Décollage spectaculaire (et sous la pluie) pour la mission lunaire Chang'e 6 © CNSA
Décollage spectaculaire (et sous la pluie) pour la mission lunaire Chang'e 6 © CNSA

Aucune nation n'a pour l'instant rapporté d'échantillons prélevés sur la face cachée de la Lune. La Chine tente donc l'aventure la première avec Chang'e 6. C'est là un grand défi technique, avec un véhicule imposant qui va se scinder en plusieurs morceaux et tenter de se poser dans le cratère Apollo.

La Chine procède par étapes pour ses missions lunaires. D'abord des missions en orbite, puis deux atterrissages réussis en 2013 et 2019, y compris sur la face cachée de la Lune. En 2020, l'agence spatiale chinoise (la CNSA et sa branche lunaire, la CLEP) réussit un exploit majeur et rapporte sur Terre 1,7 kilo de sol lunaire collecté à la surface lors de la mission Chang'e 5.

Trois ans et demi plus tard, les conditions sont enfin réunies, et la Chine passe à l'étape suivante : collecter et rapporter des échantillons de la face cachée. Le décollage a eu lieu ce 3 mai 2024 à 11 h 27 (heure de Paris), et la première phase de la mission se passe bien. Mais patience, il faudra environ 2 mois, si tout se passe bien, pour que la petite capsule et son précieux chargement reviennent se poser sur Terre.

Allez, grimpe, on part pour la Lune

Le décollage, qui a nécessité l'emploi de la plus puissante fusée chinoise à disposition (la CZ-5), était un événement national. Pour l'occasion, les plages et le complexe hôtelier de la côte proche du site de lancement de Wenchang ont été pratiquement pris d'assaut. Et pourtant, la météo était exécrable, avec des nuages et de la pluie ! Mais pas suffisamment pour reporter le tir, lequel était également diffusé en direct à la télévision nationale.

On retrouvait même sur la fusée les noms de différents partenaires internationaux qui collaborent avec la mission Chang'e 6, comme la France avec l'instrument DORN, le Pakistan avec un petit satellite ainsi que des contributions suédoises et italiennes.

D'abord envoyée en orbite basse autour de la Terre, la fusée a allumé une dernière fois son moteur pour lui imprimer une trajectoire en direction de la Lune. Chang'e 6 se rapproche donc depuis 3 jours déjà de son objectif, panneaux solaires déployés. Avec tous ces éléments assemblés, il s'agit de l'une des missions lunaires les plus lourdes jamais envoyées (hors missions habitées), avec 8,2 tonnes sur la balance !

La mission Chang'e 6 complètement assemblée. Remarquez une petite surprise, un minuscule rover sur le flanc gauche de l'atterrisseur. Ce dernier n'a été annoncé nulle part © CNSA
La mission Chang'e 6 complètement assemblée. Remarquez une petite surprise, un minuscule rover sur le flanc gauche de l'atterrisseur. Ce dernier n'a été annoncé nulle part © CNSA

Un agenda compliqué

Si l'on sait que la mission nominale va durer 53 jours, les détails de calendrier restent pour l'instant à la discrétion de l'agence nationale chinoise. La mise en orbite autour de la Lune est bien entendu la prochaine étape, elle devrait intervenir le 7 ou le 8 mai, et verra Chang'e 6 parcourir de larges ellipses autour de notre satellite naturel avant que l'ensemble utilise son moteur pour se freiner encore et abaisser son orbite (ce qui, en fonction de la suite de la mission, peut prendre du temps, chaque manœuvre ayant une fenêtre temporelle bien définie).

Ensuite, Chang'e 6 va se scinder en deux parties : l'orbiteur, qui va rester autour de la Lune, et l'atterrisseur, imposant bloc à quatre pieds qui va descendre pour se poser dans le quart sud de la face cachée, sur le bord du « bassin Apollo », vaste cratère parsemé de nombreux impacts plus petits.

La Chine vise une zone restreinte, censée héberger quelques-uns des plus anciens vestiges de la croûte lunaire à sa surface. La descente et la séquence pour se poser seront les moments les plus critiques : la sonde est totalement autonome et se repose sur une cartographie en mémoire comme sur des algorithmes réagissant aux images et aux relevés radars qu'elle enregistre au cours de sa descente. Ces données seront transmises sur Terre en temps réel grâce à la nouvelle sonde relais Queqiao-2, en orbite autour de la Lune depuis 2 mois.

L'instrument français DORN étudiera l'exosphère lunaire © CNES / IRAP

Revenir de la Lune, pas si simple

Une fois posée, si elle y arrive, la partie de Chang'e 6 sur la Lune prendra environ 48 à 72 heures pour boucler un important programme de collecte d'échantillons. D'abord de la poussière à la surface, puis un petit peu plus profondément grâce à sa petite pelle automatisée qui peut lui permettre de creuser sur quelques centimètres, et enfin grâce à un mécanisme de foret pour aller sous les premières couches de surface. Une fois les matériaux collectés, la mission se sépare encore en plusieurs parties.

Le haut de l'atterrisseur décolle de la surface lunaire et rejoint en orbite le vaisseau qu'ils ont quitté quelques jours plus tôt. Ce dernier capture les échantillons et les transfère dans une capsule avant de larguer le véhicule de montée, puis de reprendre la direction de la Terre. Encore pratiquement une semaine de vol, et l'orbiteur largue alors la capsule pour qu'elle freine dans l'atmosphère et se pose dans le désert au nord de la Chine. Une fois les échantillons récupérés au sol, la mission est remplie, et pourtant, elle n'est pas forcément intégralement terminée !

En effet, l'atterrisseur et le véhicule de remontée sont désactivés, mais la partie orbiteur, elle, dispose de réserves de carburant. Si elle le souhaite, la CNSA peut alors « jouer » et expérimenter différentes orbites avec son véhicule, quitte à prendre des risques. Ce fut le cas pour Chang'e 5, passé par différents points de Lagrange en trois ans et qui ne fut désactivé qu'au cours de l'année 2023.

Alors, Chang'e 6 réussira-t-elle à rapporter les tout premiers échantillons de la face cachée de la Lune ? La Chine est la seule nation à être capable de tenter l'aventure. Il ne reste plus qu'à transformer l'essai…

Source : NASA