Sous pression depuis maintenant plus d’un an, les chaines de production de semi-conducteurs font face à une demande qui surpasse largement leurs capacités. Si elles tournent de nouveau à plein régime depuis quelques mois, la situation n’est pour autant pas prête de se stabiliser, certains évoquant même qu’un retour à la normale ne serait pas de rigueur avant 2022, voir 2023.
Entreprises comme consommateurs sont fortement touchés par ce phénomène. Nous avons pu constater, à maintes reprises, les bouleversements qu’il a occasionnés. De la sortie des consoles de Sony et Microsoft aux lancements des cartes graphiques de nouvelles générations, des ordinateurs portables aux smartphones jusqu’aux écrans et téléviseurs, la crise n’épargne personne ; pas même l’industrie automobile dont l’approvisionnement en microcontrôleurs est à la source du fort ralentissement de cette filière.
Tout le monde n’est cependant pas logé à la même enseigne. Après une année 2020 record, le marché du téléviseur poursuit ainsi 2021 avec une croissance fulgurante de son chiffre d’affaires mondial. Les difficultés d’approvisionnement de composants électroniques en tout genre mettent cependant à mal cette industrie. Nous avons profité d’un entretien avec Rémy Journé, vice-président des ventes chez Hisense France, pour faire le point sur la situation, comprendre quels sont et seront les impacts sur la filière et, in fine, pour le consommateur.
Une année exceptionnelle pour la "petite lucarne"
À la surprise des analystes, l’année 2020 a permis au marché des téléviseurs d’écouler 225,4 millions d’unités dans le monde. Il s’agit du meilleur résultat observé depuis 2013, avec une croissance certes contrastée en fonction des régions, mais globalement inattendue. En effet, l’épidémie de Covid-19 a dopées les ventes de téléviseurs, et ce malgré le report de nombreux évènements sportifs comme l’Euro 2020 et les Jeux Olympiques de Tokyo, ou encore l’annulation de séries et autres.
En France, selon GfK, les volumes de ventes ont fortement augmenté après le premier confinement avec, en prime, une hausse du tarif moyen de vente et une demande beaucoup plus forte pour les modèles de plus de 55 pouces et les technologies OLED et QLED. Au total, le chiffre d’affaires de ce marché a connu une hausse de +16 % dans l’Hexagone en 2020.
« Nous nous attendions à un marché extrêmement perturbé en raison de la crise Covid. Les enseignes ont pris des décisions partant de cette analyse à partir de mars 2020, tout comme les industriels qui s’attendaient à une véritable bérézina de l’électronique grand public. Pour exemple, le marché est passé de – 38 % en valeur en avril, pour afficher + 88 % en décembre. Force est de constater que la situation a été à l’inverse des analyses. »
Les restrictions sanitaires et leurs confinements successifs, en France comme ailleurs, ont eu pour résultat de modifier les comportements de consommation des acheteurs. L’impossibilité de se rendre au cinéma ou au restaurant, de voyager et ainsi de suite, a résulté sur des dépenses réduites des ménages ; des économies « forcées » dont beaucoup ont profité pour mieux s’équiper en produits de divertissement comme le téléviseur, mais aussi avec une forte demande autour des outils de télétravail, notamment des écrans.
« La demande de téléviseur a été extrêmement soutenue. En parallèle, comme nous avions anticipé une mauvaise année, des ruptures ont rapidement été constatées et la production complètement désorganisée par l’épidémie ».
La demande continue par ailleurs d’être soutenue en 2021, en volume comme en valeur, avec le retour d’évènements très porteurs pour le marché, comme la Coupe d’Europe de Football.
Une conjoncture imprévisible
Au-delà des prévisions erronées des analystes pour cette filière précise, le marché global de l’électronique a dû faire face à une conjoncture imprévisible et inédite. Tributaires de la production de semi-conducteurs, bien des secteurs ont été impactés par les mises à l’arrêt successives des usines qui fournissent la quasi-totalité des composants électroniques de toutes sortes. La production s’en est retrouvée désorganisée, sans que les industriels n’aient pu anticiper cette situation, ni l’ampleur qu’elle allait prendre au fil des mois.
« En 2020 nous avons fait face à une pénurie de dalles pour nos téléviseurs, couplés à de grandes difficultés logistiques. En 2021 vient s’ajouter la crise des chipsets, créant un véritable goulot d’étranglement dans la production. »
Mais la crise épidémique n’est pas le seul facteur de pression sur les chaînes de production. La demande n’a en effet cessé d’augmenter alors que l’offre ne pouvait, et ne peut toujours pas suivre. Coronavirus ou non, 2020 était déjà une année particulière pour les fondeurs : entre les nouvelles générations de consoles, de cartes graphiques et de processeurs, et bien entendu le lancement du réseau 5G et des smartphones qui l’accompagnent, la demande de puces électroniques est plus intense que jamais et leur production se concentre principalement sur une petite poignée de sous-traitants et sur un large monopole de TSMC dès que la finesse de gravure est inférieure à 16 nm. Par-dessus, ajoutons le dérèglement du marché causé par les besoins du cryptomining pour déboucher sur une équation impossible à résoudre sur le court terme.
