Live Japon : Rakuten, ou la gnac sans frontière de Mikitani

Karyn Poupée
Publié le 12 janvier 2013 à 18h22
Rakuten, le paradis de la vente en ligne au Japon. C'est ainsi que se présente la première galerie marchande virtuelle de l'archipel, la seule qui dame le pion à la filiale d'Amazon au Japon, bien que celle-ci affiche de solides performances avec un service quasi-irréprochable.

Pourtant, même s'il est numéro un en son pays, Rakuten est battu à plates-coutures à l'échelle mondiale par l'ensemble du groupe Amazon, dix fois plus gros, ce qui turlupine le patron et fondateur de la firme nippone, Hiroshi Mikitani. Ce jeune loup, qui a fait ses classes dans le milieu bancaire, a la gnac, au point de penser « beaucoup se sont cassé les dents face à Amazon, mais nous, puisqu'on est fous, on ose croire qu'on arrivera à le renverser ».

Et voilà pourquoi depuis 16 ans, Rakuten grossit non seulement au Japon, mais aussi à l'étranger et pourquoi le patron impose l'anglais à ses collaborateurs.

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Rakuten est, au Japon, le gérant d'un immense centre commercial en ligne, Rakuten Ichiba. Le groupe fournit la plate-forme (c'est-à-dire tous les moyens techniques de gestion d'un espace de vente, de l'approvisionnement en articles au paiement, en passant par le recrutement de clients, les commandes, etc.). Rakuten se rémunère sur un pourcentage des quelque 12 milliards d'euros de ventes réalisées par ses 40 000 partenaires commerçants. Avec Rakuten Ichiba, les petits détaillants qui ont pignon sur rue peuvent, en suivant les conseils des quelque 1200 consultants du groupe, étendre à l'ensemble du Japon et au-delà leur zone de chalandise. Rakuten a ainsi sauvé de la faillite des commerçants de province dont le pas-de-porte n'est guère fouler par les clients mais dont le carnet électronique de commandes via le site marchand est plein à craquer. Le quotidien économique japonais Nikkei citait récemment le cas d'un brasseur régional qui était sur le point de manger la grenouille avec ses dix salariés et qui aujourd'hui compte 50 employés, croûlant sous les demandes émanant, qui plus est, de plusieurs pays.

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De plus en plus de Nippons se convertissent au commerce en ligne pour leurs achats de la vie quotidienne (y compris les produits frais, légumes, fruits, poissons, pâtisseries, etc), encouragés par des délais de livraison de plus en plus rapides (la plupart des achats sont livrés le jour-même, le lendemain ou surlendemain de la commande) et la possibilité de faire ses courses à partir de son téléphone portable.

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A l'étranger, les affaires de Rakuten prospèrent aussi grâce aux solides performances de ses filiales, acquises ou nouvellement créées, dont le site français PriceMinister, l'américain Buy.com ou encore Rakuten Deutschland. Récemment, Rakuten a largement étendu ses activités internationales en mettant la main sur la société canadienne de livres numériques Kobo, celle qui produit notamment une liseuse du même nom pour la Fnac. Rakuten a aussi racheté fin 2012 Alpha Direct Services (ADS), un prestataire français de logistique pour le commerce via internet et la vente à distance traditionnelle. But: améliorer ses services en France, en posant les jalons pour reproduire dans divers pays le schéma gagnant mis en place au Japon. « Cette acquisition va permettre aux commerçant en ligne de proposer des livraisons dans la journée sur Paris et le lendemain ailleurs », assure Rakuten soulignant l'importance de cette nouvelle étape pour la qualité de l'offre commerciale de PriceMinister.

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Rakuten possède enfin une agence de voyage virtuelle ainsi qu'une division financière, qui offre des services bancaires, des moyens de paiement et une maison de courtage en ligne. Le porte-monnaie électronique à puce sans contact Edy, très largement utilisé au Japon dans les supérettes, les supermarchés et autres détaillants, est désormais la propriété de Rakuten. Initialement, il avait été créé par Bitwallet, une filiale ad hoc de Sony.

