La tragédie qui s'est produite il y a tout juste un an dans le nord-est du Japon a fait prendre conscience de cette lacune, tout comme elle a rappelé aux hommes et femmes nippons l'importance des relations humaines en cas de coup dur (lire le manga du dessinateur japonais J.P. Nishi, un des invités officiels du Salon du Livre de Paris la semaine prochaine, en hommage à la population nippone meurtrie).
Seulement 32 % des entreprises du Japon ayant répondu à une enquête mondiale du groupe de location de bureaux Regus ont préparé un plan de relocalisation partielle de leurs activités dans les 24 heures, en cas de tremblement de terre massif ou autre sinistre, tandis que la moyenne mondiale serait de 45%. Pour près de la moitié, des 320 chefs de firmes ayant participé à cette étude effectuée fin 2011, soit plusieurs mois après le drame du 11 mars, la préparation à l'avance d'un site secondaire, de systèmes informatiques de secours et autres moyens employant notamment les technologies de l'information, est une opération trop coûteuse.
"Cette enquête a clairement montré que, malgré l'expérience du tremblement de terre survenu il y a tout juste un an, les entreprises japonaises sont toujours en retard dans la mise en oeuvre de plans de reprise d'activité post-séisme", regrette Takashi Kure, président de Regus Japan. L'Etat japonais fait le même constat. Toutefois, la faible moyenne nationale masque la forte disparité existant entre les grosses entreprises comme Sony, Canon, Panasonic, Toyota ou Sharp, importantes structures qui disposent de nombreux sites dans le monde, et les très très nombreuses moyennes, petites ou très petites sociétés nippones qui ne comptent qu'un lieu d'actvité et quelques employés, même si elles contrôlent parfois près de 100% du marché mondial d'un type de produits qu'elles sont les seules à savoir ou pouvoir fabriquer.
La quasi-intégralité des plus grosses sociétés ont un plan de continuité d'actvité (communément appelé BCP au Japon) tandis que leurs soeurs cadettes disent ne pas en avoir les moyens. Et même pour des importantes compagnies, les dégâts infligés à des installations sont difficiles à prévoir et les parades à préparer. Quand l'usine de Hitachi-Naka de la société Renesas Electronics (entité née de la fusion de Renesas Technology et NEC Electronics) a été mise en péril par le tremblement de terre du 11 mars, ce n'est pas qu'elle n'était pas munie de structures parasismiques et de plans de secours, mais parce que le niveau des secousses a dépassé les prévisions. Or, ce site, qui produit des micro-contrôleurs et autres puces électroniques pour automobiles et une diversité d'appareils numériques, pouvait difficilement disposer d'un lieu similaire redondant tant il enferme d'équipements ultra-onéreux. Résultat: pendant des mois la production a été totalement interrompue et des clients (Toyota, Honda, Nokia, etc.) obligés de stopper des chaînes d'assemblage.
Pour autant, comme le rappellent les spécialistes, un BCP ne consiste pas à tout doubler à l'autre bout du pays pour permettre à l'entreprise de reprendre ses opérations à 100% en 24 heures, mais à disposer d'un plan de secours global prenant en compte les fournisseurs et clients pour être capable de relancer au minimum les activités vitales de la société en un temps le plus court possible et protéger au mieux son patrimoine avant un retour progressif vers une situation normale. L'Etat, via l'Agence des petites et moyennes entreprises propose d'ailleurs un guide pour les sociétés qui se demandent souvent comment procéder et qui, en tombant en rade, peuvent entraîner une réaction en chaîne sur leurs clients et des conséquences économiques dépassant largement le montant de leurs propres pertes .
Dans l'optique de limiter les répercussions d'une catastrophe naturelle, les technologies de l'information et de la communication sont parmi les plus indispensables. L'une des premières précautions à prendre dans de nombreux cas est en effet de disposer d'une sauvergarde externe des données informatiques, si possible la plus distante possible du site principal. Beaucoup de grosses firmes japonaises dont le siège se trouve à Tokyo ont ainsi une copie de leurs informations dans des centres de traitement de l'ouest de l'archipel (région d'Osaka) ou, mieux encore, sur l'île d'Okinawa distante de plus de 1.000 kilomètres de la capitale et où le danger sismique est jugé plus faible. La faiblesse se beaucoup de sociétés est toutefois de considérer qu'un serveur de secours à quelques kilomètres est suffisant, tout comme la compagnie Tokyo Electric Power (Tepco) avait cru qu'en étant situé à 5 km du complexe atomique de Fukushima, le centre secondaire de gestion de la centrale permettrait d'y contrôler la situation. Il aurait fallu qu'il soit bien plus loin, car l'étendue des dégâts et de la contamination radioactive furent tels le 11 mars et les jours suivants dans la région que ce lieu de substitution ne put être exploité.
