Jusqu'où peut-on aller avec son smartphone ? Jusqu'à téléphoner au diable pour qu'il menace les enfants qui pleurent, ne veulent pas manger ou refusent de dormir ? C'est en effet ce que font des parents démunis qui s'en remettent à une application spéciale pour iPhone que décrit fidèlement ci-dessous J.P. Nishi.
Cette application ferait rire si elle n'était pas réellement utilisée par des parents pour faire peur à leur gamin, tout en se félicitant publiquement du résultat (« c'est trop pratique », « c'est génial », « ça marche à fond avec mon fils », etc.), sans s'interroger le moins du monde sur les conséquences qu'elle a sur leur enfant.
Plus généralement, selon les pédiatres japonais, donner à un tout petit enfant un smartphone pour lui faire passer le temps et avoir la paix est un acte d'éducation à bannir car il peut avoir de mauvais effets sur le développement cognitif et sensoriel du petit être en devenir. Ils appellent les éducateurs, les enseignants et le corps médical à relayer ce message. L'objectif est d'éviter que les parents n'optent trop souvent et surtout pour trop longtemps à la solution de facilité de donner leur smartphone au gamin et si besoin de lui télécharger des applications spéciales, lesquelles ne manquent d'ailleurs pas.
Que dit l'affiche ? Rien de franchement nouveau, uniquement des évidences: qu'il vaut mieux lire un livre à son rejeton que de lui faire jouer une musique par un smartphone, qu'il vaut mieux l'emmener faire une balade dans la nature que de le faire jouer à un jeu sur tablette en étant soi-même les yeux rivés sur l'écran de son PC, ou encore qu'il ne faut pas le promener en poussette en conduisant d'une main et en ayant le smartphone dans l'autre. Tout cela, grosso modo, tombe sous le sens. « Cela va sans dire, mais cela va mieux en le disant », semblent vouloir signifier les pédiatres.
Mais quels sont les effets réels des smartphones et tablettes sur les enfants ? Sur quelles données sont fondées ces conclusions et cette campagne ? s'interrogent cependant à juste titre des éditorialistes de presse. Un enfant qui se contente de passer son doigt sur un écran qui offre toujours la même sensation tactile quel que soit la scène ou l'objet affiché aura-t-il des difficultés à appréhender et différentier la texture des choses ? C'est une des question que les parents se posent mais à laquelle la réponse n'est pas donnée par les spécialistes japonais de la petite enfance.
En effet, les pédiatres appellent à la prudence, mais n'argumentent pas sur la base d'enquêtes et examens ou même de leur propre expérience. De fait si chaque parent dans son quotidien sent bien que ce n'est pas la meilleure éducation que de s'en remettre à un smartphone , voire culpabilise peut-être un peu en le faisant, il est aussi possible d'arguer du contraire: que dans le monde actuel, il est indispensable de maîtriser tôt les outils technologiques autant que de connaître la nature, que les jeux éducatifs sur smartphones et tablettes aident à développer des facultés cognitives, etc.
On imagine en outre aisément qu'à chaque époque, des objets sont venus perturber la façon d'éduquer les enfants et ont créé les mêmes débats. Peut-être que le livre, quand il est apparu, a vu des opposants affirmer que les représentations à plat sur papier de paysages, de matières, de personnes allaient dénaturer la perception qu'en avaient les enfants. Idem avec la télévision et désormais avec le smartphone. La conclusion est sans doute à chaque fois la même: il faut équilibrer. L'usage immodéré est mauvais mais l'absence totale d'utilisation peut être socialement handicapante.
« Jusqu'à l'âge de deux ans, un enfant ne comprend de toute façon pas la signification d'un écran et l'on ne peut donc guère espérer tirer une valeur éducative réelle des applications sur smartphones », explique un professeur de l'Université de Tokyo. « Après deux ans, la compréhension et la mémoire verbale sont très rapides et par conséquent l'important est de fixer tôt des règles d'utilisation et de temps autorisé », ajoute-t-il, optant pour une position pragmatique.
Il est une autre question qui mériterait d'être posée mais qui au Japon ne l'est pas du tout: quels sont les effets potentiels sur la santé des ondes émises et reçues par les téléphones portables et smartphones. S'ils existent, sont-ils plus dommageables aux petits qu'aux adultes. Cela fait des années qu'en France beaucoup s'interrogent, s'inquiètent, interpellent les responsables sur ce potentiel problème, mais au Japon, tout le monde semblent considérer comme nul et non avenu un tel débat: le problème ne se pose tout simplement pas dans la tête des citoyens qui vont jusqu'à appeler l'opérateur pour qu'il vienne installer une antenne supplémentaire plus près de chez eux afin que leur maison soit mieux couverte par le réseau cellulaire. Pourtant, pas plus ici qu'ailleurs n'a été démontrée l'innocuité des signaux radiofréquences qui nous entourent. Et dieu sait qu'ils sont présents partout au Japon.