Sony est sinon en colère du moins agacé de constater que le traitement médiatique réservé à son concurrent américain Apple surpasse et de loin le sien, en dépit d'annonces de produits qui ne sont somme toute pas si différents. Face à l'iPhone 6, Sony aligne son smartphone Xperia Z3 (et les deux se ressemblent), face à l'Apple Watch il a sa nouvelle Smartwatch 3, et il peut même se vanter d'avoir une longueur d'avance avec son nouveau Smartband Talk tout comme avec les puces sans contact qu'il a intégrées dans les mobiles il y a 10 ans.
Mais Sony a beau dire, Apple fait parler de lui parfois même sans bouger, car ses plus fidèles clients se font remarquer. Un exemple: depuis une semaine et pour 6 jours encore, un nommé Tetsuya Tamura squatte le trottoir le plus cher de Tokyo, devant l'Apple Store de Ginza, pour être certain d'être le premier à brandir l'iPhone 6. Chaque année, il épuise ainsi ses congés payés et engloutit une partie de ses rétributions pour s'offrir tous les produits marqués d'une pomme."Je suis là depuis samedi 6, avec mon fils de 20 ans, et nous attendrons jusqu'au 19, jour de la vente", explique fièrement l'homme, vêtu d'un T-Shirt "iPhone 6, J-6", manifestement en grande forme. "Même s'il avoue que l'iPhone 6 n'est pas aussi surprenant qu'il l'aurait espéré et peut-être un peu grand ("j'aurais préféré un modèle plus compact), il va l'acheter, à tout prix.
Impatient comme pas deux, il s'est déjà offert pour patienter une contrefaçon chinoise d'iPhone 6 "achetée sur l'internet, et qui marche". L'astuce: l'OS Android avec le thème de l'interface iOS ! "C'est fou les fuites dans les usines, quand même", se marre son voisin, également un habitué du trottoir de l'Apple Store.
Selon M. Tamura, allez savoir pourquoi, il y a foule cette fois, et les flics ne viennent pas les déloger. "L'ambiance est bonne, on s'amuse bien", dit-il sous le regard approbateur de ses acolytes qui viennent aussi (surtout) pour cela. "C'est agréable de rencontrer des gens qui ont le même centre d'intérêt", confirme une jeune femme également assise quelques mètres plus loin.
"Je ne perds pas mon temps, je travaille ici, avec mon PC. Parfois, quelqu'un me garde ma place pour que j'aille alimenter la batterie et que je prenne une douche. Sinon, pour le téléphone, j'ai un accumulateur-chargeur. Et les copines m'apportent des bento ("plateaux repas"), c'est vraiment sympa", nous confiait-elle vendredi matin. "Il y a même des gens qui commandent pour nous en ligne des produits de première nécessité ensuite livrés ici", raconte-t-elle en montrant un carton Amazon. M. Tamura, lui, sait déjà qu'il reviendra pour l'Apple Watch, début 2015.
Son compatriote Hiromichi Shoji était plus pressé encore: du coup, l'Apple Watch, il l'a confectionnée lui-même sur une planche à découper ... avec une pomme.
Postée sur Twitter, la photo de l'objet éphémère, totalement dépourvu de fonctions et rapidement dévoré, a été retweetée près de 55.000 fois en trois jours ! "J'ai mis deux heures à la faire et ce sont sans doute les deux heures les plus inutiles de mon existence", a commenté l'individu. "Surtout, parlez-en aussi en France", nous a-t-il enjoint. C'est fait !
C'est presque la même injonction implicite que l'on a cru entendre dans la bouche des salariés de Sony, un peu avant la conférence d'Apple.
" Nous offrons une gamme avancée de produits qui intègrent le nec plus ultra technologique", a insisté un responsable du développement, rencontré à Tokyo après les annonces faites au salon IFA à Berlin. Et le même dirigeant du groupe nippon de mettre surtout en avant la taille de l'écran (5,2 pouces), la finesse de l'objet (7,3 mm), son autonomie allongée et sa robustesse.
S'y ajoute, et ça Apple ne l'a pas, le traitement du son "high-resolution", un domaine dans lequel Sony est clairement à la pointe et l'a déjà prouvé avec une vaste ligne d'appareils compatibles, à commencer par son Walkman NW-ZX1.
Sony se vante en outre d'aligner sa troisième Smartwatch, sous le système d'exploitation Androïd Wear cette fois, après deux modèles pionniers en 2012 et 2013. Là encore, le message est clair: on l'a fait avant Apple.
