Depuis plusieurs années, l'essor des plateformes de streaming a bouleversé le système de distribution des films et alors que les Oscars viennent de saluer des productions sorties exclusivement en SVOD, la question de l'avenir des salles de cinéma n'a jamais semblé aussi incertain. On fait le point (et on débat) sur la situation.
La 94e édition des Oscars, qui s’est tenue ce dimanche 27 mars 2022 avait une saveur particulière. En effet, contrairement aux précédentes années, les plateformes de streaming ont été sur-représentées dans les catégories maîtresses, dont celle du meilleur film, des meilleurs actrices et acteurs ou encore celle de la meilleure réalisation. C'est d'ailleurs CODA, le remake de La Famille Bélier disponible exclusivement sur Apple TV+, qui a gagné la précieuse statuette du meilleur film de l'année.
Il y a peu de temps de nombreuses voix s’élevaient encore pour refuser farouchement l’arrivée des Netflix, Prime Vidéo ou Disney+ dans la compétition la plus prestigieuse du cinéma mondial. On se souvient notamment que Steven Spielberg avait déclaré que seuls les films sortis dans les salles de cinéma proposaient une réelle expérience de visionnage d’une œuvre et pouvaient espérer gagner une statuette dorée.
Pourtant, la pandémie de COVID-19, accompagnée d'un changement brutal et massif des habitudes de consommation du grand public, ont bel et bien rebattu les cartes. Spielberg en est d'ailleurs un des exemples les plus parlants puisqu'il a signé, via sa société de production Amblin, un accord avec Netflix pour livrer plusieurs longs-métrages exclusifs à la plateforme.
Le prix à payer
Le premier élément qui pourrait expliquer la montée en puissance des services de streaming face aux salles de cinéma est tout simplement financier. Se rendre au cinéma est devenu un vrai budget pour bon nombre d’entre nous, notamment pour les familles nombreuses, et davantage si l’on cède au diabolique rayon des confiseries.
Attention toutefois : s’il est de bon ton de râler, notamment sur les réseaux sociaux, quant au prix extravagant pratiqué par certaines salles de cinéma, notamment dans les métropoles, le Centre National de la Cinématographie (CNC) rappelle que le prix moyen d’une place vendue en France est de 6,69 €, en incluant les nombreuses réductions appliquées aux étudiants, aux personnes âgées ou permises par les carnets de places qui font gagner quelques euros sur chaque ticket. Oui, certains multiplexes ne se gênent pas pour facturer près de 15 € le billet mais ce n’est pas la majorité des cas et quelques astuces permettent rapidement de faire baisser la note comme les formules d'abonnement illimitées par exemple.
Reste que, pour le portefeuille de tout un chacun, le cinéma ne peut pas rivaliser avec un abonnement mensuel de streaming situé entre 4,99 € pour Apple TV+ et 17,99 € pour la formule la plus élevée proposée par Netflix, et ce, pour des catalogues proposant des centaines de séries et de films visionnables à l’envi depuis son canapé.
La pandémie a d'ailleurs aussi conforté de plus en plus de cinéphiles préférant le confort de leur salon pour découvrir des films, sans être gênés par quelques spectateurs indélicats qui mangent bruyamment leur pop-corn ou consultent leurs derniers snaps en pleine projection.
Des revenus plus importants pour les majors
Si il y a encore dix ans seuls Netflix et Amazon dominaient le marché du streaming de la tête et des épaules, ils ont été rapidement rejoints par de nouveaux acteurs cherchant à grapiller une part de cet important gâteau. Toutes les majors ont, en quelques mois seulement, lancé leur plateformes dédiées. Parmi elles, on retrouve bien entendu Disney+ mais aussi HBO Max pour Warner, Paramount+ ou encore Peacock détenu par NBC-Universal.
Les studios ont effectivement rapidement compris tous les avantages à proposer leurs contenus aux consommateurs sans passer par les intermédiaires que sont les distributeurs et les salles de cinéma.
De fait lorsqu’un ticket est vendu en salles, le studio n récupère qu’une fraction de son prix. Aux Etats-Unis, les majors gagnent environ 55 % du tarif payé par le spectateur, et c’est moins dans les pays étrangers. Avec le streaming, les majors n’ont évidemment plus à partager les gains avec d’autres acteurs et peuvent récupérer l’intégralité du montant payé par le consommateur.
Or, si l’on peut comprendre cette volonté des studios de maximiser leurs gains, la démarche fragilise fortement l’économie du septième art et bien sûr les salles de cinéma, qui pourraient perdre à terme la diffusion d'œuvres majeures capables de réunir des centaines de milliers de spectateurs.
La salle de cinéma résiste encore… mais jusqu'à quand ?