Pour certains, le Japon étant dans son entier et en permanence menacé par les catastrophes naturelles, c'est même à l'étranger qu'il faut songer à installer des moyens de secours. Les deux groupes de télécommunications japonais Softbank et sud-coréen KT proposent ainsi aux entreprises nippones de sauvegarder une copie de leurs données en Corée du Sud dans deux centres situés à Séoul et Pusan, avec des services spécifiques joignables 24 heures sur 24 en japonais. "De nombreuses entreprises nippones ont subi les conséquences du séisme et du tsunami du 11 mars au Japon et ont dû ralentir ou suspendre leurs activités", a rappelé le patron de Softbank, Masayoshi Son, lors d'une conférence de presse à Tokyo quelques mois après la tragédie.
"80% des sociétés de la capitale n'ont pas de sauvegarde distante de leurs données. Si un désastre se produit qui affecte la région dans son entier, leurs informations deviennent inutilisables", a-t-il alors affirmé. La vulnérabilité est apparue soudainement et de fait, M. Son dit avoir constaté une très forte augmentation de la demande de sauvegarde depuis la catastrophe. Ces besoins sont en outre renforcés par la nécessité de réduire la consommation électrique en utilisant des moyens mutuels, puisque la quasi intégralité des réacteurs nucléaires du pays sont arrêtés (seulement deux sur 54 sont encore en service au Japon un an jour pour jour après le début de l'accident de Fukushima).
Le choix de Softbank de proposer des infrastructures de sauvergarde en Corée du Sud a été motivé par le fait qu'il s'agit du pays étranger le plus proche de l'archipel, que les tarifs de l'électricité y sont bas et que l'accès aux données ne sera pas plus compliqué ni plus long que dans une région du Japon. "Nous ne pensions pas offrir ce type de prestation depuis l'étranger avant le désastre du 11 mars, mais cela nous apparaît désormais nécessaire au vu des conséquences de ce drame", a confié le patron de Softbank, lui même d'origine sud-coréenne. "Bien sûr, les entreprises se posent des questions sur la sécurité de leurs informations, mais nous leur offrons une structure extrêmement sécurisée", a assuré M. Son.
"La Corée du Sud n'est pas un pays en développement mais une nation avancée qui respecte les règles internationales (sur le traitement et la protection des informations)", a pour sa part assuré le PDG de KT, Suk-Chae Lee. Reste que cette initiative a suscité une grande méfiance car les firmes sud-coréennes sont parfois accusées d'espionner leurs rivales japonaises et de s'en inspirer tant et si bien que les plaintes pour violation de brevets ne sont pas rares entre firmes d'électronique des deux pays. Quant aux particuliers, ils fuiraient sans doute en masse une banque ou une compagnie d'assurance si elle leur indiquait que "par mesure de sécurité en cas de séisme, toutes les données les concernant sont régulièrement copiées et conservées sur un serveur installé à l'étranger".
Au-delà des moyens techniques, le BCP suppose aussi la préservation de la main-d'oeuvre. La mise à disposition de tous les salariés pour qui cela est utile d'un ordinateur portable à domicile peut s'avérer une sage précaution, car comme l'a montré la castrophe du 11 mars, les trajets deviennent parfois impossibles pour de nombreuses personnes. Inversement, il peut-être utile aussi d'avoir dans l'entreprise des lits, couvertures de survie et stocks de vivre.
Le BCP et les moyens humains, financiers et techniques qu'il suppose ne se limite pas aux sociétés privées. Même s'il se montre donneur de leçons, l'Etat japonais n'est pas nécessairement prêt à faire face au tremblement de terre majeur qui menace Tokyo. Le gouvernement reétudie ainsi depuis quelques semaines un projet qui avait été abandonné pour des raisons financières mais qui est réapparu nécessaire: la création de structures administratives de secours à Osaka, à 550 kilomètres à l'ouest de Tokyo, au cas où la capitale serait en péril, un fait hélas hautement probable (risque allant de 70% dans les 30 ans à 50% dans les 4 ans, selon diverses études).
Depuis le 11 mars, on enregistre en moyenne 1,48 tremblement de terre de magnitude supérieure à trois chaque jour à Tokyo, un chiffre cinq fois supérieur à ce qu'il était auparavant. D'après une simulation de l'Agence de prévention des désastres, si un séisme de magnitude 7,3 se produisait dans la partie nord de la baie de la capitale un jour de semaine à 18 heures avec un vent de 15 mètres par seconde, 6.400 personnes seraient tuées et 160 000 autres blessées. Quelque 471 000 habitations et bâtiments seraient totalement détruits, dont la majorité par des incendies attisés par le vent, d'autres par les secousses ou encore par une "liquéfaction du sol" de terrains constitués de remblais artificiels. Il y aurait 96 millions de tonnes de déchets générés à Tokyo, quatre fois plus que dans les trois préfectures du nord-est ravagées par le raz-de-marée du 11 mars. L'impact économique serait colossal (plus de 1 100 milliards d'euros) et la désorganisation totale, étendue à l'échelle nationale.