coentreprise de dalles à cristaux liquides (LCD) détenue avec le rival sud-coréen Samsung, afin de profiter de la baisse des tarifs des dalles au lieu de la subir. Le retrait de la fabrication de dalles LCD est en effet censé lui permettre de s'approvisionner de façon plus souple au prix du marché auprès de fournisseurs extérieurs.
Par ailleurs, Sony entend mettre à profit ses technologies d'images dans des domaines jugés porteurs mais dans lesquels il n'est que peu présent pour l'heure, dont l'imagerie médicale qui doit devenir "une des divisions centrales du groupe", selon M. Hirai. Le successeur désigné de l'actuel PDG américain Howard Stringer a en revanche refusé de commenter un éventuel partenariat avec le compatriote Olympus, numéro un mondial des endoscopes qui cherche un allié industriel pour rétablir ses finances après le scandale de camouflage de pertes dans lequel il s'est embourbé ces derniers mois.
Au vu des piètres résultats de Sharp et Sony, vendredi 3, tout le monde guettait les annonces de Panasonic, troisième gros fabricant de TV nippon. Eh bien ce fut pire que prévu. Le géant d'Osaka a prévenu qu'il s'attendait à terminer en mars l'exercice 2011-2012 sur une perte nette historique de près de 8 milliards d'euros à cause de ventes en baisse, des effets du séisme au Japon, de la hausse du yen, des inondations en Thaïlande, de la concurrence et de charges exceptionnelles. Le groupe pensait auparavant essuyer un déficit net de quelque 4 milliards d'euros, mais sa situation s'est aggravée alors qu'il est en train de digérer l'absorption des filiales Sanyo et Panasonic Electric Works et obligé de procéder à une vaste restructuration touchant notamment la division des dalles de téléviseurs.
Comme Sharp et Sony, Panasonic est victime d'une baisse de la demande de téléviseurs à écrans plats au Japon, alors que ces derniers constituaient auparavant sa vache à lait. Maintenant que les foyers nippons sont tous équipés de modèles numériques relativement récents, achetés avant l'interruption du signal analogique en juillet 2011, une importante source de revenus s'est tarie. Dans le même temps, handicapé par la cherté de la monnaie japonaise, il peine à rivaliser dans ce domaine à l'étranger où les sud-coréens Samsung Electronics et LG proposent des appareils ultra-compétitifs, quitte à être moins méticuleux sur le choix des matériaux. En période de crise, les acheteurs font du prix un critère premier et acceptent des compromis sur le reste, ce que Samsung et LG ont fort bien compris.
Par ailleurs, les ventes de composants de Sharp, Sony et Panasonic ont quant à elles souffert d'un défaut de production et d'une baisse de la demande à cause du séisme au Japon en début d'exercice et de la désorganisation industrielle en Asie en fin d'année 2011 à la suite des inondations qui ont endommagé des sites de production en Thaïlande, une catastrophe qui a aussi forcé Sony à différer le lancement d'appareils photo au Japon.
Sony évalue désormais à 70 milliards de yens (700 millions d'euros) l'impact négatif sur les résultats annuels d'exploitation de ces intempéries en Thaïlande, un montant supérieur à l'estimation initiale à cause de l'extension du champ des dégâts.
A l'opposé, les fabricants d'appareils photo de renom, Canon et Nikon, affichent des performances presque insolentes, même s'ils ont eux aussi subi les catastrophes au Japon, la hausse du yen, une baisse de prix et les conséquences des dégâts des eaux en Thaïlande.
Canon a terminé l'année en décembre avec un gain net de 2,5 milliards d'euros, supérieur à ses attentes en dépit d'une baisse de 4% de son chiffre d'affaires à 36 milliards d'euros. Le groupe espère en outre dégager cette année un profit net à peu près du même niveau et totaliser des recettes de vente en augmentation de plus de 5%. Au cours des mois de janvier à décembre 2011, les affaires de Canon ont été plutôt bonnes, grâce aux achats d'appareils photo, produits bureautiques et imprimantes à jet d'encre. Le groupe a rapidement réagi aux désastres en déplaçant des sites de production ou en mobilisant des moyens exceptionnels pour remettre en service des installations. En janvier, Canon s'est même fendu de deux communiqués annonçant des constructions d'usines d'imprimantes à jet d'encre aux Philippines et de copieurs multifonctionnels en Thaïlande.
Son éternel rival dans le domaine des appareils photo, Nikon, a quant à lui annoncé vendredi 3 un doublement de son bénéfice net pour les trois premiers trimestres de l'exercice 2011-2012, même si la hausse du yen, le séisme au Japon et les inondations en Thaïlande lui ont causé un lourd manque à gagner.
Bien que le produit de ses ventes à l'étranger génère moins de revenus que prévu une fois converti en yens et que sa production ait souffert des désastres, Nikon a affiché un profit net de 470 millions d'euros grâce à des ventes qui ont progressé de 8% sur un an à 7 milliards d'euros. Ses belles performances découlent d'une augmentation des ventes d'appareils photo et d'une amélioration significative de la rentabilité des équipements optiques de contrôle pour l'industrie des semi-conducteurs.
Au cours des neuf mois passés en revue, Nikon a écoulé 3,67 millions d'appareils reflex (520 000 de plus qu'un an plus tôt dans le même laps de temps), un nombre record de modèles compacts (13,87 millions, +2,27 millions) et 5,56 millions d'objectifs interchangeables (760 000 de plus). Nikon n'a pourtant pas été épargné en 2011. Une importante usine de production de boîtiers numériques à visée reflex a été noyée. Nikon a cependant très vite pris des dispositions pour accélérer le retour à la normale.
Reste que la principale différence entre les fabricants de TV nippons et ceux d'appareils photo, et autres produits optiques est que les seconds ne sont pas concurrencés aussi vivement par des rivaux asiatiques. Nikon, Canon ou encore Fujifilm disposent pour leurs appareils photo, instruments de contrôle de semi-conducteurs et équipements médicaux, scientifiques ou bureautiques de technologies et savoir-faire optiques, fruits d'une longue expérience dans ce domaine que n'ont pas les mastodontes de l'électronique sud-coréens.