La multiplication des services montrant des vues aériennes de zones d'habitation, ou des vues panoramiques depuis la rue (StreetView de Google, UrbanDive de PagesJaune ou iTowns de l'IGN) pose un réel problème de confidentialité et de respect de la vie privée :
- Verra-t-on dans le futur un employeur aller sur Internet pour voir le logement d'un candidat et juger ainsi de sa réussite antérieure et de ses goûts?
- Verra-t-on l'administration fiscale évaluer le nombre et le type de voitures garées dans les jardins pour orienter ses contrôles?
- Verra-t-on des sociétés analyser les photos aériennes des locaux techniques de leurs fournisseurs pour décider de ne pas reconduire un marché?
Ces dérives potentielles sont le côté pile d'une médaille pourtant séduisante sur son côté face! Les maquettes 3D sont en effet très attractives pour les internautes et les services géo-localisés ont beaucoup d'avenir, d'autant qu'Internet a vraiment besoin de replacer l'humain au centre de l'univers virtuel qui nous entoure de plus en plus.
Pourtant, trois pays européens se sont déjà opposés au déploiement du service StreetView de Google (l'Irlande, la Grèce et l'Allemagne), et il n'est pas exclu que cette liste s'allonge - Même en France, un mouvement de défiance s'organise et pourrait conduire le législateur à mettre un holà à ce type de service. Devrons nous renoncer à ces services 3D? ou admettre que la vie privée ne peut définitivement pas être protégée ?
Ni l'un ni l'autre! il est en effet possible de préserver à la fois l'émergence des services 3D tout en respectant la vie privée! Les solutions existent! j'ai même rencontré des sociétés françaises qui en proposent. L'idée toute simple consiste à réaliser des maquettes 3D très réalistes mais non réelles! Les façades lézardées ne le sont plus (les employeurs n'apprendrons rien sur les candidats en regardant ces maquettes), le type des voitures est tiré au hasard et n'a aucun rapport avec la réalité (au grand dam des services fiscaux), les zones industrielles restent miraculeusement bien rangées (n'apportant donc aucun renseignement sur l'activité).
Les services actuels basés sur des photographies réelles Pour réaliser des maquettes 3D utilisables sur Internet, la technique actuelle consiste à envoyer un avion quadriller le ciel du territoire à modéliser en prenant des photos obliques calibrées avec un appareillage de photographie très sophistiqué. Les milliers de photos ainsi obtenues sont ensuite traitées manuellement, en général dans des pays à faible coût de main d'oeuvre, pour identifier et pointer des détails communs permettant de caler les photos entre elles. Puis les bâtiments sont extrudés sous forme de parallélépipèdes par des techniques diverses et les façades des bâtiments photographiés sont détourées, redressées et appliquées sur les faces des volumes ainsi dégagés.
L'enjeu est bien sûr d'automatiser le plus possible ce genre de processus! Mais, aussi automatisée que soit la chaîne de création de la maquette, le matériau de base est et sera toujours une photo aérienne, avec son cortège d'indiscrétions potentielles. De même, les services comme Street View utilisent des centaines de milliers de photographies, prises par une voiture équipée spécialement, et reconstituent des vues panoramiques «comme si vous étiez dans la rue»; le problème est alors que, même si des automatismes plus ou moins fiables masquent les visages et les plaques minéralogiques, les photos restent terriblement indiscrètes:
- que fait la voiture de ta mère devant chez nous?
- qui est cette femme au visage flouté à la fenêtre de notre chambre?
- j'ai vu la vitrine de votre magasin sur Street View, je n'ai pas envie de vous faire confiance!
- comment se fait-il que votre société soit domiciliée dans un immeuble d'habitation ?
En conclusion, et de quelque façon que l'on présente les choses, les maquettes 3D et les vues immersives réalisées à partir de photographies sont, par nature, très indiscrètes et donc peu protectrices de la vie privée. Une autre voie technologique consiste à utiliser, non pas des photographies, mais les bases de données géographiques qui décrivent maintenant la totalité du territoire.
Ces bases existent pratiquement pour toute l'Europe, et définissent avec précision l'emprise au sol des bâtiments. Elles comportent également des informations variées comme l'année de construction, la présence de commerces, le nombre d'étages. La technique consiste à reconstruire des bâtiments réalistes à partir de ces éléments. Deux questions se posent alors.
Première question : La base de données contient-elle suffisamment de données pour reconstruire tous les bâtiments ? La réponse et presque toujours «non»! Il faut alors «interpoler» les données présentes et les compléter avec des données probables. Prenons des exemples :
- un bâtiment fait 15 m²en bord de rue ? c'est sûrement un garage avec un seul étage et un toit plat,
- un bâti de 8500 m², situé en périphérie de la ville ? c'est sûrement un bâtiment industriel,
- le même bâtiment est entouré d'un parking de grande taille: c'est un centre commercial...
En appliquant des centaines de règles de ce type, il est ainsi possible de reconstruire pratiquement toute une ville sans erreur notable. Seconde question : Comment «habiller» les bâtiments ainsi détourés et leur donner un air plus vrai que nature ?
Simplement en appliquant des textures standard sélectionnées grâce à des règles du même type que les règles ci-dessus; ces textures proviennent d'une campagne de photographies de quelques dizaines de clichés typiques, très simple et très bon marché, photographies qui sont bien entendu soigneusement épurées des données indiscrètes.
Cette technologie, appelée technologie heuristique présente le gigantesque avantage de ne pas représenter la réalité mais simplement un avatar de la réalité. Aucun problème de confidentialité, aucun détail de votre vie privée ne pourra jamais transparaître sur les sites qui utilisent ce genre de maquettes ! Votre vie privée est respectée.
Et pourtant, les images ainsi produites sont bluffantes de réalisme, il faut vraiment aller mettre le nez sur la façade de son propre immeuble pour remarquer que la porte du local à poubelles est absente, ou que la couleur de la banne du café du rez de chaussé, n'est pas la bonne ! Par ailleurs, le coût de réalisation de telles maquettes est très faible comparé à une campagne de photographie. Ceci laisse augurer un déploiement très large de ce type de service.
Bien souvent, les technologies les plus intelligentes ont beaucoup de mal à s'imposer face aux technologies plus frustres poussées par les grands acteurs, généralement américains. Mais quand ces technologies plus intelligentes sont également beaucoup moins chères et plus respectueuses de notre vie privée, pourquoi ne pas leur prédire un brillant avenir ?