Comme l'illustre ci-dessous le mangaka japonais Taku Nishimura (alias Jean-Paul Nishi), la vie tranquille des « otaku » du jeu vidéo continue. Pourtant, le drame reste présent dans l'esprit de quelques joueurs qui, fin août, se sont réunis ailleurs, à Minamisoma, une ville de la côte ravagée du nord-est, située à une trentaine de kilomètres de la centrale de Fukushima. Là a eu lieu les 28 et 29 août derniers un concours thématique de création de jeux, « Fukushima Game Jam à Minamisoma », une opération créative qui se voulait un symbole de la combativité du pays, dont la région sinistrée est loin d'être reconstruite.
Six mois après la tragédie et deux semaines avant l'inauguration du Tokyo Game Show, Fukushima Game Jam voulait montrer aux étudiants des régions meurtries qu'il est possible de trouver du réconfort dans la création en équipe de divertissements virtuels face à une réalité cruelle.
Reproduisant au niveau local un cadre similaire aux 130 concours du même type qui se tiennent généralement en janvier dans une quarantaine de pays et réunissent 6.500 participants, cette session spéciale de Minamisoma prenait une tournure particulière dans le Tohoku (nord-est) ravagé par le désastre qui a fait près de 20 000 morts et disparus. « Depuis le 11 mars, des développeurs de jeux se sont sentis en partie inutiles et impuissants, se sentant totalement démunis, dans l'incapacité de faire quoi que ce soit d'utile pour la région sinistrée », explique un des organisateurs de cette opération, un journaliste spécialiste des jeux vidéo. Il en fut de même pour des artistes (dont le mangaka Jirô Taniguchi) et bien d'autres.
Pendant deux jours, plusieurs dizaines d'équipes d'étudiants japonais se sont affrontés pour créer des applications ludiques sur le thème imposé « tsunagari » (connexion), un message de solidarité et d'espoir notamment pour ceux qui, résidant à moins de 20 km du site nucléaire, ont dû quitter leur domicile et ne sont pas près d'y revenir. En participant à ce concours, les jeunes de la région ont aussi donné l'occasion à des professionnels du secteur venus prêter main-forte de faire un geste de soutien au service du Tohoku. Six mois après le drame, il n'est pas trop tard, au contraire.
Pour avoir parcouru Soma, Minamisanriku et une partie d'Ishinomaki la semaine passée, l'auteur de ces lignes se doit de témoigner du fait qu'il reste bien des personnes en détresse et bien du travail à accomplir sur le terrain, une partie de ces différentes villes ayant été totalement rasée. Au milieu d'hectares de terrains désolés, champs de ruines, restent encore des voitures perchées au faîte d'immeubles de deux ou trois étages submergés le 11 mars par la déferlante de 15 mètres qui s'est abattue sur les côtes du nord-est.
Motivées, souriantes et pleines d'idées, les différentes équipes ont présenté leurs applications, dont certaines ont l'air ma foi bien amusante. Il est a souhaité que les mini-jeux développés en quelques heures trouvent un jour une place sur les plates-formes de distribution de jeux « communautaires », nouvelle martingale du secteur pour les prochaines années, du moins si l'on en juge par la place qu'ils occupent cette année au Tokyo Game Show. « Jeux pour smartphone et tablettes », « réseaux de socialisation » sont en effet les mots-clefs des exposants et conférenciers du plus grand salon asiatique du divertissement numérique multimédia. Alors que la firme centenaire Nintendo, pionnière japonaise des consoles de poche, boude le Tokyo Game Show et peine à vendre sa nouvelle machine, la 3DS, les jeunes pousses nippones qui misent tout sur le jeu téléchargeable sur mobile sont à la fête.