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A 47 ans, Hiroshi Mikitani est l'un des patrons-vedettes et des plus riches du Japon, un homme que le nouveau Premier ministre Shinzo Abe n'a pas hésité à consulter récemment au sujet des moyens de redonner du sang neuf à l'industrie japonaise, arrivée à maturité et dépassée par le dynamisme de jeunes pousses étrangères devenues en quelques années des mastodontes grâce à internet, comme Google. Mikitani est de facto bien placé pour répondre puisqu'il est le seul à avoir réussi à atteindre une échelle internationale dans la vente en ligne, là où les géants nippons du négoce (grandes maisons de commerce centenaires) et le tentaculaire groupe de télécommunications historique NTT se sont plantés.

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Rendement, rapidité (pour les livraisons notamment), qualité de service, publicité, offres ciblées, sont essentielles pour Rakuten. Ce nom sonne d'autant plus souvent aux oreilles des Nippons qu'il est aussi celui de l'équipe de Base-ball de Sendai que le groupe a acquise, tout comme l'a fait l'opérateur de télécommunications Softbank avec celle de Fukuoka ou, plus récemment, le fournisseur de plate-forme de jeux pour mobiles DeNa (Mobage) avec celle de Yokohama.

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A l'instar du patron de la populaire chaîne de vêtements Uniqlo (le milliardaire Tadashi Yanai), ou de celui presque aussi fortuné de Softbank (Masayoshi Son), Hiroshi Mikitani impose à ses salariés d'apprendre l'anglais, une aptitude qu'il juge indispensable à l'avenir multinational de son entreprise. Tous les lundis matins, M. Mikitani s'exprime ainsi dans la langue de Shakespeare devant un immense parterre de quelque 3 600 salariés oeuvrant au siège de l'entreprise à Tokyo, ainsi que par écrans interposés à l'adresse de plusieurs autres milliers ailleurs.

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M. Mikitani n'a cependant pas que de la chance et n'est pas non plus exempt d'échecs. Son anniversaire tombe le 11 mars, un jour qui reste dans la mémoire des Japonais comme le pire, à cause de la catastrophe au nord-est en 2011, laquelle a tué 19 000 personnes dans la région nord-est du Tohoku où se trouve la ville de l'équipe de baseball de Rakuten, Sendai. Ces liens bien involontaires avec le drame ont poussé M.Mikitani à multiplier les dons et à mettre en place des services spéciaux pour les sinistrés, particulièrement pour leur délivrer rapidement les objets dont ils avaient urgemment besoin après le désastre.

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M. Mikitani a par ailleurs échoué dans sa volonté d'entrer dans le secteur de la télévision via le rachat de la chaîne TBS. Il s'est pris les pieds entre 2005 et 2008 dans un micmac d'échanges d'actions dans lequel il a laissé des plumes (plusieurs centaines de millions d'euros).

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Plus récemment, Rakuten a surpris son monde en avril 2012 en annonçant la liquidation pure et simple du site marchand inauguré en Chine en 2010 avec le moteur de recherche local Baidu. Appelée « Lekutian » (terme qui signifie « cool »), cette plate-forme n'est pas parvenue à s'imposer dans un environnement que le groupe décrit comme trop instable. « Depuis 2011, du fait de la fièvre d'investissement dans le commerce en ligne, l'environnement concurrentiel est devenu terrible et les affaires ont pris une tournure qui n'est pas à la hauteur de nos plans », avait alors expliqué Rakuten dans un communiqué. « Bien qu'ayant examiné la situation sous tous les angles, il nous est apparu compliqué de changer complètement la donne dans l'immédiat, ce qui nous a conduits à opter pour la fermeture du service », avait-il poursuivi.

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Le groupe, dont le patron apprend quand même toujours le chinois et dont les autres activités dans l'Empire du milieu sont maintenues (prestations de voyage notamment), ne renonce pas pour autant à prendre pied dans ce qui devrait devenir le plus grand marché mondial de la vente en ligne, en espérant que l'environnement y devienne un peu plus serein.

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En attendant, M. Mikitani devrait poursuivre, avec le même enthousiasme, mais aussi davantage de prudence, la conquête planétaire entamée par son groupe.

Twitter: @karyn_poupee
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