INTERVIEW VIDÉO – Le directeur général France de la compagnie aérienne revient, pour Clubic, sur les différentes mesures prises ces derniers mois et semaines pour surmonter la crise, et regagner la confiance de ses clients.

Le 15 juillet, Emirates fêtait le retour de l’A380 sur le sol français, avec l’atterrissage du superjumbo sur la piste de l’aéroport Paris-Charles de Gaulle. Il s’agissait d’un vrai événement pour la compagnie et l’aéroport, qui restent encore loin de tourner à plein régime. Mais même si elle a perdu beaucoup d’argent et qu’elle s’apprête à se séparer de milliers de salariés dans le monde (et peut-être en France), la compagnie place ses espoirs en une reprise continue du trafic, qui ne pourra être possible qu’en application de strictes mesures sanitaires. Pour évoquer tous ces sujets, nous avons rencontré, sur place, le directeur général France d’Emirates, Cédric Renard. Interview.

Cédric Renard, DG France d'Emirates (© Alexandre Boero pour Clubic)
Cédric Renard, DG France d'Emirates (© Alexandre Boero pour Clubic)

L’interview de Cédric Renard, DG France d’Emirates

Clubic : Au moment où nous nous parlons, ce 15 juillet, nous vivons un jour un peu particulier, puisque nous sommes ici pour assister au premier atterrissage de l'A380 depuis le début de la crise sanitaire. Une question générique pour démarrer, liée à cet événement : que ressentez-vous, aujourd’hui, au moment d'accueillir le superjumbo sur l'aéroport Roissy-Charles de Gaulle ?

Cédric Renard : C'est une grande émotion. Depuis plus de trois mois, l'avion n'opérait malheureusement pas. Depuis le 15 juillet, l'Airbus A380 d'Emirates se pose à nouveau à Charles de Gaulle. C'est un avion unique, iconique et emblématique pour Emirates. Il fait entièrement partie de notre flotte et nous voulions revenir avec cet avion, autour duquel il y a beaucoup de passion. Emirates en a fait un vaisseau amiral, de par ses aménagements et son confort.

"Il y a une vraie demande pour l'A380, auquel les passagers sont attachés. Nous avons 115 Airbus A380, sur les 260 appareils de notre flotte, le but étant de les redéployer sur les destinations les plus importantes"

Comment vont fonctionner les rotations sur les prochaines semaines ?

Depuis la fin du mois de mai, nous opérions trois fois par semaine entre Paris et Dubaï. Progressivement, au mois de juin, nous avons augmenté les fréquences en passant en quotidien au 1er juillet. Depuis le 15 juillet, nous sommes passés en bi-quotidien avec une rotation en Boeing 777 et une rotation en Airbus 380. L’idée, c’est de répondre à la demande qui arrive, de façon à connecter le mieux possible à travers Dubaï et permettre à nos passagers de voyager dans les configurations des avions Emirates.

Air France ne fait plus voler d'A380 depuis son vol d'adieu le 26 juin, Lufthansa a décidé de les clouer au sol ces deux prochaines années... Emirates fait un peu figure d'exception : comment faites-vous pour rentabiliser cet appareil trop coûteux pour tout le monde aujourd'hui et qu'est-ce qui a poussé la compagnie à lui renouveler sa confiance ?

C'est un avion qui répond aux besoins des voyageurs. Il y de la passion autour de cet avion. L'atterrissage, que nous avons pu suivre, est un moment unique. Même chose pour le water salute avec les pompiers. Ce que nous voyons, c'est que les passagers sont attachés à cet avion. Il y a une vraie demande pour l'A380 d'Emirates. Et sachez que nous avons 115 A380 aujourd'hui, sur les 260 appareils de notre flotte, le but étant de les redéployer sur les destinations les plus importantes, où on sent de la reprise, c'est le cas aujourd'hui sur Paris-Charles de Gaulle ou sur Londres. D'autres escales ont été annoncées, comme Amsterdam.

"Tous les voyageurs se voient remettre un kit d'hygiène lors de l'embarquement"

Quel est l'avenir de l'A380 au sein d'Emirates ? Des commandes ont été annulées, et on sait qu'Airbus abandonnera sa production en 2021...

