Parmi les objets distingués cette année, figurent les fameuses toilettes électroniques à jet d'eau « Washlet-G », développées par l'entreprise nippone de sanitaires Toto en 1980... mais toujours pas adoptées en France, comme le souligne ici J.P. Nishi, dans un style proche de son dernier manga - A nous deux, Paris ! - (éditions Picquier)
En prélude au « jour des machines », le 7 août, et au terme d'un long processus de sélection et étude d'un an, la Société japonaise de l'ingénierie mécanique a annoncé cette semaine les cinq appareils retenus pour entrer dans la liste très restreinte du « patrimoine japonais des machines ». Les Washlet-G de Toto en font partie. « Initialement, au Japon, on n'avait pas l'habitude de se laver le derrière aux toilettes avec de l'eau tiède », rappelle l'organisme dans son argumentaire, « mais Toto a importé cette idée d'abord en commercialisant en 1964 au Japon des toilettes « Wash air seat » de l'entreprise américaine Bidet initialement destinées aux hôpitaux et autres structures de soins ».
Las, ces toilettes à l'esthétique très « appareil médical » ne se sont pas vendues du tout. Toto, cependant, avait mordicus l'envie que les foyers nippons s'équipent de ce genre de sanitaires ultra-modernes. Si bien qu'en 1978, le groupe décida de développer lui-même des modèles qui puissent convenir à monsieur tout-le-monde. En apparence cela paraissait simple, mais la réalité était tout autre. Vous n'imaginez pas le nombre de paramètres qu'il fallut prendre en compte et les technologies à inventer ou adapter pour rendre l'objet fiable et sûr, car généralement, électronique et eau ne font pas bon ménage (court-circuit, électrocution, surchauffe, etc.).
« La position de l'anus des individus n'est pas exactement la même pour tous et il n'existait nulle part de données sur ce sujet », racontait dans une récente interview un des protagonistes. Les ingénieurs de Toto payèrent de leur personne et, à force de prières et courbettes, réussirent aussi à louer les fesses de leurs collègues et proches pour faire des essais sur un total de quelque 300 personnes afin de déterminer la position et l'orientation idéales du jet ainsi que la température et la quantité les plus appropriées de l'eau ou encore la tièdeur souhaitable du siège. « Pour concrétiser leur projet, ils ont dû eux-mêmes mettre au point un système de régulation de la température, un échangeur de chaleur, un dispositif de jet incliné, etc. », rappellent les membres de la Société de l'ingénierie mécanique.
En 1980, le modèle initial, Washlet-G, fut mis en vente. Non sans rencontrer une certaine réticence de la part des médias, Toto réussit à en faire astucieusement la promotion dans les journaux et à la télévision avec le slogan « moi aussi je veux qu'on me lave les fesses ». Le prix des premières versions excédait 150 000 yens (plus de 1 500 euros au cours actuel) mais, rapidement, Toto parvint à proposer des variantes un tiers moins onéreuses, facilitant ainsi l'adoption par les foyers, d'autant que les firmes concurrentes s'y mirent aussi.
Actuellement, dans les grandes surfaces d'électronique, s'alignent plus d'une cinquantaine de modèles récents signés Toto, Inax, Panasonic ou Toshiba, pour un prix allant de moins de 150 euros à plus de 1 500 euros avec des fonctions de plus en plus perfectionnées (siège à ouverture automatique chauffant, commandes murales à infrarouge, différents jets d'eau pour hommes et femmes avec position, pression, mouvements et température ajustables, séchage, système de nettoyage du dispositif à jet d'eau, désinfection de la cuvette, désodorisant à ions négatifs, fonctions d'économie d'énergie et eau selon la fréquence d'utilisation, fausse sonorité de chasse d'eau pour masquer les buits honteux, pesée de la personne, chasse d'eau automatique, etc.).
La plupart des lieux collectifs (magasins, restaurants, hôtels, entreprises) du Japon sont dotés de ce type de toilettes (très souvent des modèles Toto) et plus de 70 % des maisonnées en sont équipées. Plus récemment les trains à grande vitesse nippons (Shinkansen) et les nouveaux avions (Booeing 787 d'All Nippon Airways - ANA) sont aussi pourvus de ces toilettes high-tech. Au total, à lui seul, Toto en a vendu plus de 30 millions en 30 ans, auxquels s'ajoutent ceux des rivaux. Le pionnier propose même depuis 1995 des versions de poche (110 euros) que l'on peut ainsi utiliser dans toutes toilettes du monde. Le modèle portable est aussi recommandé pour nettoyer les fesses de bébé lors des changements de couches hors de chez soi.
A l'étranger en revanche, en dehors de quelques grands hôpitaux, hôtels et autres de lieux prestigieux, ça ne prend pas. Ce toilettes électroniques sont même souvent critiquées (gâchis d'énergie et d'eau) par des personnes qui n'ont le plus souvent jamais essayé et ignorent non seulement le confort qu'elles procurent, mais aussi le fait qu'elles ne sont pas nécessairement si énergivores, que grâce à un système d'aspiration et de tourbillon elles n'usent que 6 litres d'eau ou moins (contre 13 litres pour des chasse d'eau traditionnelles) et qu'elles ont en plus des vertus hygiéniques et sanitaires limitant notamment la consommation de médicaments laxatifs et de papier-toilette. Pour l'anecdote, sachez enfin que, par je ne sais quelle coïncidence, Toto n'a rien trouvé de mieux que de baptiser son revêtement antisalissure de sanitaires "Ce Fion tect", ce qui ne laisse de surprendre tout Français de passage dans des toilettes nippones.
Sans transition. Outre les Washlet-G, a notamment été inscrit cette année au patrimoine japonais des appareils ayant fait avancer les technologies le Ricopy 101, premier photocopieur électrostatique développé par Ricoh en 1955, faisant de ce groupe de bureautique nippon un sérieux rival de l'américain Xerox.
Les toilettes de Toto et le copieur de Ricoh ont ainsi rejoint au patrimoine officiel une cinquantaine d'autres appareils/systèmes, parmi lesquels le premier modèle de Shinkansen (O Kei, 1964), le premier avion civil régional nippon conçu après-guerre (YS-11, 1964), la première voiture électrique japonaise (Tama E-4S-47 de Tachikawa Hikouki, 1947), les premiers automates mondiaux polyvalents de vente de tickets (conçus par Takamisawa et notamment utilisés pour l'accès à l'Exposition universelle d'Osaka en 1970), les premiers portillons de gare automatiques à tickets magnétiques (Tatteishi - aujourd'hui Omron -, 1967), la première calculatrice mécanique (appelée « jido soroban » = boulier automatique, 1902), les premiers « Telex » japonais (Shinko Seisakusho, années 1940-1950), ou encore le premier endoscope conçu en 1950 par Olympus, société qui contrôle aujourd'hui 70% du marché mondial de ce type d'instruments médicaux.