Le fleuron nippon se félicite enfin de ses Smartband, bracelets "traqueurs d'activités" qui commencent à trouver un public assez large dans les pays riches. Au Japon, ce n'est pas si compliqué car l'habitude est déjà prise. De nombreux individus comptent en effet depuis belle lurette leurs pas journaliers à l'aide d'un podomètre rivé à la ceinture.
Sony a déjà mis il y a plusieurs mois sur le marché son Smarttband SWR10, mais récidive cette fois avec un produit à cheval entre la montre connectée et le bracelet, avec le Smartband Talk. "Sa particularité, outre les bracelet interchangeable comme pour la Smartwatch 3, est de servir aussi pour téléphoner en parlant devant et laissant le smartphone dans le sac, ainsi que d'avoir un écran à encre électronique qui semble figé mais dont l'affichage change toutes les minutes", précise un responsable de la promotion de la marque.
Sony a employé sa technologie d'encre électronique éprouvée avec les liseuses pour cet objet qui fait office de podomètre, de montre, d'ange gardien en mesurant la durée du sommeil et peut accueillir en sus diverses applications (météo, télécommande de baladeur audio, etc.). L'avantage est aussi d'avoir une autonomie de trois jours en utilisation typique, contre une seule journée s'il s'était agi d'un écran à cristaux liquides (LCD).
Là où S79y peut encore tout à faire légitimiment revendiquer le titre de pionnier, c'est dans le domaine des puces sans contact. Au Japon, elle ne s'appelle pas NFC mais Felica. Depuis dix ans et trois mois, un spécimen de cette puce de paiement et autres transactions sans contact a progressivement été installé dans tous les mobiles vendus au Japon, sans même attendre les smartphones. Les modèles traditionnels que l'on surnomme ici "Garake" (Galapagos Keitai - portable des Galapagos) en avaient aussi. In fine, seuls ou presque les iPhone d'Apple n'en comportaient pas.
L'annonce initiale des premiers mobiles et services sans contact avait eu lieu le 16 juin 2004, dix ans avant la prestation de la marque à la pomme. C'est NTT Docomo qui a le premier décidé d'intégrer la puce Felica de Sony dans ses terminaux et de proposer des prestations multiples sans contact. Les premiers appareils équipés étaient signés Sony, Panasonic, Sharp et Fujitsu. Quelque 36 partenaires étaient associés au concept dès le départ (les supérettes AM-PM, le transporteur aérien ANA, Coca-Cola, les banques UFJ et Tokyo Mitsubishi, la compagnie de train JR East, MasterCard, les cinémas Toho, etc.)
Ainsi naquit le concept "osaifu keitai" (le portable portefeuille), un ensemble d'applications reposant sur la puce sans contact Felica de Sony, devenue un standard de facto au Japon, même si son expansion internationale a été freinée par des aléas sectoriels. D'aucuns ne souhaitaient pas en Europe que Felica s'impose.
La norme NFC (Near Field Communication - communication en champ proche) a quant à elle été approuvée en 2003 comme fruit d'un compromis entre Felica et la technologie Mifare du néerlandais Philips Semiconductors (aujourd'hui NXP Semiconductors).
Le développement de Felica (aussi désormais appelée NFC-F), lui, avait débuté en 1989. Avant son intégration dans le mobile en 2004, cette technologie avait d'abord été retenue pour le système de carte Octopus à Hong Kong dans les années 1990 , puis a pris son envol à partir de 2001 en étant adoptée dans les cartes passes sans contact Suica de la compagnie de train japonaise JR East (qui dessert Tokyo), puis dans celles de tous les autres transporteurs et pour les porte-monnaie électroniques (Edy, Nanaco, Waon, etc.).
A présent, "le Japon possède l'infrastructure sans contact la plus importante au monde et les consommateurs sont déjà familiers avec l'utilisation de leurs mobiles pour les services sans contact", soulignait récemment Michael Au, président de la filiale du français Gemalto pour l'Asie du sud et le Japon.
"Nous avons livré près de 530 millions de puces Felica pour des cartes et 245 millions pour des mobiles", explique Sony, qui comptabilise une centaine de services divers basés sur sa technologie.
"En termes de technologie de communication en champ proche, Felica joue un rôle important, comme exemple de système popularisé de paiement mobile sans contact, ce à quoi aspire NFC qui n'a pas encore atteint le niveau d'adoption et d'intégration dans les systèmes actuels qu'a Felica au Japon", insiste le site de promotion de NFC Nearfieldcommunication.org.
Même s'il n'a pas réussi à imposer la marque Felica à l'étranger, Sony veut se rattraper avec le NFC dont il est aussi à l'origine. Un grand nombre de ses produits, à commencer par ses smartphones, intègrent cette puce qui permet aussi des échanges d'informations entre appareils de façon très simple et rapide.