Plus technophiles que les Japonais, à part peut-être les jeunes sud-Coréens, il n'y a pas. A tout âge, les Nippons et Nippones font montre d'un appétit pour les sciences et technologies qui n'en finit pas d'étonner l'exilé(e) sur l'Archipel.
Des écoliers aux retraités, on croise en permanence sur les trottoirs, dans les métros et autres lieux publics de Tokyo des individus les yeux scotchés sur l'écran de leur sacro-saint "keitai" (téléphone portable), absorbés par la lecture de longs e-mails (les SMS ne sont pas utilisés) ou par la consultation de contenus multimédia (sites internet, TV numérique terrestre mobile, photos...).
Les boutiques de produits high-tech ne désemplissent pas, dimanches compris. On y surprend même des quinquagénaires le samedi soir à 22 heures en train de fouiner dans les rayons de jeux pour console portable DS de Nintendo, et des jeunes filles se prélassant dans les dernières versions de fauteuils de relaxation et massage truffés de capteurs et microprocesseurs .
A ces scènes ultra-fréquentes difficiles à imaginer pour qui n'a jamais posé un orteil sur l'Archipel, on finit quand même par s'habituer... Mais on n'est pas pour autant à l'abri des surprises !
De petites jeunes écoutent le vieux sage technologique
Ainsi, un mardi à 10 heures du matin, au « musée du futur », Miraikan, lieu d'apologie des technologies japonaises, se trouver nez-à-nez avec deux « Shibuya girls » (minettes habillées dans le style sexy de ce quartier tokyoïte) piaffant des « sugoï », « sugoï » (génial, extra) en apprenant comment fonctionne le routage des données sur internet, eh bien croyez-le, ça fait un choc, même quand on a passé des années à étudier l'engouement technologique des autochtones !Eh oui, ces deux demoiselles étaient bel et bien ravies de piger à cette heure matinale par quel miracle elles parviennent à s'échanger en quasi-temps réel à longueur de journée des "deco-mails" (courriers électroniques décorés) entre mobiles de nanas, et pourquoi parfois, quand tout le monde fait la même chose au même moment au pied de la statue du chien Hachiko à la gare de Shibuya, ça bouchonne!
Il faut dire que la mise en scène du mécanisme qui régit l'adressage de paquets IP sur un réseau informatique est plutôt attractive et aisée à comprendre. Des boules noires et blanches dessinant une image sur une sorte de damier sont envoyées en file vers une destination lointaine pour aller se repositionner sur un autre emplacement selon la même configuration après avoir emprunté des voies différentes. Elles parcourent ainsi des dizaines de mètres dans des tubes en passant pas des carrefours intelligents (routeurs) qui les orientent sur le chemin le plus pertinent à un instant donné, en fonction du trafic.
Forcément, devant ce spectacle fascinant, même les plus neophytes se laissent entraîner. D'autant que des préposés sont là pour expliquer individuellement de façon parfaitement claire "comment ça marche".
Ces volontaires (plus de 900 se relayant) sont d'ailleurs souvent de vrais savants passionnés, anciens ingénieurs et chercheurs issus de firmes de hautes technologies japonaises qui, à la retraite, n'ont qu'une envie: transmettre leur savoir aux générations suivantes pour que l'archipel continue de faire la course en tête dans moult secteurs de pointe.
L'oji san (grand père) qui explique à qui le souhaite le fonctionnement des diodes électroluminescentes (LED) dans leurs diverses applications (lecture/écriture de CD ou DVD, fibres optiques, rétro-éclairage de téléviseurs à cristaux liquides), est formidable. Il a réponse à tout (différence entre HD-DVD et Blu-Ray, intêret des LED rouges et bleues), et quand il sent son interlocuteur réellement happé par le sujet, il prend un temps infini pour lui donner une multitude de détails et d'exemples. Un régal. Las, on ne peut pas le mobiliser des heures, par égard pour les autres qui patientent sagement.
