Retrogaming : retour aux sources du jeu vidéo

Louis-Charles Rostand
Publié le 09 juillet 2015 à 12h20
Avec l'avènement des smartphones et tablettes, le succès des consoles portables, sans oublier celui des systèmes de jeu en ligne (Live, PSN) apparus sur les consoles de salon, le marché du jeu vidéo plonge la tête la première dans la mode du retrogaming, soit la renaissance des « vieux » jeux qui ont fait l'histoire du jeu vidéo.

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Reposant sur la fibre nostalgique propre à la majorité d'entre nous, la mode du rétro se retrouve dans la plupart des secteurs d'activité (mode, multimédia, cinéma, séries télévisées, design, etc.). Le jeu vidéo ne pouvait passer à côté de cette manne financière, d'autant qu'elle s'accompagne bien souvent de belles surprises et de succès aussi inattendus que fulgurants.

Retrogaming, quèsaco ?

Le terme « retrogaming » est formé des mots « rétro », que l'on pourrait traduire par « en arrière », et « gaming », qui désigne le fait de jouer. Dès lors, il s'applique - dans son sens initial - à la pratique des anciens jeux vidéo. L'idée est de renouer avec un passé rassurant, lorsqu'une bouillie de pixels suffisait à mettre en émoi. Mais rapidement, le retrogaming est devenu une culture à part entière avec ses codes, ses légendes et un public grandissant, englobant à la fois les joueurs de l'époque et les nouvelles générations qui peuvent (re)découvrir des titres entrés dans l'Histoire.

Malheureusement, cet engouement rend difficile le fait d'acquérir, parfois à des prix exorbitants, ces jeux de référence et les consoles capables de les exploiter. C'est ainsi que le développement d'Internet a favorisé la diffusion d'émulateurs à même de permettre à chacun de s'adonner à ces « collector », sans avoir à débourser le moindre centime. Qu'il s'agisse de jeux sur les antiques consoles (Megadrive, Super Nintendo, PlayStation) proposés sous la forme d'une ROM, ou de reliques PC, mais toujours jouables sur les machines de dernière génération, le retrogaming devient rapidement le terrain de jeu favori des collectionneurs qui aiment aligner les disques et cartouches (avec boite et notice) dans leurs ludothèques, et les ressortent à l'occasion de soirées entre amis, comme des trésors venus de la nuit des temps.

Vrai-faux vintage

Si le retrogaming désigne généralement le fait de jouer à un vieux jeu sur une vieille console (par exemple Sunset Riders sur Megadrive), aujourd'hui le terme englobe aussi le fait de jouer à un vieux jeu repensé pour les nouveaux supports (consoles portables ou de salon, smartphones, tablettes, PC, etc.).

Cependant, pour les nouvelles générations de joueurs, il n'est plus forcément question de nostalgie, mais plutôt d'Histoire : « Cette communauté est de plus en plus composée de jeunes désireux de découvrir des jeux, explique Jean-Baptiste Clais, conservateur au musée Guimet spécialisé dans les arts asiatiques. Pour eux, cela s'inscrit dans une démarche de consommation culturelle comme une autre, à la manière d'un cinéphile qui regarde un film des années 1930. Certains considèrent que cette appellation désigne le fait de jouer à de vieux jeux, d'autres qu'elle concerne les jeux en deux dimensions. Mais l'idée commune est que l'obsolescence d'un jeu n'enlève rien à son intérêt. Un jeu possède une valeur en soi, par son esthétique et son ergonomie. Par analogie, une Aston Martin 64 est moins confortable qu'une voiture moderne, mais les sensations de conduite s'avèrent très plaisantes. »


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Et la loi dans tout ça ?

Le problème de l'émulation ou de la mise à disposition des vieux jeux PC, certes, tous dépassés technologiquement et/ou graphiquement, est qu'ils appartiennent toujours à quelqu'un, le plus souvent un éditeur. Dès lors, mettre à disposition un jeu est équivalent à mettre à disposition un film, qu'importe son année de sortie ! À moins qu'elle ne soit tombée dans le domaine public, toute œuvre - y compris vidéoludique - est soumise au droit d'auteur. Un jeu sur console, quand bien même celui-ci n'est plus vendu dans le commerce, n'est pas gratuit.

