Live Japon : Sharp, centenaire mais mal portant

Karyn Poupée
Publié le 22 septembre 2012 à 17h12
Vénérable entreprise créée en 1912 par Tokuji Hayakawa, Sharp fabriquait à l'origine des boucles de ceinturon et des crayons, autant d'objets bien taillés, bien serrés, en un mot sharp. En 1923, après le redoutable séisme qui tua plus de 100 000 personnes dans la région de Tokyo (Kanto, Est) et détruisit l'usine de crayons mécaniques du groupe, le fondateur de Sharp, choqué et redoutant une autre catastrophe de même ampleur, relocalisa son entreprise dans le Kansai (Ouest) et s'interrogea sur ce qu'il pouvait faire pour, le cas échéant, contribuer à sauver des vies...

C'est ainsi que Sharp commença à fabriquer des postes de radio, objets de diffusion d'informations potentiellement salvatrices. Aujourd'hui, Sharp fait partie des grands de l'électronique japonais, après avoir été la première entreprise nippone à proposer sur le marché japonais un téléviseur noir et blanc au début des années 1950 et la première aussi à avoir industrialisé l'affichage à cristaux liquides (LCD) et à avoir commercialisé une télévision de ce type. Las, alors que la concurrence s'est intensifiée, Sharp est aujourd'hui mal en point et est poussée par ses créanciers à prendre des décisions allant totalement à l'encontre de la philosophie qui fut celle de la firme durant un siècle.

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C'était quelques mois après la tragédie du 11 mars 2011. Le patron de Sharp à l'époque, Mikio Katayama, prévenait : les résultats financiers vont être mauvais au moins pour la première partie de l'année, principalement à cause des conséquences de la catastrophe naturelle. L'activité des téléviseurs souffrait aussi durement de la chute de la demande au Japon après le pic de juillet 2011 entraîné par le renouvellement des appareils avant l'extinction des émissions analogiques. Elle pâtissait aussi de la réduction des revenus tirés de l'étranger à cause de la cherté étouffante de la monnaie japonaise (un phénomène qui renchérit le prix des produits fabriqués au Japon, laminant leur compétitivité et leur attractivité hors de l'archipel).

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Et M. Katayama d'annoncer alors une vaste restructuration de la production de dalles d'écrans à cristaux liquides, abandonnant la fabrication des modèles pour les téléviseurs de petites et moyennes tailles. L'entreprise entend depuis se concentrer sur les dalles LCD à technologies de pointe destinées aux appareils nomades (dont les smartphones et tablettes) ainsi que sur les TV et écrans de très très grandes dimensions. Un tel virage supposait d'importantes modifications dans les usines, notamment celle de Kameyama au centre du Japon. De ces dispositions, M. Katayama attendait une amélioration des résultats.

Las, le 27 avril, le groupe faisait publiquement état d'un déficit net historique pour l'année budgétaire d'avril 2011 à mars 2012. Sharp a alors subi une perte nette de 3,6 milliards d'euros sur un chiffre d'affaires qui a dans le même temps chuté de 19% à 23,5 milliards d'euros. Le groupe, forcé de dépenser pour réorganiser ses activités, n'a pas réussi à conserver de marges d'exploitation, affichant une perte opérationnelle de 38 milliards de yens (365 millions d'euros).

Ce sont ces chiffres et la dégringolade du cours de son action à la Bourse de Tokyo qui ont commencé à pousser Sharp à prendre des mesures inédites, se démarquant de la philosophie du capitaine d'industrie qui a créé l'entreprise. En effet, quelques semaines avant d'annoncer ces piètres résultats, Sharp a conclu un accord avec le taïwanais Hon Hai (« avec le diable » ont pensé certains) en vertu duquel ce groupe, plus connu sous le nom commercial Foxconn, va devenir le principal actionnaire de Sharp et le copropriétaire d'une gigantesque usine de dalles d'écrans LCD que Sharp détient à Sakai (ouest) afin d'en obtenir la moitié de la production. Durant l'année budgétaire entamée le 1er avril, Sharp, dont le patron a changé entre-temps, promettait ainsi de donner un coup d'accélérateur à ses activités bien portantes et prometteuses et de réformer les autres, pour amoindrir les pertes.

