Dans cette ambiance totalement inédite et anxiogène, les informations parfois contradictoires affluent de toutes parts, et nul ne sait désormais à quelle source s'abreuver, à quel saint se vouer. C'est cet accablement que traduit l'illustration de JP Nishi, lui aussi profondément touché, comme tous ses concitoyens, par la tragédie dont est victime le Japon (quelque 28 000 morts et disparus selon le plus récent bilan, toujours provisoire).
Ce dessin, très révélateur pour ceux qui vivent actuellement au Japon, évoque l'angoisse de l'internaute devant son écran, naviguant entre l'image d'un spécialiste intervenant à la TV pour expliquer la situation à la centrale nucléaire accidentée de Fukushima (en haut à gauche), la couverture jugée scandaleuse car traumatisante du magazine AERA, l'archipel avec la zone d'évacuation autour de la centrale, le ministre de l'Industrie qui appelle la population à minimiser sa consommation d'électricité, les réacteurs de la centrale que l'on arrose tant bien que mal pour éviter que le combustible nucléaire ne fonde, l'image du coeur d'un réacteur telle que ne cessent de la présenter journaux et télévisions et des milliers et milliers de contributions des uns et des autres sur Twitter.
Cette "grande catastrophe du nord-est du Japon" est la plus importante depuis 1923 et la première qui survient dans l'archipel depuis la démocratisation d'internet (lors du séisme de Kobe en 1995, le réseau n'était encore qu'embryonnaire). De facto, l'on peut mesurer à quel point la Toile est devenue ce qu'on appelle ici "une ligne de vie".
Twitter autorise chacun de poster des messages brefs qui racontent une expérience, diffusent efficacement des informations à l'attention des citoyens, mettent en relation des structures d'aide et victimes, permettent à des journalistes de donner rapidement les plus importantes informations, renvoyant vers les articles afférents plus détaillés. Le bureau du Premier ministre japonais et l'un de ses bras droits utilisent aussi assidument Twitter pour prévenir d'un point de presse, indiquer la mise en ligne de nouvelles données et publier des compte-rendus de conférences. Le président du principal parti d'opposition est également un grand utilisateurs de Twitter.
De grands patrons d'entreprises aussi y vont de leur opinion sur les faits présents. Masayoshi Son, l'influent PDG-fondateur du groupe de services internet et de télécommunications Softbank, est un des plus actifs, qui n'a de cesse de poster sur le sujet. On l'a vu aussi à la télévision, les traits tirés et manifestement très affecté par ce drame national. Le réseau cellulaire de son groupe a été durement endommagé dans la vaste zone totalement ravagée par le tsunami qui a atteint plus de 16 mètres par endroits. Ces dégâts sont certes douloureux pour les finances de Softbank, mais il semble qu'ils le soient plus encore pour M. Son, lequel aimerait que le téléphone portable soit un vrai outil de secours lors des sinistres comme celui-là.
Par ailleurs, comme le montrait le manga de JP Nishi illustrant le précédent Live Japon, de jeunes soldats-secouristes utilisent aussi Twitter pour faire part de leur expérience et impressions, un moyen sans doute thérapeutique face à l'horreur.
Outre les "tweets", contributions diverses d'organismes ou particuliers sur des sites communautaires, retransmissions de conférences de presse sur les sites "Niko Niko Doga" ou Ustream et diffusions de vidéos (notamment sur YouTube), des grands noms de l'internet ont également bousculé leurs pages pour proposer des services nouveaux liés à ce désastre. Ainsi a-t-on vu apparaître sur la page d'accueil japonaise du moteur de recherche Google une section "Informations sur la grande catastrophe du nord-est du Japon".
Dans cet espace figure notamment un outil de "recherche de personnes" censé permettre de retrouver des individus, de poster une information sur quelqu'un ou de signifier que l'on est à sa recherche. On peut tenter de prendre des nouvelles de quelqu'un par différents critères, dont le nom (en tout ou partie), un numéro de téléphone portable. A chaque information ou requête concernant une personne, il est possible de faire figurer une photo. En d'autres termes, il s'agit un peu de la version en ligne des affichettes que l'on collait autrefois dans les lieux publics et distribuait dans les rues pour tenter de recueillir des éléments inédits sur l'un des siens.
Ce service de Google est aussi disponible dans les langues étrangères les plus parlées au Japon (anglais, chinois, coréen, portugais, espagnol, vietnamien). La base de données afférente est liée à celle de la chaîne de télévision NHK, ainsi qu'à celles des préfectures meurtries, de la police et de grands journaux (Asahi Shimbun, Mainichi Shimbun). Une autre page Google dresse quant à elle l'index de tous les centres de refuge et les positionne sur une carte.
La section Google dédiée au séisme et à ses conséquence présente également un outil d'informations sur les structures d'aide et centres d'accueil de réfugiés ainsi qu'un outil pour poster des images des listes de personnes qui s'y trouvent. Il est également possible, depuis cette même page, d'adresser un don d'argent à la Croix Rouge japonaise ou d'accéder directement aux sites les plus utiles (page du gouvernement, de l'Agence de sûreté nucléaire, des services de transport, etc.) référencés par type.
Le concurrent de Google, Yahoo! Japan, a lui aussi consacré une section spéciale à la catastrophe avec, là encore, des outils pour prendre des nouvelles de personnes, des guides pour les habitants des préfectures touchées, des liens vers des associations et diverses autres ressources potentiellement nécessaires. A noter que Google et Yahoo! renvoient chacun vers la page, complémentaire, de l'autre, ce qui est une sage attitude tant la concurrence n'a pas sa place dans ce genre de circonstances.
Il est fort possible que Live Japon revienne une fois de plus la semaine prochaine sur ce drame et ses conséquences pour les médias et services en ligne, mais pour terminer cette semaine, saluons une initiative tout-à-fait originale d'un Britannique résidant au Japon.
Mu par le désir d'aider les victimes du tremblement de terre meurtrier il a réuni, via internet, blogueurs et écrivains pour créer un livre d'histoires sur le drame. Le résultat, "Quakebook", est une émouvante collection de photos, souvenirs et réflexions. L'initiateur de ce projet, qu sévit sur un blog et apparaît sur Twitter sous le pseudo "ourmaninabiko" avait, une semaine après le séisme, posté un appel collectif sous la forme d'un "tweet" disant:. "Je veux écrire un livre d'expériences vécues sur le séisme, le publier et verser tous les bénéfices à la Croix-Rouge. Nous avons la technologie". "Si tout le monde écrit 250 mots - une page - ou présente ses tweets favoris, photos ou illustrations, je peux publier en quelques jours", avait ajouté ce résident de Chiba (est de la préfecture de Tokyo), qui préfère ne pas être nommé afin de préserver l'esprit communautaire du projet. Moins de 45 minutes après son premier tweet, il reçut la première contribution. Plus de 200 personnes ont été impliquées dans le projet, y compris des éditeurs et traducteurs volontaires.
Certains des contributeurs de Quakebook, comme Yuki Watanabe, originaire de Fukushima qui vit maintenant à Tokyo, ont de la famille dans la zone touchée. "La maison de mes parents est à 40 km de la centrale nucléaire de Fukushima. On leur a dit qu'ils doivent rester à l'intérieur", écrit-elle, selon des extraits de l'ouvrage à venir. Cette oeuvre collective n'aurait bien sûr pas été possible en si peu de temps avant l'émergence des sites de réseaux sociaux comme Twitter", assure l'initiateur de Quakebook.