La visite se poursuit avec des robots
En poursuivant la visite, prière de bien regarder où l'on met les pieds, histoire d'éviter de piétiner au passage un bambin de deux ans venu avec ses camarades de jardin d'enfants se pâmer devant le robot humanoïde Asimo d'Honda. C'est qu'il faut les habituer très jeunes les Nippons à fréquenter ces individus mécatroniques d'assistance polyglottes, car dans cinquante ans, ils devront sans nul doute vivre avec. C'est du moins ce que l'on déduit des projections de l'Etat japonais qui pousse activement le développement de ces pseudo-humains. Objectif visé: combler, entre autres, le déficit de personnes disponibles pour aider jour et nuit les plus de 65 ans qui représenteront 40% de la population nippone en 2050 et d'aider la gent humaine dans l'accomplissement de tâches dangereuses, délicates ou ingrates.Vous ne croyez pas que les robots puissent être le salut de l'homme? Eh bien détrompez-vous, car il existe réellement des espèces robotiques qui peuvent sauver des vies: la preuve avec ces reptiles de ferraille et circuits intégrés seuls capables d'aller débusquer des êtres vivants sous les décombres après un tremblement de terre ou un typhon. Eh oui, chers lecteurs fidèles, s'agissant du Japon, il faut toujours avoir en tête ce risque permanent et fréquent de désastre, et se garder de juger de loin la société nippone ainsi que l'usage qu'elle fait des technologies (identification, géolocalisation...) sans prendre en compte systématiquement ce paramètre essentiel. C'est dit!
Train du futur et ordinateurs divers
Reprenons, dix mètres plus loin, un papi tourne sur lui même pour suivre du regard une maquette de train circulant sur des voies en boucle. L'homme, sans doute un de ces innombrables passionnés du rail qui peuplent le Japon, s'interroge. Comment diantre cette locomotive futuriste avance-t-elle? Fasciné par les trains, il voit bien que celui-là n'est pas comme les autres. Non, il ne roule pas sur des rails, il lévite et se meut à fond la caisse au-dessus. Il s'agit d'une réplique du "Maglev", le train à très grande vitesse à sustension électromagnétique que développent depuis plus de trois décennies les ingénieurs nippons. Un énième prototype est actuellement testé sur une ligne d'une vingtaine de kilomètres au centre du Japon. Il file déjà à 585 kilomètres par heure et la limite théorique est très très loin d'être atteinte. Les phénomènes électromagnétiques exploités pour le "Maglev" peuvent en outre avoir de nombreuses autres applications, dans le secteur de l'électronique par exemple, et notamment pour les super-calculateurs.D'ordinateur justement il est aussi question au Miraikan. C'est d'ailleurs le coin préféré des adolescents. Là, ils peuvent plonger en toute liberté dans les mystères de la réalité virtuelle, scruter un spécimen du premier micro-processeur mondial, regretter de ne pas avoir chez eux un clavier aussi ergonomique que celui imaginé par un as nippon de l'informatique il y a vingt ans, ou s'amuser à mémoriser les kanji en ordonnant sur un tapis ces idéogrammes japonais portant chacun une étiquette à identification par radiofréquences (RFID).
La technologie intéresse les seniors japonais
On ne va pas vous dévoiler tout ce qu'on peut voir, apprendre et expérimenter au Miraikan (un peu de suspense pour ceux qui auront l'occasion de s'y rendre), mais, curieux, on a quand même suivi jusqu'à l'étage supérieur un groupe de grands-mères pour voir ce qui les attirait là-haut.Et alors ? Eh bien, rien de surprenant. Avec l'âge, ces dames se posent beaucoup de questions sur leur santé et sur la façon de maintenir leur corps et méninges en bon état. Elles sont donc venues ici se renseigner sur le fonctionnement du cerveau, l'évolution des cellules, le vieillissent des neurones, percer les mystères de la génétique, découvrir les dernières technologies d'imagerie médicale (tomographie, IRM, PET...), mesurer les prouesses de la chirurgie par micro-robots et endoscopes et se faire une idée plus précise sur les promesses des thérapies géniques.
Rassurées ou non, on les vit ensuite embarquer dans une reconstitution des cabines de la Station Spatiale Internationale. Autant vous dire que les mamies ont un peu fait la moue devant les toilettes des astronautes.
Des systèmes d'exploration de l'espace aux nanotech, toutes les technologies vantées à l'envi au Miraikan, avec un brin de chauvinisme, auprès des tout-petits jusqu'aux seniors, sont le résultat de travaux de firmes et instituts japonais et de leur armada de « geo trouve tout ».
Parfois, par chance, on croise ici d'éminents experts qui arpentent les allées, comme Reona (Leo) Esaki, lauréat en 1973 du prix Nobel de physique, un octogénaire plein d'idées et d'humour qui, en 1958, du temps où il oeuvrait chez Sony, découvrit l'effet tunnel mis en application dans les diodes qui portent son nom. Et ce dernier de nous rappeler fort opportunément que l'excellence japonaise dans de nombreux secteurs industriels est d'abord "le résultat d'une vraie politique nationale de valorisation et de vulgarisation de la science, de la recherche et des technologies à l'oeuvre depuis des décennies". CQFD.