Le suspense a duré plusieurs décennies : quelle serait la première équipe à développer une expérience de fusion nucléaire capable de générer plus d’énergie qu’elle n’en reçoit ? La National Ignition Facility (NIF) américaine a dévoilé ce 13 décembre sa réussite, très médiatisée. Elle ouvre des portes, mais patience…
Le chemin sera très long jusqu’à la génération électrique.
Grosse pression sur la fusion
C’est une percée majeure dans un domaine technologique jeune, mais extrêmement complexe. Depuis la fin des années 50 (et après les réussites de fission), les différentes puissances du monde et leurs chercheurs planchent sur le défi de la production d’énergie par fusion. Cette dernière consiste, comme son nom l’indique, à faire fusionner des atomes légers, en l’occurrence des isotopes de l’hydrogène, pour obtenir de l’hélium. Cette réaction dégage énormément d’énergie, mais dépend surtout énormément des conditions dans lesquelles a lieu la fusion. Car pour qu’elle ait lieu, la fusion nécessite aussi une débauche de moyens.
Loin, très loin de la production d’énergie continue (à l’échelle annuelle) aujourd’hui disponible via une centrale à fission, la fusion est encore expérimentale. Il s'agit de recherche appliquée, mêlant des concepts fondamentaux de mieux en mieux compris, mais difficiles à mettre en application. Pour cette même raison, il existe de nombreux dispositifs dans le monde capables aujourd’hui ou demain de produire des réactions de fusion : JET en Angleterre, Wendelstein 7-X en Allemagne, ITER en France, le JT-60SA au Japon, EAST en Chine, le NIF aux États-Unis…
Ces dispositifs différents ont chacun leurs avantages et leurs noms techniques exotiques : tokamak, stellarator, confinement inertiel. C’est ce dernier qui fait l’objet de la révélation du jour. La National Ignition Facility a réussi lors d’un test le 5 décembre à générer 3,15 MJ en injectant une énergie de 2,05 MJ dans le dispositif. La réaction a un gain positif supérieur à 1, et c’est une première. Elle a généré plus d'énergie qu'elle n'en a reçu localement.
Le grand confinement !
Le confinement inertiel par laser est une méthode mise au point dans les années 70, lors des découvertes initiales liées à l’utilisation des lasers. L’objectif est complexe : une bille de 2 millimètres de diamètre contenant les deux isotopes d’hydrogène est piégée au centre focalisé du rayon de 200 lasers à forte puissance. La bille est contractée à l’extrême, chauffe à des millions de degrés Celsius et finit par atteindre les conditions pour un plasma de fusion.
Reste que jusqu’à ce mois de décembre, le contrôle des flux laser, l’homogénéité nécessaire pour contracter la bille, les conditions d’injection et les autres paramètres nécessaires n’avaient pu mener qu’à un gain de 0,7 en août 2021. Il s’agissait déjà d’un record, mais cette fois, le rendement est positif (1,5), c’est le « breakeven ». Du jamais mesuré, en pratique.
Un long, long chemin
Attention cependant à ne pas trop extrapoler autour de ce résultat de recherche. En effet, la révolution énergétique et électrique liée à la fusion n’est pas pour demain. Ni pour la prochaine décennie, malgré ce « breakeven ».
Il y a d’abord le défi de la production. Pour disposer d’un réacteur fonctionnel, il faudra des rendements globaux (c’est-à-dire avec les lasers et l’ensemble de l’installation) de l’ordre de la centaine. Il faudra également que ce ratio puisse être conservé et répété de façon stable sur de grandes durées, ce qui représente un challenge technique titanesque. L’installation laser américaine, qui utilise le même dispositif global que celui utilisé par les militaires américains pour simuler et tester les réactions des armes nucléaires américaines (la France utilise un dispositif équivalent avec le laser mégajoule), va probablement obtenir sa propre installation à moyen terme.
Enfin, et ce n’est pas vraiment un détail, il faudra que ce soit économiquement viable. Le programme de confinement inertiel se voit doté d’une hausse importante de budget de 624 millions de dollars pour l’année à venir. Pourtant, les scientifiques du projet n’imaginent pas un dispositif fonctionnel en service sur le réseau américain avec cette méthode avant une trentaine d’années.
Pour terminer, il faut souligner que ce résultat, s’il représente effectivement une percée technologique d’ampleur et une démonstration qui met en valeur des décennies de préparation, n’invalide pas les autres méthodes. ITER, dont la construction du gigantesque tokamak en France rencontre de grosses difficultés, utilise des conditions très différentes de celles de l’expérience américaine, mais est toujours pertinent aujourd’hui et demain. Comme l’a souligné la secrétaire à l’Énergie lors de son allocution ce mardi, le « breakeven » va nourrir les autres expériences et les équipes scientifiques autour du monde. C’est une piste excitante et prometteuse.