L'une d'elles, Gree, créée en 2004, s'est offert au TGS 2011 un stand presque aussi grand que celui de Sony, profitant de la popularité nouvelle des jeux qui reposent sur la communication entre membres de sites communautaires. Gree revendique plus de 25 millions d'utilisateurs au Japon (sur une population de quelque 128 millions d'âmes. « Nous avons construit une plate-forme qui permet à des studios de développement de concevoir des jeux de société pour mobiles, tout comme ils le font pour les consoles portables DS de Nintendo ou PSP de Sony », explique Shinichi Iriyama, responsable de la communication de Gree. Les plus grands créateurs du secteur, comme Konami, Taito, Capcom, offrent désormais des applications pour la plate-forme Gree ou pour celle d'une société concurrente, DeNA, dont le service « Mobage » compte quelque 29 millions d'utilisateurs dans l'archipel.
« Ce sont des jeux qui reposent sur la communication entre individus et sur l'échange de données, en temps réel ou en différé », précise M. Iriyama. Compétition, constitution d'équipes, échanges d'accessoires utiles dans le jeu, les possibilités sont infinies. Et le même de souligner que « le public de ce type de jeux est très large, plus que celui des possesseurs de consoles », puisque tout le monde ou presque au Japon possède un téléphone portable avancé et que les modèles encore plus polyvalents et évolutifs (smartphones) sont désormais adoptés à un rythme très rapide. Contrairement au jeux sur consoles, ce sont les adultes qui sont les plus nombreux à s'adonner aux divertissements sur mobiles. « La moitié de nos utilisateurs ont plus de 30 ans et seulement 20 % ont moins de 20 ans », précise M. Iriyama.
Le marché des jeux de socialisation sur mobiles au Japon a déjà dépassé l'an dernier 100 milliards de yens (près d'un milliard d'euros), « il devrait atteindre 200 milliards cette année et 300 milliards la prochaine ou la suivante », assure pour sa part le patron de DeNA, Isao Moriyasu. « Le rythme de croissance est absolument incroyable », se félicite un directeur du groupe Bandai-Namco. « Au départ, d'aucuns pensaient que le soufflé retomberait très vite, mais au contraire, la croissance s'amplifie », renchérit M. Moriyasu. Selon lui, « les joueurs ne ressentent quasiment plus les différences entre les jeux sur mobiles et sur consoles, grâce aux progrès technologiques ». L'extension de la gamme de mobiles reposant sur les systèmes d'exploitation iOS d'Apple (comme les iPhone ou tablettes iPad) ou Android de Google favorise la diffusion des jeux, non seulement au Japon mais aussi à l'échelle mondiale.
« Pour Gree, qui possède une plate-forme dédiée et bien rôdée, tout l'enjeu est désormais d'adopter la bonne stratégie pour proposer des jeux à l'échelle internationale et profiter de l'étendue potentielle du marché », reconnaît M. Iriyama. « Le Japon était initialement le premier marché du jeu vidéo sur console avec une part de quelque 50%, aujourd'hui il n'en représente que 15 %. Le même phénomène est susceptible de se produire pour les jeux de socialisation sur mobiles, ce qui signifie que le marché international devrait atteindre dans quelques années quelques dizaines de milliards d'euros », ajoute M. Moriyasu.
« Un des éléments importants pour servir ce marché est de bien comprendre le comportement des utilisateurs », insiste cependant Bandai-Namco, groupe qui s'apprête à établir une coentreprise avec DeNA afin de disposer d'outils d'analyse des usages en quasi temps-réel, une des armes stratégiques de Gree et DeNA. La percée de ces entreprises force non seulement les développeurs mais aussi les fabricants de consoles à réagir et à s'activer. Leurs prestations de cette semaine prouvent qu'ils sont conscients du danger.
Nintendo a ainsi dévoilé mardi 13 une série de nouveaux titres pour ses consoles portables, dont une trentaine pour son dernier modèle, la 3DS, qui peine à trouver preneurs. < Entre la fin de cette année et l'an prochain, nous offrirons une gamme de jeux qu'il n'est pas exagéré de qualifier d'inédite dans l'histoire du jeu vidéo », s'est félicité le patron de l'entreprise de Kyoto, Satoru Iwata. « Cette annonce reflète nos efforts pour attirer les clients », a-t-il insisté.
