Internet s'ouvre au monde avec le World Wide Web
Réseau des réseaux créé en 1969 par l'armée américaine, Internet a longtemps été ignoré du grand public jusqu'à la création, en 1989, d'une de ses principales composantes, le World Wide Web, par le Britannique Tim-Berners Lee lorsque celui-ci travaillait au CERN (Centre européen pour la recherche nucléaire).
En 1993, le CERN officialise l'entrée du Web dans le domaine public, « sans versement de redevances et sans aucune restriction ». Le Web combine alors les technologies des ordinateurs personnels, des réseaux informatiques et de l'hypertexte en un système d'information global à la fois puissant et facile à utiliser.
Depuis, Internet est devenu l'outil de référence de l'ère numérique. Dans cet univers, les médias traditionnels et les institutions ne sont plus les seuls dépositaires de l'information et de la communication. L'internaute est à la fois consommateur et producteur de contenus par le biais des forums, blogs, wikis et autres réseaux sociaux.
Internet remet en cause l'ordre établi, l'établissement. Aujourd'hui, l'Internet sans barrière, instrument de liberté d'expression pour tous, reste à concrétiser notamment dans les régimes autoritaires où le Réseau peut être utilisé comme instrument de contrôle des « dissidents ».
Le blog ou l'expression libre
Site Internet individuel ou collectif, le blog propose des contenus affichés chronologiquement, contenus susceptibles d'être commentés par les internautes. Le premier blog aurait vu le jour aux Etats-Unis il y a 10 ans avec Robot Wisdom, toujours actif aujourd'hui.
La mise à disposition en ligne d'outils payants ou gratuits de publication tels que Movable Type (Six Apart) et Drupal en 2001, Skyblog en 2002, Blogger (ex-Pyra), WordPress et Dotclear en 2003, va démocratiser le phénomène. Chaque internaute, avec ou sans connaissance technique, ayant la possibilité d'ouvrir un blog. En mai 2007, Technorati.com recensait plus de 71 millions de blogs.
Blog et influence
En Espagne, à la suite des attentats du 11 mars 2004, les citoyens ont échangé leurs doutes sur le Président Aznar (PP) qui avait choisi d'engager le pays dans la guerre en Irak au côté des Etats-Unis. En quelques jours des centaines de milliers d'électeurs se sont mobilisés par le biais de blogs, forums en ligne, messages instantanés et SMS. Cette mobilisation a participé à la victoire de José Luis Rodríguez Zapatero (PSOE) l'été 2004.
En décembre de la même année, lors du tsunami qui a dévasté le Sud-Est asiatique, les blogueurs ont été les premiers à diffuser l'information, plus rapides et, souvent, plus impliqués que les médias traditionnels. En Italie, Beppe Grillo, activiste et humoriste, utilise son blog pour lutter contre la corruption au sein du gouvernement et de la classe politique en général.
Aux Etats-Unis, au printemps 2007, le Président George W. Bush a pris pour référence un blog de langue anglaise, IraqTheModel, lors d'un de ses discours destinés à justifier l'intervention américaine en Irak. Cette initiative n'est pas plus innocente que celle du ministre malaisien de l'information, Zainuddin Maidin, à l'attention de la presse locale. Celui-ci déclarait, en mars dernier, à propos des blogs : « Ne les citez pas, sinon vous vous couvrez de honte, car vous êtes l'autorité. N'accordez pas de crédit à de tels sites web anarchistes », rejoignant ainsi les propos prononcés, l'an dernier, par le Premier ministre Badawi.
L'avènement du média citoyen
Le journalisme citoyen s'appuie sur des plates-formes de publication, des CMS (systèmes de gestion de contenu), qui permettent à chaque internaute de passer du rôle de récepteur à celui d'émetteur d'informations. Inspiré par le site sud-coréen OhMyNews (« chaque citoyen est un reporter »), le journalisme citoyen a fait des émules en France : AgoraVox, YouVox ou encore le réseau de proximité CitizenBay.
Des communautés aux réseaux sociaux
MySpace, référence mondiale des réseaux sociaux lancée en 2004 aux Etats-Unis, héberge des forums auxquels participent des candidats à la présidentielle américaine 2008. « Ce ne sont pas des débats formatés. Nos utilisateurs ont la possibilité d'obtenir des réponses directes aux questions qu'ils veulent poser, non filtrées », affirme Chris DeWolfe, co-fondateur de MySpace. Le site communautaire est partenaire de MTV. Quant à la plate-forme de partage de vidéos YouTube, elle s'est associée à la chaîne d'information CNN pour l'occasion.
La censure, revers de l'Internet
Tout n'est pas pour le mieux dans le meilleur des mondes : « Fermer un blog, censurer une page web, est malheureusement très facile. Il suffit aux autorités de contacter l'hébergeur de la publication - si celui-ci est sur leur territoire - et de faire pression sur l'entreprise pour qu'elle ferme le site. Si l'hébergeur est à l'étranger, on peut toujours le rendre inaccessible dans le pays en bloquant son nom de domaine ou son adresse IP », souligne Reporters sans frontières (RSF).
