Quelque 5 millions d'automates de vente sont disséminés dans tout le Japon, pays au faible taux de délinquance où ces machines, pleines de pièces et billets et posées à même le trottoir, ne sont pas saccagées. Environ la moitié de ces distributeurs servent des boissons fraîches ou chaudes, totalisant un volume de vente qui se chiffre en milliards de cannettes et mini-bouteilles pour un montant annuel de plus de 20 milliards d'euros. On trouve un bel éventail de breuvages non alcoolisés dans les distributeurs automatiques nippons, lesquels sont aussi parfois capables d'agir à la tête du client.
La preuve : une des filiales de la compagnie de chemin de fer JR Higashi Nihon, qui dessert principalement la région de Tokyo, est en train de déployer un réseau de distributeurs dits « de nouvelle génération », bardés de technologies informatiques, non seulement pour être polyvalents mais aussi pour améliorer la connaissance des acheteurs et, par voie de conséquence, l'offre proposée.
Ces imposantes machines sont pour le moment installées dans les principales gares de Tokyo (Shinagawa, Tokyo, Shibuya, Ikebukuro). Le groupe prévoit d'en totaliser 100 dans la capitale d'ici à fin mars et 500 un an plus tard. De loin, elles ressemblent aux traditionnels distributeurs, mais de près elles s'en distinguent par le fait que la vitrine qui d'habitude abrite les échantillons de boissons proposées est remplacée par un écran à cristaux liquides de 47 pouces. On comprend tout de suite l'avantage de ce dernier : il permet d'afficher autre chose que les boissons, par exemple des publicités quand personne n'est en train d'acheter. Toutefois, la principale innovation n'est pas là, mais dans le fait que cette machine est capable de donner des conseils aux clients en mettant en avant des boissons qui, selon elle, correspondent le mieux au profil du consommateur qui lui fait face. Un dispositif fourni par la société nippone Omron, comprenant un capteur de présence, une caméra et un logiciel de reconnaissance, permettent en effet de discerner le type d'individu (sexe et âge approximatif). A partir d'une base de données initiales de 10 000 personnes, consultée à travers un serveur distant, la machine recommande alors des breuvages, en prenant également en compte l'heure et la saison.
Le taux de réussite pour la reconnaissance serait de l'ordre de 75 % concernant la tranche d'âge, et de 90 % s'agissant du sexe, selon une filiale de la compagnie de chemin de fer JR East, co-conceptrice de l'objet. De surcroît, plus cet appareil vend, plus il devient pertinent, grâce à une mémoire qui associe les boissons effectivement sélectionnées au sexe et à l'âge présumés des acheteurs. Il peut ainsi recommander aux clients suivants de profils similaires les breuvages qui a priori sont les plus susceptibles de leur plaire. Un petit macaron « osusume » (recommandation) vient alors clignoter au côté de l'image des boissons concernées, laissant cependant la totale liberté au client d'en choisir une autre. En cliquant sur une des silhouettes de cannette ou bouteille affichées sur l'écran tactile, qu'elle qu'elle soit, avant d'avoir glissé sa monnaie, l'image en question vient s'afficher en gros au milieu, accompagnée d'informations complémentaires (composition, origine, bien-faits, etc.). Voilà d'appréciables renseignements que ne sait pas fournir, ou très maladroitement, une traditionnelle machine.
De plus, la physionomie de ce distributeur high-tech change régulièrement, passant d'écrans publicitaires à des vidéos de présentation de boisson ou des images destinées à intriguer les passants, tels les grands yeux accompagnés d'une question « Quelque chose à boire ? ». Ces nouvelles machines sont en outre évidemment munies de toutes les technologies de paiement par téléphone portable ou carte en plastique porte-monnaie électronique, à commencer par le passe intégral train/bus/métro à puce sans contact Suica de JR. Ces distributeurs sont en outre reliés en réseau par technologie Wi-Max à un serveur qui peut contrôler simultanément plusieurs machines de la même espèce et diffuser des contenus multimédias de façon large. Ainsi, en cas de séisme ou autre catastrophe naturelle (phénomènes fréquents au Japon), est-il possible d'afficher simultanément sur toutes les machines les informations disponibles en temps réel, de guider les passants affolés et même, si besoin, de programmer la gratuité des boissons en stock et de le faire savoir via l'écran.
