A malin, malin et demi ? L'hébergeur allemand CB3ROB, qui a un temps abrité le site The Pirate Bay vient de mettre les pieds dans le plat de la neutralité du Net en annonçant qu'il n'autoriserait plus les grandes majors du disque à profiter gratuitement de ses capacités réseau. Si ces dernières souhaitent que leur trafic Web puissent transiter par les interconnexions Internet gérées par CB3ROB, elles devront s'acquitter d'un forfait mensuel de 10 000 euros hors taxe. C'est du moins ce qu'a annoncé Sven Olaf Kamphuis, patron de l'hébergeur, expliquant vouloir faire comprendre aux maisons de disque le concept de neutralité du Net.
Discrimination au nom de la net neutralité ?
« Salut, partant du principe que certaines sociétés ont sérieusement sapé la neutralité du Net ces derniers mois, cette dernière leur paraissant bien moins importante que leur connerie de copyright, nous avons décidé de faire un exemple », a annoncé Kamphuis le 11 août dernier, par l'intermédiaire d'une liste de diffusion spécialisée.
« Si les réseaux qui suivent, à la liste desquels s'ajouteront de nouveaux noms le mois prochain, veulent échanger du trafic avec (notre point d'interconnexion), ils pourront obtenir un contrat auprès de (notre contact commercial), ce qui leur coûtera 10.000 euros par mois, hors 19% de TVA. S'ils ne veulent pas, hé bien, il n'y aura tout simplement plus de réseau pour eux... désolé les petits lapins », a-t-il ajouté, avant d'énumérer quelques-uns des réseaux d'entreprise concernés, parmi lesquels apparaissent les noms Sony Music ou Universal.
De quoi est-il question ici ? Comme beaucoup d'hébergeurs, CB3ROB entretient son propre réseau IP, par le biais d'un système autonome (AS) directement connecté aux infrastructures des grands opérateurs. Chaque AS est administré indépendamment du reste du réseau, comme l'entend son propriétaire, qui choisit généralement de mettre en place des voies vers d'autres réseaux que le sien de façon à favoriser la circulation des données sur Internet. Ces voies peuvent prendre la forme d'un accès d'égal à égal (ce qu'on appelle le peering), ou constituer un relai entre deux autres réseaux (on parle dans ce cas de transit).
Plutôt que de laisser les données émanant des réseaux des grandes maisons de disque emprunter librement son infrastructure, CB3ROB entend donc maintenant les faire payer pour ce service. La nouvelle ne devrait faire ni chaud ni froid aux majors concernées, dont les données emprunteront simplement d'autres routes : sa portée se veut donc plus symbolique qu'autre chose.
Oeil pour oeil, dent pour dent
CB3ROB n'en est en effet pas tout à fait à sa première prise de position sur le sujet de la neutralité du Net. Il a assuré un temps l'hébergement du très controversé tracker BitTorrent The Pirate Bay, objet de nombreuses procédures judiciaires en Europe, au sein de son Cyberbunker (un centre de données installé dans un ancien bunker anti-atomique aux Pays-Bas). En mai dernier, il a finalement dû couper l'accès au site, après réception d'une injonction l'exposant à 250.000 euros d'amende par infraction au droit d'auteur constatée par l'intermédiaire de son réseau.
Sven Olaf Kamphuis a manifestement eu du mal à avaler cette pilule. « On ne sent pas vraiment de leur offrir quoi que ce soit s'ils se comportent de façon hostile. S'ils ne parviennent pas à faire fermer The Pirate Bay lui-même, on peut tout simplement en conclure que The Pirate Bay a le droit à Internet au même titre qu'eux, et même plus en fait, puisque TPB nous a payé, et pas eux », explique-t-il encore. Il ajoute que les défenseurs du droit d'auteur, MPAA et RIAA en tête, trouvent plus facile de s'attaquer aux fournisseurs de services qu'aux internautes finaux qui se rendent finalement coupables d'infractions au droit d'auteur. En ceci, il estime défendre la neutralité du Net - un fournisseur d'accès n'étant pas responsable des contenus qui transitent par son réseau, ce à quoi certains lui ont rétorqué qu'il enfreint lui-même la règle qu'il entend défendre en pratiquant cette discrimination.
Bref, une polémique de spécialistes qui illustre bien la complexité du débat autour de la neutralité du Net, objet d'un récent rapport gouvernemental largement qualifié de décevant. A ce sujet, on pourra d'ailleurs lire le très long mais très instructif point de vue de Benjamin Bayart, président du FAI FDN, dans les colonnes de Libération.
Merci à M@tt pour l'info !