Par ailleurs, ajoute l'organisation de défense de la liberté de la presse, « si la presse en ligne bénéficie en général des mêmes protections que la presse traditionnelle, les non professionnels - les responsables de sites personnels, les blogueurs - ne jouissent pas du tout des mêmes droits que les journalistes. Ce constat est valable aussi bien dans les démocraties que dans les régimes autoritaires ».
La Chine dans la ligne de mire des organisations de défense des droits de l'Homme
Toujours plus sophistiquée, la censure d'Internet en Chine « n'a pas d'équivalent dans le monde », selon Reporters sans frontières. L'Etat et le parti communiste chinois « ont déployé des ressources humaines et financières colossales pour empêcher l'émergence d'une véritable liberté d'expression sur Internet ». Par ailleurs, depuis 2005, une licence spécifique doit être obtenue auprès des autorités chinoises pour diffuser légalement des informations sur Internet, y compris des données déjà diffusées par les médias officiels.
Les multinationales du Net actives en Chine ont elles-mêmes reconnu avoir transmis aux autorités des informations concernant les utilisateurs de leurs services en ligne. Certains d'entre eux, accusés de dissidence, ont été arrêtés et emprisonnés depuis. , Google, Microsoft et d'autres affirment respecter la législation locale, et déclarent qu'il est préférable pour les Chinois de disposer d'un accès biaisé et contrôlé à l'information, plutôt que rien du tout.
De tels arguments ne satisfont pas RSF. « L'argument de ces entreprises a fait long feu. Arguer qu'elles doivent obéir aux lois locales des pays dans lesquels elles s'implantent c'est se plier aux mêmes règles que les entreprises chinoises et faciliter le travail de filtrage du Net effectué par Pékin en n'intégrant pas les contenus dits 'subversifs' », indique Clothilde Le Coz, du Bureau Internet et libertés de Reporters sans frontières.
Yahoo, une semaine après avoir répondu aux questions du Congrès US concernant son implication dans l'arrestation de cyberdissidents chinois, est parvenu à un accord amiable, le 13 novembre 2007, avec la World Organization for Human Rights USA. Leur accord met un terme à des poursuites engagées au printemps. Par ailleurs, la société Yahoo s'est déclarée prête à créer un fonds de soutien aux familles des dissidents « emprisonnés pour avoir exprimé leurs opinions en ligne ».
Google, de son côté, comptait parmi les invités de marque de la conférence sur « l'éthique et les droits de l'Homme dans la société de l'information » organisée les 13 et 14 septembre 2007, à Strasbourg, par l'Unesco. Critiquée sur sa politique de traitement des données, une question sensible pour les structures en charge de l'informatique et des libertés (la CNIL en France), la société Internet américaine a révisé sa copie, en limitant à 18 mois, au lieu de 18 à 24 mois, le délai de conservation de données (mots clés, adresses IP et détails des cookies).
Aujourd'hui, le moteur de recherche et spécialiste des liens sponsorisés veut aller plus loin et apparaître comme l'ardent défenseur de la protection des données et de la « transparence ».
Dans un billet daté du 14 novembre 2007, Google a déclaré : « Traiter des contenus controversés est un des plus grands défis auquel nous sommes confrontés en tant qu'entreprise. Nous ne prétendons pas avoir toutes les bonnes réponses ou nécessairement d'opter pour le bon jugement. Mais nous nous attachons à y réfléchir, pour être aussi transparents que possible sur la façon dont nous prenons nos décisions, et pour continuer à étudier et à débattre de nos politiques. Après tout, le droit d'être en désaccord est le signe d'une société saine ».
Les multinationales du Net sont-elles prêtes à renier certaines de leurs valeurs (la libre expression est inscrite dans la Constitution des Etats-Unis) pour se développer sur un marché à fort potentiel comme la Chine ? Entre régime communiste et économie de marché, le pays compte, à ce jour, plus de 162 millions d'internautes, parmi eux 19% de blogueurs, et 1,3 million de sites répertoriés (CNNIC).
D'autres pays pratiquent la censure, dont le Vietnam, le Turkmenistan ou encore la Birmanie. Dans ce pays, souligne RSF, « le BlackOut a été possible, car les deux plus gros fournisseurs d'accès (Myanmar Posts and Telecoms et BaganNet) dépendent de l'Etat. Si ce dernier ordonne les coupures, le pays est déconnecté. C'est un blocage revendiqué bien souvent, qui montre tout le poids politique qu'Internet est appelé à jouer ».
Internet et gouvernance, un jeu de dupes ?
La gouvernance d'Internet passe par de puissants organismes, en particulier l'ICANN (Internet Corporation for Assigned Names and Numbers). Organisation de supervision du Net et des noms de domaine, l'ICANN a été créée en 1998 à l'initiative du Département américain du commerce. Malgré les critiques concernant le caractère arbitraire de certaines décisions de la structure, le contrat entre Washington et l'ICANN a été reconduit, le 30 septembre 2006, sur trois ans. Par ailleurs, l'organisation conserve ses prérogatives actuelles sur l'administration des noms de domaines de premier niveau (TLD), dont les très lucratifs '.com' et '.net'., jusqu'en 2011.