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Malheureusement, le 2 août, Sharp a déploré, pour le seul premier trimestre de son exercice budgétaire en cours, une perte nette de 1,4 milliard d'euros, à cause d'une nouvelle chute de 28,4% de son chiffres d'affaires par rapport à celui de la même période de l'année précédente. Bilan: aucune marge. Du coup, pour l'ensemble de l'année d'avril 2012 à mars 2013, Sharp craint une perte nette de 2,5 milliards d'euros, ce qui conduit ses banques à se montrer de plus en plus exigeantes concernant les mesures à prendre pour réduire les frais.

Et c'est ainsi que Sharp en est venu, pour la première fois, à annoncer un plan de réduction de son personnel de 5000 têtes, soit près de 10% du total de ses quelque 57 000 salariés dans le monde. De surcroît, un doublement de ce nombre est à l'étude.

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Dans le même temps, le groupe va céder ses activités de climatiseurs et d'appareils bureautiques puis accueillir d'autres investisseurs pour gérer ses usines de dalles de Kameyama comme il l'a fait pour celle de Sakai.
Pour autant, la situation ne sera pas forcément sous contrôle, car plus le groupe perd d'argent, plus ses capacités à en emprunter se réduisent, l'obligeant à hypothéquer son siège d'Osaka et ses usines de Kameyama dans le but d'obtenir une aide de 1,5 milliard d'euros. Et que l'entreprise n'escompte surtout pas une once d'indulgence de la part des agences de notation financière: Standard & Poor's, s'est notamment empressée le 31 août de reléguer la note de la dette à long terme de Sharp en catégorie spéculative, menaçant en sus de la dégrader davantage si la structure financière du groupe ne s'améliore pas.

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Les actionnaires non plus ne font pas preuve de la moindre mansuétude pour cette entreprise qui fut longtemps numéro un des mobiles au Japon, a créé la technologie Plasmacluster de purification d'air, a plus de 40 ans d'expérience dans le domaine des cellules photovoltaïques, a été une des pionnières des fours à micro-ondes ou à courant de vapeur et a mis sur le marché récemment le premier téléphone portable intégrant un compteur Geiger et fournit à l'américain Apple les écrans de ses produits-vedettes. Malgré ce riche patrimoine, le titre du groupe n'a en effet cessé ces derniers temps de fondre à la Bourse de Tokyo, pour tomber à un niveau inédit en près de quatre décennies, après avoir perdu les deux tiers de sa valeur en quelques semaines. C'est encore bien pire si on compare sur un an.

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Afin de donner des gages à ce petit monde d'investisseurs plus inquiets pour leurs propres deniers que pour les affaires de Sharp, en guise de cadeau pour les 100 ans de la firme, ses dirigeants ont décidé de sabrer leurs salaires et ceux des employés, la masse salariale étant hélas devenue la variable d'ajustement.

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Et pour couronner le tout, les négociations avec le soi-disant sauveur Hon Hai se sont embourbées, le PDG de la firme taïwanaise faisant pression sur les dirigeants de Sharp par presse interposée indiquant qu'il n'est pas « un banquier » et que si Sharp veut l'argent de Hon Hai « eh bien c'est en échange de concessions techniques », manifestement à prendre ou à laisser. De son côté, le patron de Sharp indiquait dans un entretien accordé au quotidien économique Nikkei que les négociations étaient difficiles, ce qui avait d'ailleurs conduit le PDG de Hon Hai à subitement annuler une conférence de presse à l'issue d'une réunion avec son homologue de Sharp, pour cause de désaccord sur les conditions de révision du partenariat initié quelques mois plus tôt.

Désormais, selon la presse japonaise, Sharp, a échafaudé sur le papier un plan de redressement dans le cadre duquel seraient encore sacrifiés des segments d'activités dans le domaine de l'énergie solaire. Il se passerait alors de l'aide de Hon Hai. Le tout devrait être présenté sous peu aux banques et de nouvelles annonces être faites avant fin octobre.
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