Huit avions restent encore en attente de livraison.

Un Airbus A380 d'Emirates, le 15 juillet 2020 à Roissy-Charles de Gaulle (© Alexandre Boero pour Clubic)
Un Airbus A380 d'Emirates, le 15 juillet 2020 à Roissy-Charles de Gaulle (© Alexandre Boero pour Clubic)

Comment se passe cette reprise du côté d'Emirates ? Avez-vous une idée du taux de remplissage des appareils ?

La crise a suspendu toutes les opérations. Emirates s'est attachée à garder sa signature de marques, le Fly Better, et à enrichir le Fly Safer. Les voyageurs doivent pouvoir se sentir à l'aise quand ils voyagent sur Emirates.

Nos équipages sont équipés de protections individuelles, le service à bord a été aménagé, un assistant de service en cabine s'assure que toutes les mesures sanitaires sur les vols de plus d'1h30 sont respectées. Tous les voyageurs se voient remettre un kit d'hygiène contenant des équipements individuels comme des gants, des lingettes et un masque.

Comme toutes les compagnies, nous redémarrons. Il convient de faire les choses de façon progressive. On s'adapte à la demande qui augmente. Aujourd'hui, nous proposons autour de 55-60 destinations à travers le monde. Au fur et à mesure, nous augmentons les fréquences, les rotations, et nous élargissons le réseau.

Tous les plans sont révisés au fur et à mesure. Mais très clairement, l'idée est d'augmenter le réseau d'Emirates. En temps normal, nous couvrons 157 destinations. Les choses se remettent progressivement en place, mais trois critères existent par rapport à la réinsertion des vols : la levée des restrictions, les autorisations gouvernementales et le niveau de la demande. Nous relançons et rétablissons des opérations et des vols, à partir de ces trois critères.

Des mesures de sécurité sanitaire sont prises aujourd'hui, notamment pour le personnel de bord. Certaines destinations réclament un test PCR également. Qu'en est-il aujourd'hui pour la France et comment sont reçues ces derniers jours toutes les précautions prises ? Les voyageurs sont-ils plus rebutés par cette situation, ou au contraire, rassurés ?

Je pense que le besoin de nos clients est d'être rassuré. Quand on fait un voyage pour des raisons professionnelles ou touristiques, nous avons besoin de nous sentir en sécurité. Emirates a investi en termes de protocoles et de mesures, que ce soit pour nos équipages ou nos passagers, qui sont dans des conditions sanitaires abouties.

"Il faut 18 mois pour revenir à un niveau d'activité comme nous l'avons connu précédemment. Puisqu'il y a moins de vols et moins de destinations desservies, la compagnie est obligée de s'adapter"

Dubaï a rouvert depuis le 7 juillet, pour les touristes comme pour les voyageurs d'affaires, car la destination est sécurisée. Le meilleur message que l'on peut envoyer aux gens qui souhaitent voyager, c'est de le dire qu'ils voyageront sereinement. Les hôtesses et stewards ont un vrai équipement de protection à bord. Le service a été adapté : les magazines à bord ont été retirés, les repas sont servis de façon particulière.

Par rapport à Dubaï, un test COVID-19 est demandé. On peut le faire avant de partir ou à l'aéroport de Dubaï, le test étant gratuit.

Les hôtesses de l'air, qui assurent le service à bord des avions, veillent à être un maximum protégées (© Alexandre Boero pour Clubic

Plus d'une centaine de 777X étaient attendus cette année. Après un report technique, puis un nouveau report lié à la crise sanitaire... quand la compagnie espère-t-elle accueillir sa flotte de 777X ?

Je n'ai pas d'informations particulières là-dessus. En revanche, lors du dernier Dubaï Air Show au mois de novembre 2019, Emirates avait confirmé des commandes auprès d'Airbus avec 50 Airbus A350, 30 Boeing 787 et des 777X, l'idée étant de conserver une flotte la plus récente possible.

Sur les suppressions d'emplois, on estimerait désormais du côté d'Emirates que les licenciements à venir en raison de la crise seraient au nombre de 9 000. Cela représente 15% des effectifs (60 000 salariés), mais c'est surtout plus que ce qui était été annoncé il y a peu par Tim Clark, le PDG d'Emirates. Des emplois sont-ils menacés en France ?