Olivier Cassou, l'un des fondateurs du site historique Abandonware France qui fête ses 15 ans, connaît bien la question puisque son site propose de télécharger des jeux PC complets gratuitement : « Pour être honnête, la législation en vigueur est assez floue, même pour nous ! Nous sommes conscients de nous livrer à une activité « illégale » puisque tous les jeux sont soumis au droit d'auteur. Si nous nous permettons de proposer ces jeux, c'est qu'il y a une certaine tolérance dans le sens où tous les titres que nous mettons en ligne ne sont plus en vente, et qu'ils remontent tous à avant 2000. Nous avons déjà rencontré des anciens éditeurs qui nous permettent de le faire. Nous fonctionnons toujours en bonne intelligence avec les ayants-droit. »

Cela n'empêche pas, toutefois, de prendre certaines précautions : « Notre priorité avant la mise en ligne est de vérifier que le jeu concerné n'est pas remis en vente par un éditeur. Dans un tel cas, nous supprimons immédiatement le titre de manière à ce qu'il ne puisse plus être téléchargé sur notre site. De la même manière, nous ne discutons jamais la demande d'un éditeur : s'il souhaite qu'un jeu disparaisse de notre banque de données, il est effacé dans l'heure ! Nous sommes en contact régulier avec de nombreux éditeurs qui savent ce que nous faisons, nous sommes une entité connue et reconnue, loin de l'aspect nébuleux que peuvent avoir les sites pirates. Après, il est vrai que nous jouons sur le principe du « Qui ne dit mot consent », et jusqu'ici nous n'avons jamais rencontré de problème. »

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Réponse du berger

Si le principe du retrogaming, des ROM & Co est toléré par la plupart des développeurs et des éditeurs, qui n'y voyaient pas matière à mener une croisade d'envergure contre cette exploitation illégale, le fait est que le phénomène a pris une ampleur incroyable, poussant de nombreux éditeurs à s'intéresser à ce marché en friche mais susceptible de fournir encore de belles récoltes.

Conséquence inévitable, certains d'entre eux, par le biais de compilations rapidement bricolées ou de ressorties (parfois estampillées HD), diffusent leurs anciennes gloires à destination des nouveaux supports et des nouveaux joueurs. « Si nous prenons l'exemple des jeux LucasArts, nous avions eu très tôt des échanges avec l'avocat de la société qui refusait clairement que nous mettions leurs jeux sur notre site Internet », ajoute Olivier Cassou. « Nous les avions bien sûr retirés, et le fait est qu'ils sont, depuis, disponibles sur différentes plateformes, ce qui justifie encore plus le fait que nous ne les proposions pas gratuitement », contrairement à un site pirate où ces jeux sont disponibles en téléchargement « illégal volontaire », puisque tout le monde connaît la position de LucasArts.

Ainsi, le marché du retrogaming a quitté les couloirs de l'anonymat pour gagner en force, avec l'avènement des plateformes de jeux type Steam, et les boutiques dématérialisées de Sony, Microsoft ou Nintendo où il est possible d'acheter de vieux jeux (« tout moches » diront certains) pour quelques euros ou plus. Une manière pour les éditeurs de tirer des nouveaux profits de leurs antiquités, de court-circuiter le marché illégal des émulateurs et consorts, mais aussi de l'occasion, où certains titres s'échangent à prix d'or, tout en permettant au plus grand nombre de profiter des anciens hits, légalement. Précisons cependant que le collectionneur est plus motivé par l'acquisition physique de « l'objet jeu vidéo » dans sa version originale (en boite), là où l'amateur nostalgique se contente parfaitement des émulateurs et des versions sur les boutiques en ligne.

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Des chiffres et des quêtes

Le retrogaming est difficile à quantifier en données économiques claires : une profusion de nouveaux titres en appelle à l'héritage des gloires passées, et ces mêmes gloires s'offrent une seconde jeunesse grâce aux smartphones, aux PC et consoles de salon next-gen où ils pullulent. Dès lors pour se faire une idée de ce que peut représenter ce marché, il faut se tourner vers certains succès récents.

A commencer par Minecraft, jeu bac à sable développé par le studio indépendant Mojang, disponible depuis 2009 et décliné aujourd'hui sur tous les supports. En juin 2014, Minecraft atteint 54 millions d'exemplaires vendus toutes versions confondues, soit le second jeu vidéo le plus vendu de l'histoire après Wii Sports. Pour l'anecdote, Minecraft dépasse les 16 millions de ventes sur PC, devenant le plus vendu au monde sur ce support, devant World of Warcraft ! Angry Birds (2009), qui peut se réclamer du néo retrogaming, est aussi une formidable success-story avec un coût du développement pour Rovio estimé à 140. 000 euros, pour plus de 50 millions d'euros de chiffre d'affaires en 2011.

De manière plus générale, le coût de conception des applications iPhone est compris entre 10 à 15 000 euros, sur PS3 et Xbox 360, il faut compter entre 11 et 24 millions d'euros pour un jeu, tandis que sur Wii et PC, le coût moyen s'élève à 2 millions d'euros. Tout cela n'intègre pas le marketing qui occupe désormais une place centrale et onéreuse. Il y a une quinzaine d'années, les jeux coûtaient jusqu'à deux ou trois fois moins chers, car ils faisaient intervenir moins de métiers différents, et ils rapportaient donc bien plus à tous les intervenants. C'est ce qui explique en partie que de nombreux studios s'inscrivent dans la mouvance du retrogaming qui implique des jeux simples, faciles à développer, moins couteux et en phase avec les nouvelles habitudes de consommation des joueurs (parties rapides dans les transports, possibilité de jouer partout, etc.).