Vis-à-vis des conseils donnés d'emblée par le distributeur, les Japonais se montrent plutôt bien disposés et les enfants amusés.
« Je suis tentée de croire que ce qui est suggéré est bien quand je suis moi-même incapable de me décider », sourit une cliente d'une quarantaine d'années, soulignant au passage que la machine a vu juste, lui proposant une de ses boissons favorites. Deux demoiselles d'une vingtaine d'années, croisées en fin de soirée à la gare de Tokyo, sont béates d'admiration devant la bête lorsqu'on leur en dévoile les secrets. « Non, sans blague, c'est extra. Franchement, c'est vrai que ça peut aider quand on hésite ». « Nous souhaitons proposer des machines capables de mieux communiquer avec les gens », assure Toshinari Sasagawa de JR East Water Business, exploitant de l'engin. Ce nouveau type de distributeur est il est vrai plus poli que les traditionnelles autres, ayant la délicatesse de ne pas proposer sur l'écran des boissons qu'il n'a plus en réserve, ce qui, avec les modèles traditionnels, a le don d'agacer.
Bien que parfois un peu perturbés, tous les individus vus en train de l'utiliser semblaient ravis.
Les premiers résultats montrent que le chiffre d'affaires de ces machines est deux à trois fois supérieur à celui des classiques distributeurs, JR espérant in fine une augmentation de 30 %. Reste qu'en l'absence totale d'explications, nombreux sont sans doute les utilisateurs qui ignorent le fait que cette machine est dotée d'une caméra. Quand on le leur dit, cela n'a cependant pas l'air de les inquiéter, au contraire. JR a néanmoins pris la précaution de faire savoir à la presse que les images ne pouvaient être conservées. Toutefois, le groupe enregistre les informations basiques qui indiquent par exemple qu'un individu lambda de sexe masculin âgé d'environ 30 ans a acheté tel jour à telle heure telle boisson. De la sorte, la compagnie est capable, comme le sont depuis des années les supérettes ouvertes 24 heures sur 24, d'établir des statistiques sur les profils et tendances de consommation.
Et c'est ainsi que l'on apprend par exemple que les acheteurs les plus nombreux sont les hommes (63 %), que le cœur de cible est représenté par ceux de 20 à 39 ans, qu'ils se gorgent de café en cannettes et de liquide aux vitamines le matin, optent pour des boissons sucrées et redynamisantes dans l'après-midi et se rincent le gosier en milieu de nuit avec une eau minérale ou une breuvage anti-gueule de bois, afin d'atténuer les effets d'une rituelle beuverie nocturne alcoolisée entre collègues. Ces données horodatées et géolocalisées sont censées permettre de mieux gérer l'éventail de boissons proposées par chaque machine en fonction du profil de la clientèle qui fréquente les lieux. Ces statistiques sont aussi bien utiles pour programmer pertinemment la diffusion de messages promotionnels. Mais in fine, plutôt que de se sentir cernés par des marchands assoiffés de gains, les Nippons se félicitent de trouver au distributeur du coin les boissons qu'ils ont plutôt envie d'avaler et d'être abreuvés de publicités qui sont plutôt censées les intéresser.
L'initiative de JR ne restera pas isolée. D'autres sociétés, comme Coca-Cola Japon, qui gère environ un million de distributeurs dans l'archipel, s'activent aussi pour rendre leurs engins plus visibles et attractifs, grâce à des écrans, des systèmes de fidélité qui permettent d'obtenir divers cadeaux symboliques et autres petites attentions.