Pays dépourvu de ressources naturelles, le Japon est contraint d'importer autant son énergie que les matières premières nécessaires à une production industrielle dynamique, notamment dans le secteur de l'électronique. Or, il se trouve que ce dernier est très gourmand en métaux précieux ou dits rares, des éléments qui ne sont pas nécessairement abondants dans la nature mais dont les gisements ne sont pas totalement exploités et dont les cours flambent.
Parallèlement, le Japon est aussi un des pays où l'on jette chaque année des tonnes de produits électroniques soit disant usés et qui finissent broyés alors qu'ils contiennent des trésors, à savoir les matières recherchées, importées et très onéreuses comme l'or, le cobalt, le lithium, le gallium, etc. Le Japon consomme à lui seul un quart des métaux rares produits dans le monde. Face à ce qui ressemble à un gigantesque gâchis, les autorités nippones semblent décidées à prendre des mesures pour exploiter la montagne de déchets que représentent ces engins mis au rebut, un gisement énorme que l'on surnomme ici « toshikozan », autrement dit, la « mine de ville » ou « mine urbaine ».
Le 22 août dernier, une commission du ministère japonais de l'Environnement a proposé un nouveau dispositif de recyclage de petits produits électroniques grand public, dont les particularités sont la gestion au niveau des autorités locales et l'absence de taxe de recyclage, contrairement à ce qui est appliqué sur les voitures ou de gros appareils domestiques comme les téléviseurs, réfrigérateurs, climatiseurs, lave-linge ou ordinateurs pour lesquels le recyclage est déjà obligatoire.
La nouvelle proposition concerne au total 45 types de produits sur 97 variétés, dont les téléphones portables, appareils photo numériques, lecteurs de DVD portables, enregistreurs audio, adaptateurs secteur, baladeurs audio, systèmes de radionavigation, consoles de jeu vidéo portables, encyclopédies électroniques, etc. Selon les calculs du ministère de l'Environnement, chaque année, le montant des métaux précieux et rares perdus à cause de la mise au rebut des 97 types d'appareils concernés s'élève à 87,4 milliards de yens (près de 800 millions d'euros). La commission a estimé que même en récupérant gratuitement les produits et en les retraitant, l'affaire pouvait être rentable. D'après les chiffrages actuels, un kilo des 45 appareils visés par le dispositif de recyclage à l'étude contient en effet souvent une valeur importante et ré-exploitable de métaux précieux et rares. Exemple, pour un téléphone portable, 1 699 yens (15,50 euros), pour un appareil photo numérique 1 180 yens (10,70 euros), pour un enregistreur audio 1 158 yens (10,50 euros), pour une calculatrice, y compris basique, 152 yens (1,40 euro) ou encore pour un adaptateur secteur 125 yens (1,15 euro). Selon les experts, si l'on parvient à recycler ne serait-ce que 20 à 30% des 45 produits préconisés sur les 97, le système sera bénéficiaire.
Toutes ces données s'appuient sur des expérimentations qui ont eu lieu dans plusieurs régions du Japon. Des autorités locales ont installé des boîtes de récupération dans divers endroits comme les stations de métro ou les supérettes ouvertes 24 heures sur 24, et lancer des campagnes incitatives, sous forme de concours par exemple, avec des petits cadeaux à la clef, comme ce fut le cas dans la commune de Hitachi (nord-est). Un site internet a appuyé cette initiative visant à concevoir un concept-modèle de recyclage applicable ensuite à d'autres localités.
