Après la panne massive d'Orange en juin dernier ayant empêché l'acheminement de milliers d'appels d'urgence, les sénateurs ont mené une mission de contrôle et redoutent de lourdes pannes du côté des systèmes de gestion des alertes et des systèmes de gestion opérationnels. Ils appellent à franchir un cap technologique.
La panne avait eu une résonnance nationale et avait même poussé Stéphane Richard, le patron d'Orange, à s'exprimer dans le 13 h de TF1. Les 2 et 3 juin derniers, l'opérateur historique avait en effet subi un sérieux incident réseau, qui avait fait obstacle à l'acheminent de 10 000 communications d'urgence ayant potentiellement causé la mort d'au moins quatre personnes selon le ministère de l'Intérieur. Dans le cadre d'une mission de contrôle, le Sénat a fait part de son inquiétude s'agissant de la gestion du réseau « cuivre », dont les numéros d'urgence sont tributaires et qui est voué à disparaître. Les Sages du Palais du Luxembourg pointe aussi du doigt l'absence de désignation d'un prestataire pour assurer le service universel des communications électroniques, ainsi que le retard pris par le programme censé remplacer les systèmes de gestion des alertes (SGA) et de gestion opérationnelle (SGO) des services départementaux d'incendie et de secours (SDIS), considérés comme obsolètes.
La grande majorité des numéros d'urgence transitent par un réseau cuivre
La panne de juin dernier fut imputée à une opération de maintenance sur les équipements de VoIP d'Orange à Lille. Elle avait ensuite entraîné une modification de configuration des call servers de l'opérateur permettant l'interconnexion entre les réseaux IP et le RTC, le réseau téléphonique commuté qui assure le service de téléphonie via un réseau cuivre vieillissant. C'est l'occasion de rappeler qu'en France, on totalise 13 numéros d'urgence, dont les plus connus sont évidemment les urgences médicales (15), police-secours (17) et les services d'incendie et de secours (18). Mais si pour l'utilisateur final ces numéros sont formulés sous forme courte, ils sont en réalité convertis en numéros longs à dix chiffres, attribués au centre de traitement de l'appel d'urgence le plus proche géographiquement du lieu d'où est émis l'appel.
Les sénateurs, basés sur le rapport de l'ANSSI (Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information), rappellent aussi que 85 % des 781 numéros d'urgence à dix chiffres sont utilisés par des centres qui ont un raccordement en RTC, c'est-à-dire via un réseau cuivre. Et c'est tout le cœur du problème, car le réseau cuivre est aujourd'hui frappé de fragilité, et ce pour deux raisons.
Les sénateurs appellent les opérateurs d'infrastructure à ne pas négliger le réseau cuivre
Ce réseau cuivre est en effet dans une phase de transition, qui doit permettre le raccordement de la téléphonie fixe vers les réseaux en VoIP (transmission de la voix par Internet). Et n'oublions pas surtout que le réseau cuivre est censé disparaître d'ici 2030, ce qui fait poindre le risque d'un défaut d'entretien de ce dernier, au profit de la fibre optique. C'est pour cela que les sénateurs appellent à ne pas négliger le vieillissant réseau, avant de limiter tout nouveau dysfonctionnement dans l'acheminement des appels d'urgence.
En outre, les sénateurs regrettent que la directive européenne du 11 décembre 2018 établissant le code des communications électroniques ne considère pas l'acheminement des communications d'urgence comme faisant partie des obligations du service universel des communications électroniques. Les élus soulignent que le gouvernement n'a toujours pas, depuis fin 2020, désigné de nouveau prestataire pour assurer ce service universel. Jusqu'au 25 novembre 2021 (et le vote de la loi « Matras »), il n'y avait même plus d'obligation de continuité de l'acheminement des communications d'urgence dans le droit français. Les sénateurs espèrent que cette obligation de continuité sera réinstaurée, d'autant plus qu'elle est moins contraignante qu'une obligation de service public.
Certains services utilisés pour le traitement des appels d'urgence ne sont plus mis à jour et sont dépourvus de géolocalisation
La mission de contrôle a repris plusieurs recommandations formulées par l'ANSSI, issues d'un rapport du 19 juillet 2021. Le Sénat insiste, entre autres, sur l'aspect préventif des pannes. Selon lui, il est impératif de développer des solutions technologiques qui permettront d'améliorer la fiabilité des transmissions des appels d'urgence, mais aussi de s'entendre sur des moyens alternatifs, qui permettraient aux usagers de contacter les services de secours même en cas de panne des numéros d'appel d'urgence, comme Internet, le SMS ou des numéros de contournement.
Un autre point chagrine les sénateurs : le traitement des appels d'urgence par les services d'incendie et de secours, les SDIS. Ces derniers effectuent le traitement à l'aide des SGA et SGO dont nous parlions plus haut. Ils leur permettent, en temps réel, de localiser, d'identifier et de mobiliser les moyens matériels et humains nécessaires pour répondre à une alerte. Les sénateurs indiquent même que ces systèmes « sont la moelle épinière des SIS et de leur capacité opérationnelle ».
Sauf que certains SGA-SGO sont devenus obsolètes et ne bénéficient plus de mises à jour des éditeurs. Certains sont mêmes dépourvus de fonctionnalités comme la géolocalisation des appels d'urgence. Pour répondre à ce problème, le projet « NexSIS 18-112 » a été lancé en 2016, porté par l'Agence nationale de la sécurité civile. Celui-ci est censé offrir une solution de remplacement des SGA-SGO. Pour le moment, on ne peut que déplorer des retards de mise en œuvre, ce qui inquiète fortement les élus, qui craignent que des pannes lourdes surviennent, avec des conséquences encore bien plus dramatiques que celles causées par la panne des numéros d'appels d'urgence du 2 juin 2021.