S'il reste méconnu du grand public, le navigateur Opera a toujours cultivé une certaine originalité, en intégrant, souvent avant ses concurrents, des fonctionnalités innovantes. Certaines ont révolutionné le genre. C'est le cas de la navigation par onglets, qu'Opera a été un des premiers navigateurs à intégrer. D'autres, comme les gestes de souris ou la navigation vocale, sont restées plus confidentielles. Parallèlement à la version 10 de son navigateur, Opera levait le voile sur Opera Unite, une technologie permettant de transformer son navigateur web en serveur, afin de partager des fichiers, de publier des photos, de diffuser de la musique en streaming ou encore de chatter en direct.
Intégré à Opera depuis la version 10.10, Opera Unite permet non seulement de disposer de services prêts à l'emploi, mais propose aussi à la communauté des utilisateurs de s'investir dans le développement de nouvelles applications. En effet, Opera a tout prévu pour qu'il soit possible de créer des services à l'aide de technologies standard comme HTML, CSS et Javascript. Alors que la version 10.60 du navigateur est disponible depuis peu et que les développeurs ont eu le temps de créer suffisamment d'applications pour le service, il est temps pour nous de nous pencher sur son fonctionnement et de parcourir les applications disponibles. Vraie révolution ou simple gadget pour power user ? Voyons cela de plus près.
Opera Unite : la vision des développeurs
Opera Unite part d'une vision d'Opera Software, qui peut paraître quelque peu alarmiste et grandiloquante, mais qui n'est pas dénuée de fondement. Pour Opera Software, le net n'a pas complètement tenu sa promesse, faisant des utilisateurs de simples consommateurs de contenus plutôt que des diffuseurs. Surtout, l'éditeur insiste sur le fait que nous dépendons de serveurs que nous ne contrôlons pas, même pour les activités de création ou de diffusion auxquelles nous nous livrons sur le web : partager des photos sur un réseau social, échanger des documents en ligne, diffuser des listes de lecture...
Les récentes polémiques autour de la confidentialité des données sur des services comme Facebook peuvent donner raison à Opera. On publie régulièrement des photos de vacances sur ces services, mais au final, nous dépendons d'eux : qui « possède » réellement ces images ? Si le service vient à fermer, personne ne pourra les consulter. Si vous décidez de quitter le service, les données sont-elles correctement supprimées ? Autant de questions auxquelles Opera répond par une proposition : plutôt que de dépendre de serveurs, pourquoi ne pas être son propre serveur ? La solution paraît couler de source et elle n'a rien de nouveau : il a toujours été possible d'héberger son propre serveur pour diffuser des données. Néanmoins, ça n'est pas à la portée de tout le monde, d'où l'intérêt d'une technologie comme Unite qui permet, à priori, d'exécuter cette tâche en quelques clics. Avant de rentrer dans le détail du service, il faut également préciser que Unite n'est pas non plus la première initiative de ce type : des logiciels comme Orb, Weezo ou feu Simplify Media permettaient déjà ce type de solution, bien que limitées, souvent, à la diffusion de contenus multimédia.
Premiers pas sur le service
De quoi a-t-on besoin pour utiliser Opera Unite ? Tout simplement du navigateur en version 10.10 au minimum (sachant que la version 10.60 est récemment sortie) et d'un compte Opera, qui vous servira également pour synchroniser vos réglages tels que les signets et les préférences du « Speed Dial » du navigateur, entre différentes versions. Vous remarquerez alors une légère contradiction entre la promesse initiale et l'implémentation réelle du service : il nécessite tout de même d'ouvrir un compte (gratuit), et qui plus est le service passe tout de même par les serveurs proxy d'Opera.Une fois le compte créé vous pouvez activer Opera Unite, dont l'interface se présente sous la forme d'un panneau latéral offrant un accès à plusieurs applications que l'on peut démarrer ou arrêter à loisir. Les applications proposées par défaut sont les suivantes :
- Un module de partage de fichiers
- Le « réfrigérateur » qui permet d'afficher des messages sous forme de notes
- Le lecteur média, qui permet de diffuser de la musique en streaming
- Le module Messenger qui permet de chatter avec un interlocuteur
- Un service de partage de photos
- Un module faisant office de serveur web
En règle générale, ces services fonctionnent selon un schéma relativement simple : il suffit de fournir l'emplacement que vous souhaitez utiliser (dossier dans lequel se trouve vos photos, votre musique ou vos fichiers) et de définir éventuellement des options de visibilité afin de permettre la découverte de vos services sur le réseau local, sur les pages d'Opera Unite ou encore sur les moteurs de recherche. Quelques dizaines d'autres applications, développées par des tiers, peuvent être ajoutées de la même manière que des extensions Firefox ou Chrome, depuis le catalogue disponible sur le site Opera Unite, où les différentes applications sont rangées par catégories. On peut accéder directement à cette page depuis le bouton Ajouter du panneau latéral.