Toutes ces décisions sont prises à Dubaï, avec une vision globale par rapport au retour de la demande sur nos vols et à la fréquentation des avis. Comme toutes les compagnies aériennes, nous avons été touchés par cette pandémie. Ce qui est clair, c'est que jusqu'en février 2020, Emirates réalisait un exercice qui était très bon. Mais malheureusement, à compter de février, la crise est survenue. On estime qu'il faut 18 mois pour revenir à un niveau d'activité comme nous l'avons connu précédemment. Puisqu'il y a moins de vols et moins de destinations desservies, la compagnie est obligée de s'adapter.

"Les seuls 650 000 remboursements représentaient environ 500 millions d'euros"

S’il y a des départs en France, ceux-ci seront-ils "facilités", avec par exemple une procédure de départs volontaires ?

Tout est géré depuis Dubaï, mais nous sommes tous sensibles et attachés à ce que le plus grand nombre de personnels reste.

Souhaitez-vous mettre en place le système du chômage partiel de longue durée, comme vient de le faire l'équipementier et motoriste Safran par exemple ?

Nous mettons toutes les mesures en place pour sauvegarder l'emploi. L'État français et les différents dispositifs sont un vrai soutien pour traverser cette crise. Emirates s'adapte et prend acte de tous les dispositifs.

Où en est-on aujourd'hui des remboursements ? On a parlé de 650 000 demandes traitées en seulement 2 mois...

Ces seuls remboursements représentaient environ 500 millions d'euros. L'engagement de la compagnie de rembourser ses clients a été tenu. Nous l'avons fait dès le début de la crise. Ce que nous avons aussi proposé à nos clients, ce sont deux autres options, car comme toutes les autres compagnies, nous sommes confrontés à un problème de trésorerie. Il y a d'abord le fait de conserver son billet et de l'utiliser pour un autre voyage, sous deux ans, ou un voucher pour un prochain déplacement.

"Comme toutes les autres compagnies, nous sommes confrontés à un problème de trésorerie [….]. C'est une période compliquée, nous avons tous besoin d'envoyer des messages forts, de confiance, de reprise, ce que nous faisons aujourd'hui"

Par rapport à l'évolution de la demande, les mesures mises en place aujourd'hui permettent de se sentir à l'aise au moment de la réservation. Il faut créer ces conditions pour que les gens se sentent à nouveau en confiance. Nous avons mis en place des équipes complémentaires à Dubaï, 6 jours sur 7, pour accélérer les remboursements.

Est-ce que beaucoup de clients annulent leurs vols prévus par exemple pour cet automne, avec une seconde vague redoutée ?

À court terme, il y a une période un peu compliquée : c'est l'été. Mais le message que nous voulons envoyer aujourd'hui est un message de confiance, c'est-à-dire que non seulement nous faisons de nouveau circuler des A380, mais nous passons en bi-quotidien. Le réseau s'amplifie, les levées de mesures sanitaires s’opèrent dans certains pays. Dubaï est une destination "sage", qui plaît beaucoup aux Français. Ils sont plus de 350 000 à venir à Dubaï tous les ans, avec une croissance constante jusqu'à cette année. Il y a aussi la perspective de l'Expo 2020 Dubaï, repoussée à 2021.

© Alexandre Boero pour Clubic

Quelles seraient les conséquences d'une deuxième vague sur Emirates, et, de votre avis d'expert, sur le secteur aérien en général ?

Toutes les compagnies souffrent. C'est une période compliquée, nous avons tous besoin d'envoyer des messages forts, de confiance, de reprise, ce que nous faisons aujourd'hui avec un avion qui plaît et qui séduit. Il y a aussi l'engagement d'Emirates par rapport à la France, avec un énorme investissement en avions, en équipements aéronautiques, en vin ou en sponsoring. Aujourd'hui, je n'ai pas envie de me projeter dans le cas d'une deuxième crise. Ce n'est pas le sentiment que nous voulons partager, même si évidemment, on prendra toutes les mesures nécessaires et que nous prenons déjà la mesure et la gravité de la situation.

Merci Cédric Renard pour vos réponses.

Avec grand plaisir, merci à vous.