Wallops, ses jetées, ses plages, ses vagues et... ses fusées. Crédits NASA
Wallops, ses jetées, ses plages, ses vagues et... ses fusées. Crédits NASA

Dans l'ombre des grands centres de lancements américains de Cape Canaveral et de Vandenberg, il existe un autre site sur la côte Est… Mais bien plus au Nord ! Moins actif, mais avec une riche histoire, Wallops compte bien tirer son épingle du jeu avec l'expansion du New Space américain. Mais gare…

Les orbites visées sont également plus restreintes.

Un front de mer idéal

La base de Wallops, connue aujourd'hui sous le nom officiel de « Wallops Flight Facility », est l'un des sites les plus anciens de l'agence spatiale américaine, puisqu'il a vu le jour dès le sortir de la guerre en 1945, au service de l'embryon d'administration encadrant le spatial d'alors : la NACA. La base se situe sur une presqu'île qui fait partie des grands bancs sableux de l'Est américain, au nord de la baie de Chesapeake et à environ 150 km à vol d'oiseau de Washington et Philadelphie. Surtout, elle fait au moment de sa construction partie d'un environnement militaire très riche. La base d'essais en vol de l'US. Navy à Patuxent n'est pas loin, la grande cité de Norfolk et ses flottes organisées autour des porte-avions non plus. Toutefois, c'est suite à une demande de la NACA installée au Langley Research Center que le gouvernement installe la base de Wallops sur la façade Atlantique. Et la raison est très simple : scientifiques et militaires vont y tirer des fusées, et des fusées expérimentales. Pas question donc de survoler des habitations…

Une partie des installations de Wallops en 1960, avec le site de lancement de la fusée Scout. Crédits NASA
Une partie des installations de Wallops en 1960, avec le site de lancement de la fusée Scout. Crédits NASA

Fusées et cabrioles

A l'origine donc, le site prend un autre nom, c'est la PARS, ou Pilotless Aircraft Research Station (cela changera dans les années 80). La NACA y teste, pour l'US Air Force ou l'US Navy, des « recherches aérodynamiques à haute vitesse »… C'est-à-dire, des tirs de fusée équipées de capteurs ou observées avec précision pour étudier leur comportement. Et qui dit fusée ne dit pas nécessairement espace ou orbite. Cela concerne la forme du nez des missiles, l'utilité des ailerons à haute vitesse ou la stabilité en vol lors de la traversée de l'atmosphère…

La base de Wallops intègre la NASA dès sa création à la fin de l'année 1958, avec le rattachement de la base de Langley. Le site sera d'ailleurs capital à l'un des premiers projets d'envergure de l'agence, la capsule Mercury. L'agence américaine réalise des tests en vol de maquettes, mais aussi grâce à des boosters particuliers (les « little joe ») du système d'éjection d'urgence. Plusieurs macaques, précurseurs du programme habité, ont décollé du site de Wallops avant 1961 et les débuts des astronautes.

Essais de capsule Mercury et de sons système d'évacuation d'urgence, à Wallops. Crédits NASA

Site spatial, ou site d'essai ?

1961 est d'ailleurs une année capitale pour le site en Virginie, puisque le petit lanceur Scout (très effilé) réussit après plusieurs essais suborbitaux et un échec en décembre 1960, à atteindre l'orbite avec le satellite Explorer-9. Le début d'une longue série de lancements, le plus souvent dédiés à la recherche, et pas tous orbitaux : le site est fidèle à sa fonction de station au sol expérimentale, et les scientifiques développent sur place des moyens efficaces et peu coûteux d'atteindre l'espace pour étudier l'atmosphère, les micrométéorites ou tester de nouveaux capteurs sans les installer dans des satellites, via d'importants programmes de fusées-sondes. Scout, Black Brant et bien d'autres furent et sont pour certains toujours opérées sur place, ces vols expérimentaux gardant une place particulière à Wallops. Les universités prestigieuses de la côte Est y envoient également leurs étudiants lors de concours qui s'échelonnent de la fusée à eau jusqu'aux « lanceurs amateurs » capables d'atteindre plusieurs dizaines de kilomètres d'altitude.

Aujourd'hui, le site de Wallops est officiellement découpé en deux administrations distinctes. Il y a la base de la NASA (la WFF ou Wallops Flight Facility), et la base MARS (Mid-Atlantic Regional Spaceport) qui dispose des trois sites de lancement vers l'orbite, les LP-0A, LP-0B et LC-2. Reste que sur place, tout est plus ou moins regroupé.