Le géant du jeu a présenté un total de 43 titres à paraître au Japon, dont 33 pour la 3DS. Les nouveautés pour les marchés étrangers seront annoncées en temps voulu, a précisé un porte-parole de Nintendo à Tokyo. La société va également renforcer les fonctions de la console à deux écrans 3DS pour permettre à son appareil photo de réaliser des vidéos en trois dimensions (3D). Une variante de couleur rose sera également mise en vente « pour attirer le public féminin » (sic).
La présentation de la nouvelle collection de divertissements intervient quelques semaines après la réduction du prix de la 3DS de 40 % au Japon et d'environ 30 % ailleurs. Nintendo se démène pour stimuler les ventes de cette machine dont l'attractivité n'a pas sauté aux yeux des joueurs, en dépit d'un écran qui permet de voir des images en relief sans porter de lunettes spéciales.
Si la baisse de tarif mi-août a sur le coup fait franchir le rubicon à quelques milliers de clients au Japon, son impact semble avoir été de courte durée, à cause d'un manque de jeux alléchants pour cette machine qui va être concurrencée dans trois mois quasi jour pour jour par la PS Vita de Sony. Le fleuron de l'électronique nippon a en effet annoncé en fanfare mercredi 14 que sa nouvelle bête serait commercialisée le samedi 17 décembre dans l'archipel. La Vita, qui pourra se connecter à des réseaux cellulaires 3G ou locaux sans fil Wi-Fi, existera en deux versions, respectivement vendues 29 980 yens (275 euros) et 24 980 yens (230 euros). Elle ne sera disponible ailleurs (Europe, Etats-Unis) que début 2012, manquant la période de Noël.
Sony se dit obligé d'étaler les lancements pour être en mesure de proposer un nombre suffisant de jeux dans chaque pays et éviter de reproduire les erreurs de Nintendo. Sony affirme avoir actuellement 100 titres Vita en développement, dont 26 seront disponibles au moment de la sortie de la console au Japon. La Vita, qui s'inscrit dans la lignée des modèles PSP (PlayStation Portable) écoulés à quelque 71,4 millions d'exemplaires dans le monde, est enrichie de plusieurs atouts techniques, dont une caméra, un capteur GPS (version 3G) ainsi qu'un écran et un dos tactiles. « Toutefois, l'attractivité de cette console, qui va permettre d'élargir encore le public du jeu vidéo, dépendra surtout de l'imagination des créateurs de contenus », a souligné Hiroshi Kawano, PDG de Sony Computer Entertainment.
Le groupe souhaite positionner sa nouvelle machine comme un objet de « loisirs » très grand public et non un appareil pour un nombre plus restreint de mordus. Outre le jeu, la Vita permettra de regarder des films et autres vidéos, d'écouter de la musique, de se connecter à des sites internet, dont les réseaux communautaires comme Facebook ou de diffusion de brèves informations comme Twitter. « Les applications ludiques qui permettent le contact en ligne avec les amis dans le prolongement de la vie quotidienne vont croître à l'avenir », a assuré Masami Yamamoto, directeur général adjoint d'un studio de création de Sony.
Le géant nippon de l'électronique s'est allié cette fois non seulement à ses traditionnels partenaires développeurs de jeux en tout genre, mais aussi au très populaire site nippon de diffusion de vidéos en direct et en différé Nico Nico Douga. De plus, la version Vita 3G sera proposée au Japon en partenariat avec le premier opérateur nippon de télécommunications mobiles, NTT Docomo, lequel offrira des formules prépayées d'accès à son réseau. « L'arrivée de nouveaux entrants oblige le monde du jeu vidéo à définir une stratégie de croissance en prenant en compte ces deux aspects, autrement dit à proposer, grâce aux réseaux, l'accès à des applications et contenus autres que les seuls jeux », a reconnu M. Kawano.
La PS Vita et plusieurs jeux spécifiques sont disponibles en test en avant-première au Tokyo Game Show cette fin de semaine, une manifestation qui cette année a moins attiré d'étrangers, apeurés par les conséquences de l'accident à la centrale de Fukushima.
Twitter: @karyn_poupee