« Notre plus grand défi sera de servir une audience globale. Au niveau technique, le défi consiste à introduire des scripts internationaux pour les noms de domaine de premier niveau, à la fois pour les gTLD (TLD génériques) et les ccTLD (TLD et codes pays), ainsi que de nouveaux procédés pour introduire ce qui pourrait être un grand nombre de domaines génériques de premier niveau », a récemment déclaré Dengate Thrush, successeur de Vinton Cerf au poste de chairman de l'ICANN.
L'ISOC (Internet Society) est avec l'ICANN, l'un des acteurs de la gouvernance d'Internet. Association de droit américain à vocation internationale créée en 1992, l'ISOC héberge des groupes techniques tels que l'Internet Engineering Task Force (IETF) et l'Internet Architecture Board (IAB).
Philippe Batreau, juriste de formation, entreprenaute et trésorier du chapitre français de l'ISOC, souligne : « La gouvernance de l'Internet ne pourra pas rester telle qu'elle est aujourd'hui. La situation n'est pas tenable pour les Etats-Unis, les deux phases du SMSI (Sommet mondial sur la société de l'information) l'ont démontré... Une gouvernance de l'Internet davantage partagée à l'international, du gouvernemental à l'intergouvernemental, et de l'intergouvernemental à la réflexion multiacteurs, société civile et secteur privé inclus, c'est le sens de l'histoire ».
En marge de la « pure » gouvernance, le W3C (World Wide Web Consortium) est chargé depuis sa création, en 1994, du développement des standards Web. Dirigé par l'inventeur du Web, Tim Berners-Lee, le W3C est piloté conjointement par le MIT - Massachusetts Institute of Technology (Etats-Unis), l'ERCIM - European Research Consortium for Informatics and Mathematics (France) et l'Université de Keio au Japon.
« J'ai tenté de faire du Web, une plate-forme universelle et neutre qui ne doit pas entrer en conflit avec du matériel spécifique, un logiciel, un réseau, un langage, une culture, un handicap, ou encore des données spécifiques », a souligné Tim Berners-Lee. A ses yeux, la neutralité d'Internet - qui a assuré son son succès - est essentielle. « C'est la base d'une économie de marché compétitive, la base de la démocratie, à travers laquelle une communauté peut décider ce qu'elle veut faire, la base de la science, qui permet au genre humain de décider où se trouve la vérité ».
La problématique de la neutralité et de la gouvernance d'Internet fait la une. Outre les Etats-Unis, l'Union européenne et l'Organisation des Nations Unies (ONU) ont indiqué, lors du Sommet mondial sur la société de l'information à Tunis, en novembre 2005, souhaiter prendre part à la supervision du Réseau mondial.
Or, d'après RSF, « il y a deux extrêmes : Internet comme espace d'anarchie (Etats-Unis, Brésil, etc.) ou comme espace ultra contrôlé. La Chine, Cuba et les pays les plus répressifs de la planète cherchent à attribuer la régulation du Réseau à une organisation supranationale indépendante, c'est-à-dire à l'ONU. Quant à la position européenne, elle reste floue et ne définit en aucun cas un nouveau modèle de gouvernance d'Internet ».
Lors de la seconde édition du Forum sur la gouvernance d'Internet organisée par les Nations Unies mi-novembre 2007 au Brésil, Reporters sans frontières a lancé un appel aux pays présents, afin que la question de la liberté d'expression ne soit pas occultée par le débat sur la responsabilité des Etats-Unis dans la gouvernance du Réseau.
Des perspectives
Vinton Cerf, pionnier du Net et chef évangéliste chez Google, a rejeté cet été les appels en faveur d'un contrôle strict de la Toile mondiale et rappelé qu'Internet est le reflet de la société contemporaine, avec ses côtés sombres (censure, fraudes, virus, pédopornographie...) et ses succès (partage de l'information, communication, libre expression, etc.)
« Nous avons un travail à faire, collectivement en tant que société, pour traiter les problèmes que nous découvrons sur le réseau. Nous devons affronter ces problèmes directement », a déclaré Cerf.
Philippe Batreau, de son côté, souligne, en termes techniques, que le protocole Internet IPV6 va succéder à l'IPV4 (raréfaction des adresses IP) et que le « web 2.0 », concept centré sur l'utilisateur rendu plus autonome grâce à des technologies innovantes (XML, Ajax, VoIP, flux RSS...), évolue. « Il faut développer l'ensemble et mettre en oeuvre une gouvernance de l'Internet effectivement partagée ».
L'entité, Etat ou organisation, qui souhaiterait réguler le Réseau de manière centralisée se placerait sur « un terrain glissant ». Où mettre les limites et selon quels critères ?
A l'heure actuelle, un sixième de la population mondiale aurait accès à Internet, soit 1,1 milliard d'individus. Pour augmenter cette proportion et, par extension, réduire la fracture numérique, Vinton Cerf table sur la baisse des tarifs des terminaux et la téléphonie mobile (2,5 milliards d'utilisateurs dans le monde), notamment dans les marchés émergents.