Une fois le service démarrré sur le PC « serveur », une URL, passant par les serveurs proxy d'Opera, permet d'y accéder depuis n'importe quel navigateur web, à condition bien sur qu'Opera Unite soit en cours d'exécution sur le PC hôte. Vous pouvez néanmoins fermer le navigateur Opera et garder Unite actif. Vous pouvez rendre l'URL publique ou privée (protégée par mot de passe). Ce dernier comportement est activé par défaut avec un mot de passe généré de manière aléatoire. Vous n'aurez ensuite qu'à envoyer ce lien à vos proches par mail ou le partager via Facebook ou Twitter. Vous pouvez également envoyer l'adresse de votre page d'accueil Unite, qui donne accès à des liens vers tous les services que vous avez activés.
Que faire avec Opera Unite ? (1/2)
Nous avons vu qu'Opera Unite fonctionne de manière extrêmement simple : un navigateur Opera qui fait office de serveur d'un côté, et n'importe quel navigateur web (à condition qu'il soit équipé de certains plug-ins comme Flash, parfois nécessaire) comme client de l'autre. Voyons maintenant les usages possibles.
Diffuser de la musique et partager des photos
Opera Unite inclut par défaut deux services permettant respectivement de diffuser de la musique et de partager ses photos. Dans les deux cas, rien de plus simple : il suffit de spécifier l'emplacement à partager. L'emplacement, car Opera Unite ne gère qu'un emplacement unique (avec ses sous dossiers). L'outil de diffusion de musique fonctionne exactement comme on pourrait l'attendre. Vous pointez vers un dossier de votre arborescence, et le module détecte automatiquement les artistes et les albums (à partir des tags). Du côté du client, celui-ci peut utiliser le lecteur intégré (qui utilise la technologie Flash : pas de streaming avec Unite vers un iPhone ou un iPad !) pour diffuser la musique, mais également télécharger la liste de lecture au format M3U pour l'écouter, toujours en streaming, depuis n'importe quel lecteur audio compatible avec ce format.L'interface de partage des photos est en revanche des plus minimalistes. La navigation s'effectue via les dossiers partagés, avec la nécessité de jongler avec des pages numérotées pour parcourir l'ensemble de l'arrborescence. Les fonctionnalités sont également réduites au strict minimum : on peut afficher la photo en plein écran pour l'enregistrer, ou démarrer un diaporama de tout le dossier. Ca sera suffisant pour partager quelques photos entre amis ou collègues mais pas franchement le moyen le plus agréable de les présenter. On trouve enfin une application de streaming vidéo. Basée sur le même principe que l'application audio d'Opera Software, elle permet de diffuser en streaming de nombreux formats de vidéo. L'application fonctionne correctement mais nécessite cette fois Silverlight côté client, pour diffuser la vidéo.
Partage de fichiers
Parmi les services intégrés à Unite, on trouve un outil permettant de rendre public un dossier de son disque dur . Utile pour accéder à ses propres fichiers à distance ou partager des fichiers avec d'autres utilisateurs, ce service est complété par d'autres applications tierces permettant l'envoi de fichiers. File Inbox permet comme son nom l'indique de créer une boite de dépôt de fichiers, accessible aux utilisateurs se connectant à votre page Unite. On trouvera enfin un service du nom de Document Sync, permettant de synchroniser un dossier entre plusieurs machines à la manière d'un Windows Live Sync. L'application fonctionne de concert avec un autre service Unite, Document Courier, qui devra être installé sur le poste client (la synchronisation ne fonctionne donc, dans ce cas, que lorsque les deux ordinateurs exécutent Opera Unite).Jeux en ligne
Attention : on parle de jeu en ligne mais ne vous attendez pas à trouver un Quake like sous Opera Unite ! On trouve néanmoins certains mini jeux jouables en ligne, qui renvoient des années voire des décennies en arrière. Ainsi, un remake de Tank Wars (que l'on trouvait déjà en Widget Opera) est de la partie. Dans cet ancètre de Worms, il s'agit de détruire le ou les tanks adverses en dosant finement ses tirs (puissance et angle du canon). Chacun tire à tour de rôle, et si votre obus n'atteint pas sa cible, il pourra toujours causer des dommages dans le décor. Le jeu autorise les parties en ligne, que l'on peut facilement créer et rejoindre. Un vieux classique totalement archaïque de par sa réalisation, mais néanmoins amusant.Encore plus classique, on trouve un Puissance 4 en ligne, qui fait tout ce qu'on peut attendre d'un Puissance 4. L'hôte joue les rouges, et peut envoyer le lien à un invité qui prendra les jaunes. Le module intègre un chat. D'un minimalisme et d'une laideur absolument incontestables, le jeu a le mérite d'exister, mais là encore on touche les limites de ce genre de service : a-t-on vraiment envie de jouer à Puissance 4 sur un navigateur web ? Les amateurs d'échecs pourront également utiliser une application là encore minimaliste mais à la réalisation assez propre.