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Néo-retrogaming

Pour l'amour de la 2D



A l'heure de l'omniprésente 3D ultra-texturée et réaliste, la 2D retrouve ses lettres de noblesse par le biais des jeux sur smartphones et tablettes, des jeux qui puisent (voire pillent dans certains cas) l'héritage des premiers titres à succès. Reste à définir les atouts de la « vieille 2D » sur laquelle repose le retrogaming :
- Aucun problème de gestion des angles de vue et des caméras
- Des concepts plus à même de toucher le grand public
- Simplicité de la prise en main
- Approche beaucoup plus intuitive
- Traitement à même de convenir aux joueurs occasionnels ou débutants, comme aux joueurs plus aguerris, aimant à relever des défis parfois ardus
- Réalisation qui donne la part belle à l'action et au plaisir du jeu sans recherche constante d'une réalisation détaillée, fourmillante et à couper le souffle.

Il y a quelques années, tandis que les joueurs plébiscitaient cette nouvelle mode, il subsistait une dichotomie dans l'idée de devoir payer pour des jeux dont le développement était largement remboursé et qui, au-delà de l'aspect « souviens-toi comme c'était mythique ! », n'apportaient pas grand-chose de neuf par rapport au principe de l'émulation. Il fallait trouver une manière inédite de vendre la chose : nostalgie oui, exploitation sans effort, non !

Désormais, on ne parle plus de « retrogaming », mais de « néo-retrogaming », une évolution nécessaire qui ouvre des perspectives beaucoup plus étendues que la simple resucée de titres, en donnant naissance à une ère nouvelle : la « nostalgie contemporaine ». Celle-ci repose sur l'idée selon laquelle il n'est pas possible d'offrir un banal copier-coller d'un vieux hit pour en faire un « nouveau » succès. Il faut inévitablement en proposer une relecture complète, qui ne se contente pas d'arrondir les angles, d'affiner les graphismes et de mettre une guerrière à la place d'un guerrier !

Les jeux qui se réclament d'un illustre passé doivent donc renouer avec le plaisir coupable d'antan et l'état d'esprit des jeux old school. Ainsi le néo-retrogaming ne s'applique pas qu'aux vieux jeux proposés sur les nouveaux supports, mais englobe surtout une manière de concevoir un jeu en respectant les codes des anciens titres (prise en main immédiate, construction des niveaux, traitement simple sans être simpliste), dans un cadre totalement inédit. Au final, l'idée est de reprendre les vieux pots pour y faire de meilleures confitures, dont la majorité peut se savourer sur smartphones et tablettes, le nouvel eldorado du casual-gamer et des développeurs en quête de titres accessibles et vendeurs surfant sur le concept « jeu à l'ancienne ».


L'essence du retrogaming

La nostalgie mise à part, le retrogaming dans son sens le plus large, doit sa réussite à de nombreux facteurs qui sont aujourd'hui exploités par les développeurs pour nous proposer des jeux qui paraissent issus des années 70 à 90, alors qu'ils sont tout à fait récents ! C'est là l'essence du concept de « nostalgie contemporaine » qui met en lumière la primauté de la jouabilité sur l'aspect esthétique. Et cette révolution s'est incarnée dans les jeux pour smartphones qui permettent à chacun de jouer à des petits jeux faciles à prendre en main, procurant un plaisir immédiat, sans avoir à déployer des monstres de graphismes pour être efficaces et addictifs.

Et s'il fallait prendre un exemple concret pour illustrer cette tendance, nul doute que le cas d'Angry Birds s'impose. Des graphismes 2D pour le moins classiques, une prise en main instantanée, un concept ravageur et un succès planétaire. Pas d'effets 3D rocambolesques, pas de gestion complexe du personnage, pas d'effusion graphique tapageuse, on va à l'essentiel en misant tout sur la créativité, l'ingéniosité et le plaisir du joueur.

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Aujourd'hui, le retrogaming englobe ces deux mondes. D'un côté, les joueurs peuvent acquérir à moindre coût des anciens titres passés à la postérité, et s'offrir des petites madeleines sans se ruiner puisqu'il n'est pas nécessaire d'acheter la cartouche et la machine correspondante pour faire un bond dans le passé, les smartphones et autres consoles servant de support. De l'autre, les joueurs peuvent perpétuer cette tradition du jeu vidéo originel, purement ludique et sans autre prétention que celle de divertir en empruntant à leurs aînés beaucoup de gimmicks. C'est ainsi que l'on sait qu'une chose est entrée dans l'Histoire, à la capacité du passé à influencer le présent.
Louis-Charles Rostand
Par Louis-Charles Rostand

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