Comme le métaphorise le mangaka J.P. Nishi, en fusionnant, les enseignes se disent plus fortes, leur assise consolidée, mais la réalité est bien que le secteur est en partie déplumé.
Appelés "kaden ryôhanten" (grands magasins d'électroménager), les Yamada Denki (enseignes "Labi", désormais très nombreuses à Tokyo), Bic Camera, Yodosbashi Camera, Best Denki, Kojima etc. sont des institutions au Japon, implantées dans toutes les grandes villes de l'archipel, avec pour chacune des zones de force (l'est, l'ouest, les banlieues, les centres-villes, etc.). Pour un Français, une telle profusion est ahurissante et l'on en vient vite à se demander comment toutes peuvent survivre tant elles sont nombreuses, parfois dans le même quartier. On est cependant tout autant surpris d'observer une telle foule dans ces temples de l'électronique, surtout le week-end.
Reste que l'âge d'or semble passé.
« Nous avons connu ces dernières années une période très favorable notamment grâce à la nécessité pour les foyers de renouveler leurs téléviseurs avant l'arrêt des émissions analogiques le 24 juillet 2011, et du fait des achats d'appareils électroménagers moins énergivores en raison de l'obligation de réduire la consommation électrique après l'accident de Fuskushima. Hélas nous subissons désormais le contre-coup de ces phénomènes ponctuels ainsi que de la fin de mesures de subventions étatiques diverses. Le secteur du commerce électronique traverse une phase difficile », explique Yamada Denki dans son argumentaire justifiant le rachat de Best Denki.
Yamada Denki indique avoir réagi à ces changements conjoncturels en se positionnant très fortement sur une offre qui « privilégie l'électroménager intelligent, écologique et économe » (systèmes solaires, batteries domestiques, etc.) et en élargissant sa gamme (voitures électriques, générateurs de courant à piles à combustible, etc.). Las, cette stratégie ne saurait suffire dans un univers ultra-concurrentiel où la guerre des prix fait rage, contribuant d'ailleurs grandement à la déflation dans laquelle se débat de façon chronique l'économie nippone depuis une décennie. De fait, Yamada Denki a décidé d'avaler un concurrent d'une part pour atténuer un tant soit peu la compétition en atteignant une taille indépassable, et d'autre part pour élargir sa zone de chalandise, au Japon mais aussi dans d'autres pays asiatiques. A l'instar des chaînes de supérettes (Seven Eleven, Lawson, etc.), les grandes enseignes nippones d'électronique appliquent en outre la stratégie du jeu de go, à savoir la création de territoires de domination dans lesquels les rivaux ne peuvent s'installer sans risquer la ruine.
Concrètement, Yamada Denki va devenir le premier actionnaire de Best Denki en participant à une augmentation de capital de ce dernier, forcé par ses banques de trouver des fonds. Yamada Denki va injecter 120 millions d'euros dans Best Denki pour détenir ainsi plus de 50% de ses actions. Cette absorption va donner aux deux groupes la possibilité de réduire encore leurs coûts structurels en éliminant les redondances internes et grâce à des approvisionnements communs en gros volume. Ils pourront ainsi proposer des prix encore plus attractifs, notamment via les systèmes de fidélité (le plus souvent, le client qui achète un produit bénéfice d'un nombre de points équivalent à 10 ou 20% du prix, total qu'il peut utiliser pour payer partiellement ou même en totalité l'achat suivant).
Si cette affaire Yamada Denki/Best Denki, qui a quand même fait la une des médias japonais, est intéressante, c'est quelle révèle aussi l'âpreté de la concurrence entre les différents groupes.
En effet, en s'emparant de Best Denki, Yamada Denki, qui détenait déjà 7,45% dudit Best Denki, bat à plates-coutures son grand rival, Bic Camera, qui était jusqu'à présent le premier actionnaire du même Best Denki, avec 15,03% des parts. Cette proportion est insuffisante pour bloquer l'offensive de Yamada Denki, mais Bic Camera est trop petit pour se permettre de surenchérir.
Il y a peu de temps, le même Bic Camera avait toutefois jeté son dévolu sur un autre acteur du secteur, Kojima. De l'avis des experts, les enseignes nippones d'électronique grand public, qui pour certaines affichent plus d'un million de références dans des immeubles de plusieurs milliers de mètres carrés, sont encore trop nombreuses et la « consolidation » devrait se poursuivre. Les chiffres de vente du mois de juin, comparés à ceux de la même période de l'année dernière, pourtant marquée par le séisme du 11 mars, donnent la mesure de la chute: -28,6% pour Bic Camera, -35,1% pour le groupe Edion (enseignes Ishimaru notamment).
Et chaque matin en prenant le train, l'auteur de ces lignes de se demander comment le petit marchand d'appareils électriques en face de la gare n'a pas encore fait faillite, alors qu'à un kilomètre de là, à Oiimachi, se dresse un immense magasin Labi de Yamada Denki. Peut-être parce que, compatissants, des clients des environs acceptent de payer un peu plus cher pour que cette petite boutique bien pratique ne baisse pas le rideau. En tout cas, le prochain ventilateur (objet indispensable en été à Tokyo), eh bien c'est à ce commerçant que l'auteur a décidé de l'acheter.