Pour la sortie du navigateur Opera 9.6, Jon S. von Tetzchner, le co-fondateur et Pdg de la société norvégienne, a accepté de répondre à nos questions. Des débuts du logiciel en 1994 au navigateur d'aujourd'hui, la firme a changé son modèle économique et, en s'attaquant à plusieurs plateformes, continue sa progression.
Guillaume Belfiore : Pourriez-vous nous rappeler votre parcours académique et professionnel ?
Jon S. von Tetzchner : Avant de fonder Opera, je travaillais pour l'opérateur norvégien Telnor en tant que chercheur scientifique et j'ai reçu mon diplôme de master dans les sciences informatiques de l'université d'Oslo.
GB : Quand est né Opera? Quelles furent vos motivations pour lancer ce navigateur ?
JVT : Opera est né en 1994 avec le désir d'imprimer les pages web. Lorsque nous commencions à utiliser le Web, mon défunt collègue Geir Ivarsøy et moi utilisions Mosaic. On nous avait promis la fonctionnalité d'impression, mais celle-ci resta longtemps sans développement. Nous voulions réellement imprimer. Parallèlement, nous avions conscience du potentiel du web, nous avons donc décidé de développer notre propre navigateur.
Plus tard en 1997, nous nous sommes concentrés sur un logiciel multiplateforme comme les systèmes mobiles. En effet nous avions estimé qu'il y avait là un nouveau marché croissant. Cependant, la motivation principale pour créer Opera fut le désir d'améliorer la navigation sur Internet.
GB : Selon une étude de Market Share, Opera a 0,69% de part de marché. Confirmez-vous cette donnée ?
JVT : Nous pensons que notre part de marché est plus importante. Cette donnée ne prend pas en compte plusieurs pays. Peut-être plus important, Opera est déployé sur un éventail d'appareils qui ne sont probablement pas pris en compte par cette étude. Sur la Wii, Opera existe sous la forme Internet Channel, plus de 100 millions de téléphones sont vendus avec Opera Mobile et plus de 17 millions de personnes utilisant Opera Mini ne sont bien souvent pas prises en compte par ces études de marché. Il est clair que beaucoup d'utilisateurs d'Opera sont donc laissés pour compte.
Bien sûr, plusieurs sites Internet ne comptabilisent pas Opera parce que nous changeons notre chaine d'identification User Agent pour passer au travers des programmes renifleurs. Ainsi, certains sites bloquent Opera mais lorsque nous prétendons utiliser un autre navigateur, l'accès est autorisé. Notre mission est d'offrir la meilleure expérience possible même si cela doit se traduire par être sous-évalué pour permettre l'accès à certains sites.
Cela dit nous grandissons assez rapidement à travers le monde. Nous avons enregistré plus d'un million de nouveaux utilisateurs depuis la sortie de Google Chrome. Nous observons une croissance positive sur toutes les catégories de nos produits.
GB : Dans quel pays cette part de marché est-elle particulièrement forte ? Quid de la France ?
JVT : En Russie certainement, dans la Communauté des États Indépendants comme l'Ukraine ou la Biélorussie ainsi qu'en Indonésie et en Chine. Bien sûr nous souhaiterions grandir en France. J'espère que la nouvelle version Opera 9.6 permettra aux Français de découvrir le navigateur. Notre produit est bien plus solide et notre équipe de marketing dans l'Hexagone est plus forte qu'elle ne l'a jamais été.
Mais parallèlement à tout ce que nous pouvons faire, pour nous c'est véritablement la communauté qui est importante et nous espérons que les utilisateurs francophones nous aideront à démocratiser Opera. Nous sommes actuellement en train de visiter les campus universitaires de Paris, Lyon et Grenoble et nous y organisons des rassemblements de passionnés. Nous voulons rencontrer nos utilisateurs afin d'apprendre de quelle manière nous pouvons continuer à améliorer notre produit.
GB : Opera est connu pour avoir inventé la navigation Internet gestuelle en avril 2001, pour avoir créé une solution de navigation par onglets dans une interface particulière qui place ces onglets au-dessus de la barre d'adresse, etc. On pourrait se demander si vous n'êtes pas un peu contrarié de voir d'autres navigateurs reprendre ces idées tout en étant plus populaires, notamment avec Google Chrome qui est entré dans la danse directement en quatrième position avec une part de marché de 0.79%.
JVT : L'imitation est la forme de flatterie la plus sincère qui soit. Nous sommes ravis de voir les autres adopter les idées que nous eu. C'est l'esprit d'innovation ; nous nous efforçons d'aller de l'avant. En fait, je suis sûr que les prochaines innovations d'Opera seront les plus remarquables et les plus intéressantes.
GB : Aujourd'hui, qui utilise Opera? Y a-t-il un profil type d'utilisateur (développeur web ? utilisateurs Windows/Mac/Linux ?)
JVT : Je pense que nos produits sont utilisés par une variété de gens plutôt que par des utilisateurs au profil particulier. C'est d'ailleurs ce que confirment nos études internes. Nous essayons d'adapter nos produits en les rendant personnalisables, mais nous ne manquons pas d'ajouter des outils pour en tirer pleinement profit dès l'installation. Nous avons noté que les gens aiment les fonctionnalités présentes dans le navigateur et cela a toujours été la force d'Opera.
GB : Par le passé, Opera était un navigateur payant. Qu'est-ce qui vous a motivé à changer votre modèle économique ?
JVT : Depuis longtemps nous souhaitions enlever cette bannière publicitaire alors dès que nous avons eu le modèle économique qui nous permettait de l'ôter, nous l'avons fait aussi rapidement que possible.