Qui veut décoller de Wallops ?

Hors des tirs expérimentaux, la base spatiale de Wallops a un passé… mouvementé. Dans les années 90, de nouveaux acteurs privés aux Etats-Unis utilisent des éléments de missiles balistiques et des programmes de recherche pour développer leurs lanceurs. Wallops fait alors office de site alternatif plus ouvert que les énormes sites de Cape Canaveral et Vandenberg. SSIA (Space Services Inc. of America) choisit la base de Wallops pour le premier tir de sa fusée Conestoga 1620, qui décolle le 23 octobre 1995 et explose en vol. Un échec spectaculaire qui n'empêchera pas d'autres acteurs de s'établir sur place, comme Orbital (devenu au fil des rachats Northrop Grumman) qui y fera décoller sa fusée larguée par avion porteur Pegasus, mais aussi les missiles modifiés Minotaur à partir de 2006. Il faut mentionner que Wallops est tout équipé : centre de contrôle, sites de lancement, stations de suivi, radar, bunkers, salles blanches…

Alors, vous choisissez quelle destination ? Crédits NASA

La mission la plus célèbre à avoir décollé de Wallops vers l'orbite est sans doute LADEE, partie autour de la Lune étudier sa très fine exosphère et le taux de poussières dans son environnement (avant de s'écraser volontairement à la surface). C'est la seule mission pour la Lune américaine à n'avoir pas décollé de Floride… et elle a donné à Wallops ses lettres de noblesse. Mais ce qui a sans doute sauvegardé le site pour plus d'une décennie (et même développé l'activité sur place) est le choix d'Orbital. L'entreprise gagne avec SpaceX en 2008 le contrat pour ravitailler la station spatiale internationale avec le cargo Cygnus, et choisit Wallops comme site de décollage pour sa fusée Antares. Mais gare à trop d'enthousiasme… A son troisième lancement, le moteur d'Antares explose en vol et la fusée revient s'écraser à quelques mètres du LP-0A. C'est l'un des crash de fusée les plus impressionnants de la décennie !

La mission Antares Orb-3 ne s'est pas tout à fait terminée comme prévu... Crédits NASA

Un site bien installé

Heureusement, les équipes de Northrop Grumman, les assurances et les autorités ont travaillé de concert pour qu'Antares (dans sa nouvelle version 230+) soit à nouveau capable de décoller de Wallops. Il y a actuellement environ deux décollages orbitaux vers l'ISS chaque année, et les besoins de la NASA pour ravitailler la station ne devraient pas baisser avant la fin de la décennie ! Toutefois, il ne faut pas oublier qu'Antares dispose de moteurs russes, et que dans le cadre des sanctions actuelles, le programme de vol pourrait subir les conséquences de l'invasion de l'Ukraine.

Il y a un « nouvel » acteur à Wallops depuis octobre 2018, c'est l'arrivée de Rocket Lab ! L'entreprise a construit et aménagé le LC-2 pour pouvoir faire décoller sa fusée Electron. Et plusieurs fois depuis, elle a annoncé que le site de lancement était prêt… Mais le temps passe et la première des fusées à l'ADN néo-zélandais se fait toujours attendre. Longtemps, Rocket Lab et les autorités de Wallops ont été en bisbille, à cause du système de sauvegarde et destruction automatisé sur la fusée, qui n'était pas pris en compte par les équipes au sol. Mais le problème doit être réglé. En effet, en 2021, Rocket Lab a également annoncé construire sur place à Wallops un nouveau site de production pour sa future fusée réutilisable, Neutron.

Avec Electron, Rocket Lab a déjà fait des essais à Wallops, mais pas de lancement... Crédits Rocket Lab

Les beaux jours… Sous l'eau ?

L'activité semble donc assurée pour longtemps en Virginie. Il existe cependant un autre facteur qui pourrait mettre des bâtons dans les roues du site de Wallops… Et c'est le climat lui-même. En effet la Virginie en général et ses grands bancs de sable avancés sur la mer, sans reliefs et entourés de marais sont des zones menacées par la hausse du niveau des océans. Cette dernière n'est pas uniforme, et elle est particulièrement marquée dans cette zone ! Les grandes plages qui ont longtemps bordé le site sont régulièrement recouvertes par les vagues, et les autorités ont construit des digues ainsi que bétonné une partie du littoral pour préserver la base des risques de submersion en cas de tempête… Cela suffira-t-il alors que le niveau des océans va encore beaucoup grimper ?