Toutefois, les réticences de certains Japonais restent fortes pour les appareils qui contiennent des données personnelles, dont les téléphones portables. Selon une enquête récente, la principale raison pour laquelle les personnes les gardent chez elles au fond d'un placard est la hantise que, jetés, les informations qu'ils enferment ne soient exploitées à mauvais escient par des individus mal intentionnés. Par ailleurs, la séparation des métaux rares dans la chaîne de recyclage rencontre des obstacles techniques qui restent à résoudre. Si un coup d'accélérateur semble avoir été donné sur ce point ces derniers mois, le dispositif législatif envisagé ne sera néanmoins pas appliqué au plus tôt avant l'année prochaine. « En tant que pays avancé et préoccupé par l'environnement, le Japon doit naturellement penser à une réutilisation à maintes reprises des ressources naturelles plutôt qu'à une consommation à usage unique », plaidait récemment devant les caméras de la chaîne publique NHK un responsable ministériel.
De telles dispositions sont d'autant plus impérieuses que les pays qui détiennent les ressources, dont la Chine, tendent à limiter les exportations, ce qui risque de restreindre les capacités de production d'appareils électroniques du Japon.
Conscient de ce problème et du fait que la manutention et les coûts que représente le traitement des produits usés sont des obstacles, les industriels s'active en amont et en aval pour faciliter les tâches, sachant que cela est à leur avantage. Des entreprises comme Sharp ou Sony prétendent par exemple concevoir des appareils comportant moins de composants et plus faciles à démonter, justement pour faciliter leur recyclage.
Par ailleurs, des nouveaux procédés sont imaginés pour récupérer de façon écologique, sans produits chimiques, les métaux, notamment ceux appartenant au groupe restreint dit des "terres rares", contenus dans les aimants de disques durs, moteurs électriques ou encore de climatiseurs usés. Hitachi, qui avait lancé les travaux dans ce domaine fin 2009, dit être parvenu à mettre au point une technologie efficace. Il prévoit désormais d'en évaluer précisément le rendement et les coûts, dans le but de la mettre en application à horizon 2013.
« Concrètement, nous avons conçu un système qui permet de séparer et recouvrer les aimants contenant des terres rares et testé un dispositif pour les en extraire », a expliqué le groupe. « Alors qu'une personne met en moyenne cinq minutes pour récupérer un aimant dans un disque dur usagé, ce qui revient à 12 par heure, le dispositif en question permet de retirer 100 aimants par heure », a-t-il détaillé. Le groupe affirme qu'il a aussi mis au point un procédé pour extraire les terres rares de ces pièces magnétiques sans avoir recours à des acides ou autres produits chimiques, ce qui permet d'éviter les problèmes de pollution et de réduire les frais. « Nous allons désormais poursuivre les recherches pour renforcer et fiabiliser cette technique ».
L'ajout de certains éléments du groupe des 17 terres rares dans les aimants permet d'en renforcer le pouvoir magnétique et la durabilité. Ces terres rares sont devenues indispensables dans les produits électroniques de pointe, tels que les disques durs, les moteurs des voitures hybrides, les plus récents climatiseurs domestiques ou encore les éoliennes. Alors que la Chine a fourni 97 % des terres rares en 2009 et tend à réduire volontairement ses exportations, le Japon, gros consommateur de ces substances cruciales pour son industrie, essaie de réduire sa dépendance et sa vulnérabilité vis-à-vis de son voisin asiatique.
« Comme la création de matériaux de substitution exige du temps, les espoirs se tournent davantage vers le développement de techniques de recyclage afin d'assurer un approvisionnement stable », a souligné Hitachi. Rappelons que le Japon a été récemment victime d'un arrêt ponctuel des arrivages de terres rares en provenance de Chine, le principal exportateur de ces matières que les autres nations ont en grande partie cessé d'exploiter parce que les procédés sont polluants. Les autorités de Pékin avaient utilisé ce levier pour faire pression sur Tokyo à la suite d'un incident en mer à proximité d'îles disputées entre les deux nations, un problème qui a entraîné une grave crise diplomatique bilatérale.
Au-delà de ce différend, la Chine veut limiter ses exportations pour diverses autres raisons. Conscient que le seul recyclage ne permettra pas de combler les besoins, les Japonais sont forcés dans le même temps de trouver d'autres sources d'approvisionnement ou solutions de remplacement aux terres rares.