Communication
On se dit alors que l'intérêt d'une technologie comme Unite est de permettre d'organiser en quelques clics un chat. Ce qui est possible avec plusieurs applications, dont deux sont disponibles par défaut. La première, The Lounge, permet de créer une session, à laquelle d'autres utilisateurs peuvent se connecter, là encore simplement en saisissant l'URL depuis n'importe quel navigateur. Les possibilités sont très limitée : envoi de messages textes et smileys. L'application Messenger fonctionne à peu près sur le même principe mais ajoute un système de liste d'amis. On passera rapidement sur une troisième application : le Fridge. Celui-ci est tout simplement un frigo sur lequel on peut laisser des messages à destination d'autres utilisateurs. Un peu limité mais ludique...Un peu plus évolué, le service My Webcam permet en théorie de partager, tout en discutant en mode texte, l'image de sa webcam. Malheureusement, si l'application fonctionne correctement et détecte bien notre webcam de test, il est totalement impossible de lui soutirer la moindre image du côté du client ! Le chat textuel fonctionne parfaitement et l'interface semble assez agréable mais le partage de la webcam ne semble pas fonctionner sur notre configuration.
Serveur web
Terminons ce tour d'horizon par la possibilité d'utiliser Opera Unite comme un serveur web. Là encore le service mise sur la simplicité : il suffit de pointer vers le dossier sur lequel sont hébergées vos pages web, et vos proches pourront les consulter grâce à l'URL que vous le fournissez (toujours avec ou sans authentification par mot de passe). Evidemment, cette fonctionnalité n'est pas destinée à remplacer un vrai hébergement, mais elle peut servir de solution d'appoint si vous avez besoin de monter un petit site provisoire.Quelques services pourront également avoir leur intérêt pour les power users, notamment UJS Manager, un gestionnaire de scripts utilisateurs dans la lignée de Greasemonkey, qui permet d'agir sur les sites visités côté client, en ajoutant du code Javascript dans les pages pour modifier le contenu ou ajouter des fonctionnalités (c'est ainsi que fonctionnent par exemple des extensions comme Better Gmail pour Firefox). Le service Unite permet d'installer de tels scripts (que l'on pourra trouver sur des sites les réunissant) et les activer ou désactiver à loisir.
Conclusion
Quelques mois après l'intégration de Unite dans Opera, que penser aujourd'hui de cette fonctionnalité ? Le bilan est quelque peu contrasté. Dans les points positifs, on saluera tout d'abord l'originalité. Opera Software a toujours su se démarquer de ses concurrents en proposant des fonctions parfois trop orientées « power users » mais toujours innovantes. En théorie, l'idée d'utiliser son navigateur web comme serveur est plutôt intéressante, et on peut comprendre la démarche de l'éditeur, à l'heure où les réseaux sociaux posent de plus en plus de problèmes de confidentialité.
Néanmoins, cette idée ne suit pas vraiment en pratique. Si quelques applications sont fonctionnelles et relativement intéressantes (le partage de photos et de fichiers, la lecture en streaming de vidéos ou de musique, le serveur web....), on reste assez peu impressionnés par le catalogue de services disponibles, dont peu dépassent le statut de gadget pour geeks. Alors certes, on peut jouer à Tank Wars à plusieurs avec un navigateur web, on peut partager un tableau blanc, envoyer des fichiers volumineux... mais on a tout de même assez vite fait le tour des services proposés. Au final, on ne gardera réellement que ceux destinés au partage de contenus multimédia et de fichiers, qui peuvent avoir leur intérêt. Certes, ils dupliquent des fonctionnalités déjà disponibles dans d'autres applications comme Weezo, mais avoir sous la main la possibilité de lancer un partage de photos, une diffusion d'un album ou de mettre un site web en ligne en quelques clics, sans bouger de son navigateur, et sans avoir à installer d'application supplémentaire, est appréciable.
Au final, à défaut d'être une révolution, Opera Unite est donc un service malin et simple à mettre en œuvre, qui vient compléter un navigateur dont la dernière version est par ailleurs une réussite. Néanmoins, n'en déplaise à Opera Software et à sa vision un rien utopiste, les horribles serveurs « cloud » centralisés qui transforment nos navigateurs en « terminaux stupides » ont encore de beaux jours devant eux.