L’existence de la salle de cinéma est-elle menacée dans les prochaines années ? Rien n’est moins sûr.
Pour illustrer cette réflexion, l’exemple HBO Max est un cas d’école. À la fin de l’année 2020, alors que la planète traversait la deuxième deuxième vague de COVID-19, Warner Bros annonçait vouloir proposer ses films simultanément en salles et sur sa plateforme de streaming. L’objectif était de toucher tous les publics, des spectateurs ne jurant que par les salles obscures pour profiter d’un film, à ceux préférant le confort de leur domicile pour consommer un long-métrage.
Godzilla vs. Kong, Matrix Resurrections, Suicide Squad ou encore Dune ont donc été lancés sur le service de streaming comme des produits d’appel et on aurait pu penser que cette solution était la meilleure pour contenter tout le monde. Cette expérience n’aura néanmoins pas été des plus fructueuses. En effet, les analystes estiment qu’HBO Max n’a engrangé que cinq malheureux millions d’utilisateurs supplémentaires, malgré les œuvres et les marques populaires proposées aux abonnés. Pire encore, les films étaient disponibles sur les plateformes de téléchargement illégal à la minute même de leur mise en ligne, dans une qualité jusqu’à la 4K et parfois même avec tous les sous-titres.
Excepté Dune, qui a rencontré un joli succès en salles grâce à une sortie américaine décalée de quelques semaines pour laisser le temps au film de remplir les cinémas du monde entier, tous les films Warner Bros ont été des fours au box-office US et international. Et le studio ne peut même pas s’abriter derrière la pandémie pour justifier ces scores pathétiques. Il a d'ailleurs abandonné cette stratégie pour revenir à une sortie en streaming 45 jours après une exclusivité en salles : une décision à succès comme le prouve The Batman qui vient de dépasser les 672 millions de dollars de recettes après un petit mois à l'affiche.
Vers une standardisation du cinéma ?
On pourrait alors nous rétorquer, à raison, que malgré l’émergence des plateformes de streaming et leur place grandissante dans les pratiques culturelles des spectateurs, un mastodonte comme Spider-Man : No Way Home a réussi à signer un box-office mondial d’1,8 milliards de dollars, soit le plus gros succès depuis Avengers : Endgame en 2019.
Les studios ne s’y sont pas trompés et on constate depuis ce début d’année 2022 une réelle standardisation des sorties sur la toile. En gros, aux cinémas les gros blockbusters remplis d’effets spéciaux et qui justifieraient le prix du ticket, aux plateformes les films plus risqués et moins chers, qui peuvent néanmoins attirer des abonnements.
Sauf que, dans le même temps, les plateformes ne misent plus forcément sur la découverte ou la prise de risque, préférant elles aussi des formules qui marchent à grands coups de centaines de millions de dollars. C’est notamment le cas de Netflix qui a dévoilé son planning de films originaux pour l’année en cours, lequel comprend de nombreuses grosses productions aux castings cinq étoiles. Et on ne parle pas de Red Notice, un film d’action, jugé médiocre, et qui semble conçu par un algorithme, mais dont la présence de Dwayne Johnson, Gal Gadot et Ryan Reynolds au casting en a fait le plus gros succès du service.
Disney essore également ses marques jusqu’à plus soif, avec des spin-off, suites et remakes à la chaîne et même Prime Vidéo va très prochainement proposer une série adaptée du Seigneur des Anneaux, un succès presque garanti avec l’une des marques les plus puissantes du divertissement.
En France la situation est moins radicale, et ce, grâce à la chronologie des médias. Ce système, né dans les années 1980, peut être perçu comme archaïque depuis l'arrivée d'Internet dans les foyers, même après une récente évolution de la chronologie de diffusion qui permet désormais aux films d’être présentés par les plateformes entre 15 et 17 mois après leur sortie, contre 36 mois auparavant.
Pourtant c’est cette chronologie des médias qui permet une réelle diversité des genres et des œuvres dans notre pays. Avec une obligation de financement imposée aux acteurs locaux, comme Canal+, ou internationaux comme Netflix, Amazon et Disney, l'exception culturelle française permet de produire et sortir des films plus exigeants, plus radicaux dans leurs thématiques et qui ne trouveraient jamais le chemin des salles de cinéma sans ce mécanisme contraignant.
Et vous, quel est votre avis sur la question ? Continuez-vous à aller dans les salles de cinémat ou préférez-vous vous divertir devant les plateformes de streaming vidéo ? Constatez-vous une baisse de qualité ou d’originalité des films ?
Nous avons hâte de lire vos réactions en commentaires pour continuer ce débat, dans les règles de l'art bien sûr !