« Il y a, factuellement, une pénurie de composants électroniques et une augmentation des tarifs. On peut l’expliquer en partie par l’explosion de la 5G au niveau mondial, et le recours massif au télétravail avec une consommation d’ordinateurs et de moniteurs en forte hausse, mais d’autres secteurs sont également beaucoup plus demandeurs qu’auparavant, c’est le cas de l’automobile et de la domotique pour ne citer qu’eux. La demande de composants électroniques est colossale, notamment pour les semi-conducteurs. »
Une crise encore loin de toucher à son terme ?
Comme tant d’autres, le marché des téléviseurs reste sous forte pression en 2021. Les difficultés évoquées par Rémy Journé, liées à l’approvisionnement de dalles et aux transports, restent d’actualités. Selon le vice-président des ventes d’Hisense France cette situation « n’est pas terminée et aura forcément une répercussion sur nos produits ». À vrai dire, si nous n’avons pas encore constaté d’importantes augmentations du prix de ventes des téléviseurs, ce n’est pas le cas pour les moniteurs ; ces deux marchés étant liés, on peut logiquement penser que la tendance observée sur le second se retrouvera en partie sur le premier à un moment ou un autre.
« Chez Hisense, 4eme fabricant mondial de TV, nous avons mis en place plusieurs types de mesures. Premièrement, nous avons sécurisé une partie de nos volumes avec nos fournisseurs. Nous avons ainsi passé des accords annuels, pour les dalles comme pour les composants électroniques, sur une certaine volumétrie qui nous permet d’assurer une croissance stable au niveau mondial. Deuxième mesure très concrète : nous avons quadruplé la capacité de notre usine pour la zone Europe, qui est passée de 1,4 millions en République Tchèque, à 5 millions de téléviseurs en Slovénie. Notre troisième mesure pour continuer de soutenir la demande et gommer les hausses de tarifs liées à la crise, nous allons mettre en place des offres de remboursement et nous travaillons avec nos partenaires distributeurs pour parer cet effet covid. »
Si les indicateurs ne sont pas tous au rouge et que les chaînes de production ont en majorité repris leur rythme habituel, il est tout de même bien difficile de jauger un retour à la normale sans sortir la boule de cristal. Néanmoins, à en croire les récentes déclarations des principaux acteurs de l’industrie, la situation ne semble pouvoir s’éclaircir avant 2022 au minimum avec une demande qui continuera de surpasser l’offre jusque-là.
Tarifs en hausse, ruptures de stock : s’équiper maintenant ou attendre ?
Alors que la pénurie est plus visible sur certains secteurs que d’autres, il y a fort à parier que les téléviseurs vont continuer de subir ruptures de stock et augmentation de leurs tarifs. Si la crise a profité à ce marché, avec une large croissance par rapport à 2019, elle finira par impacter plus fortement le consommateur dans les mois à venir.
« Occupant un rang mondial, Hisense espère sortir renforcé de cette crise, notamment grâce aux mesures que je viens de vous détailler. En revanche, la situation devrait fortement impacter les premiers prix des marques de distributeurs et autres OEM, qui travaillent davantage en flux tendu. »
À vrai dire, Bloomberg et IDC font déjà mention d’une augmentation des coûts de production des dalles LCD depuis fin 2020, une hausse qui touche toutes les diagonales. Il en va de même pour les téléviseurs OLED : alors que 2021 aurait dû être l’année où la technologie OLED devient plus accessible que jamais, on constate que la tendance s’est inversée. Concernant l’OLED, LG Display poursuit néanmoins d’accroitre ses capacités de production, on imagine donc que les tarifs de ces téléviseurs baisseront dès la sortie de crise, en 2022, ou plus tard …
À la vue des ces éléments, il parait clair que si vous comptiez vous équiper cette année c’est le moment où jamais, notamment en profitant des remises qui prennent place en amont de l’Euro 2021. Les stocks de modèles lancés en 2020 vont s’amenuiser petit à petit, tandis que les prix risquent de continuer à croitre. Ne reste plus qu’à espérer un retour à une situation normale pour début 2022, chose qui est encore loin d’être gagnée.
Nous remercions Rémy Journé pour le temps qu’il nous a accordé et ses éclaircissements sur la situation.