GB : Aujourd'hui, quelles sont vos sources de revenus ?
JVT : Pour nos produits grand public, nous avons des revenus de Google Search. Cependant notre plus gros apport financier vient des sociétés qui intègrent Opera directement dans leurs produits tels que les téléphones portables, les consoles de jeux ou les boitiers multimédias. En fait, Opera fonctionne sur de nombreux appareils du lecteur de code-barre au réfrigérateur.
GB : Quelles sont vos stratégies marketing principales ?
JVT : L'une de nos stratégies principales consiste à régionaliser nos efforts. Par exemple, vous voyez qu'aujourd'hui avec nos visites sur les campus universitaires dans les pays-clés comme la france, nous souhaitons rencontrer les gens qui utilisent Opera et ceux qui ne l'utilisent pas. Par ailleurs, nous allons bientôt lancer des campagnes publicitaires assez ambitieuses.
Parallèlement, nous travaillons avec nos partenaires et nos clients. Au Japon par exemple, certains téléphones ont un bouton Opera dédié. Lorsque nous nous concentrons sur ce genre d'efforts, tout est possible.
GB : Quels sont vos buts à court et moyen termes en ce qui concerne la monétisation d'Opera?
JVT : Mon objectif est d'augmenter la base d'utilisateurs pour nos produits grand public et assurer une pérennité et un renforcement de nos relations avec les fabricants OEM.
GB : Aujourd'hui vous présentez Opera 9.6, sur quoi avez-vous concentré vos efforts pour cette nouvelle version ?
JTV : Opera 9.6 a reçu beaucoup d'amélioration. Il ne s'agit pas d'une version majeure, mais elle renforce deux aspects principaux de notre produit : la communication et la convergence.
En ce qui concerne la communication, nous avons travaillé sur Opera M2, notre gestionnaire de courrier électronique intégré. Lorsque vous utilisez une connexion bas-débit, il est désormais possible de choisir un mode d'utilisation adapté afin de travailler plus rapidement et plus efficacement. Nous avons aussi rajouté la possibilité de suivre ou d'ignorer des contacts ou des conversations par email. Je pense qu'il s'agit là d'une option particulièrement intéressante lorsque vous souscrivez à plusieurs mailings liste ou si vous désirez gérer votre boite aux lettres de manière plus efficace.
En termes de convergence, nous avons amélioré Opera Link, notre service de synchronisation de données. Désormais nous sauvegardons vos moteurs de recherche personnalisés et l'historique de votre navigateur. Opera Link est l'une de mes fonctionnalités favorites, car je l'utilise sur plusieurs ordinateurs et appareils dotés d'Opera. Dans la mesure où je peux synchroniser mon Speed Dial , mes liens, mes notes, ma barre d'outils personnelle et désormais mes moteurs de recherche personnalisés et mon historique, j'ai la possibilité de transférer ma navigation personnalisée d'un ordinateur ou d'un appareil à un autre.
Aussi, avant de s'inscrire à un flux RSS, nous avons ajouté une prévisualisation du contenu afin d'avoir une idée un peu plus précise de ce dernier. Même la vitesse du navigateur a été optimisée. Pour l'utilisateur n'ayant jamais utilisé Opera, je pense que cette version offre des raisons intéressantes de l'essayer.
GB : Auriez-vous une idée approximative du nombre de testeurs pour cette version ?
JVT : Il est difficile d'avancer des chiffres de manière certaine, notamment parce que ce processus est assez ouvert. Nous interagissons avec des centaines d'utilisateurs sur le blog de l'équipe sur lequel nous publions chaque semaine une nouvelle version du navigateur. J'encourage les utilisateurs désirant tester les dernières technologies à se rendre sur : http://my.opera.com/desktopteam/.
Par ailleurs, chacun est libre de nous envoyer un rapport de bug. Nous demandons juste d'avoir assez de détails afin que nous puissions reproduire le problème de notre côté.
Le troisième aspect de la chasse aux bugs se caractérise par des groupes de testeurs externes volontaires se joignant à notre équipe pour travailler sans relâche afin d'améliorer Opera . La recherche et la résolution de bugs sont une priorité et le processus est donc à la fois ouvert et très rigoureux.
GB : Depuis le début, quelles furent les évolutions majeures du moteur Presto?
JVT : Les améliorations portées au moteur incluent presque tout le temps des perfectionnements au niveau de la vitesse et de la prise en charge des standards. Nous nous efforçons aussi de l'alléger afin qu'il puisse être utilisé sur une variété de systèmes d'exploitation et d'appareils. Le moteur de rendu graphique est véritablement le coeur d'Opera et ce qui assure une compatibilité avec plusieurs systèmes.
GB : Ces derniers temps nous lisons beaucoup d'articles au sujet de TraceMonkey de Mozilla, V8 de Google ou SquirrelFish de Webkit. Pourriez-vous nous éclairer sur le moteur JavaScript d'Opera et ce sur quoi vous travaillez ?
JVT : Nous pensons que les performances JavaScript peuvent encore largement être améliorées pour tous les navigateurs. Jusqu'à très récemment, notre moteur JavaScript était le plus rapide. Il est clair que nous sommes au coeur d'une bataille mettant en lumière les performances de rapidité et je trouve cela fantastique. Nous avons toujours été le navigateur le plus rapide et nous le serons encore demain.
Cela dit, il est important de garder à l'esprit que le moteur JavaScript n'est qu'un aspect des performances globales du navigateur. Nos tests internes révèlent que le chargement de l'architecture des pages est bien plus important. Ce chargement est opéré par le moteur de rendu qui interprète les balises HTML et les propriétés CSS de la page.
GB : Je vous remercie.