J'ai testé pour vous : l'arnaque sur Internet

Audrey Oeillet
Publié le 23 février 2012 à 16h41
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Qui n'est jamais, au détour de sa boîte mail ou de sa magnifique collection de spam, tombé sur un message lui faisant miroiter des sommes d'argent colossales, mais coincées à la douane d'un pays d'Afrique qui n'attend qu'un virement Western Union pour prendre le bateau ? Tout le monde, ou presque. Ce qui est plus rare, par contre, c'est d'y répondre... c'est pourtant ce que j'ai fait !

Ca fait déjà plusieurs années que certains médias se font l'écho des conséquences dramatiques qu'entrainent souvent les arnaques sur Internet, également connues sous le nom anglophone de « scam ». On en distingue plusieurs formes allant de l'hameçonnage d'une personne sur un site de rencontres à une réponse intéressée par un produit sur un site d'annonces entre particuliers, en passant par le mail de relative apparence officielle, faisant miroiter de grosses transactions financières tombées du ciel. Des arnaques qui, stratégiquement ciblées ou non, vont tâcher de faire vibrer des cordes sensibles chez les internautes : sentiments amoureux, argent facile et j'en passe.

Mais quand même : si l'annonce fait vibrer les bonnes cordes, les ficelles semblent très souvent complètement fantasques. Comment expliquer qu'un riche consul de Côte d'Ivoire désire léguer sa fortune à un inconnu en France ? Comment justifier qu'un Béninois préfère acheter une voiture dans l'Hexagone via Le Bon Coin, plutôt que de chercher une affaire plus proche de chez lui ? Et surtout, comment expliquer que, chaque année, des centaines de Français se laissent tenter, et avoir, parfois jusqu'au surendettement ? Pour essayer de le comprendre, j'ai décidé de tenter l'expérience... et de me faire pigeonner de mon plein gré.

Les échanges qui suivent ont duré un peu plus d'un mois : l'objectif était de voir jusqu'où il était possible d'aller en échangeant avec un escroc sur Internet, sans envoyer d'argent cependant, mais également de cerner les méthodes employées pour tenter d'extorquer des fonds dans le cadre de l'affaire en question. La première partie de cet article se résume donc au cheminement, souvent rocambolesque, de cette aventure. Quant à la seconde, elle laisse la parole aux experts pour en démêler les ficelles.

Opportunité d'affaire !

Pour commencer cette petite enquête, je me suis rendue dans le dossier de spam de ma boîte personnelle : en faisant un peu de spéléo parmi les spams me promettant de perdre 15 kg en 3 jours ou de faire grossir mon pénis de 10 cm grâce à une pompe suédoise, j'ai trouvé moult appels à l'aide et autres propositions alléchantes me faisant à chaque fois miroiter monts et merveilles. J'ai répondu à plusieurs d'entre eux, sans grand succès puisque je n'ai, en premier lieu, pas reçu de réponse. J'en ai déduis le fait que pour se faire pigeonner, il faut fournir un véritable effort de persévérance. Ca m'a un peu découragé. Et puis, Franck est arrivé.

Franck Kilabongo, consultant en investissements privés à la recherche de débouchés financiers me fait une offre. Il vient « respectueusement soumettre à (ma) distinguée attention (une) importante offre de collaboration », ce qui aiguise forcément mon intérêt. (Précision : dans le cas de copier-coller, les textes sont d'origine, fautes comprises.)

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Franck, un homme Kilabongo

Je ne comprends pas tout à l'histoire de Franck, si ce n'est qu'il y a visiblement une grosse quantité d'argent planquée dans un coffre à Bruxelles et qu'il faut se dépêcher de le récupérer sinon il va être perdu à jamais, ce qui serait triste. J'envoie donc un mail à Franck en espérant que cette fois-ci soit la bonne.

J'ai une réponse le lendemain, dans laquelle Franck met tout de suite les choses au clair : « Dans un premier temps une mise au point s'impose afin d'éviter de futurs malentendus. Internent est devenu aujourd'hui un outil incontournable de communication. C'est aussi devenu la bête noire des crédules (cybercriminalité grimpante) donc nous nous devons de nous méfions aux propositions qui nous sont faites. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle notre méthode de travail exige que nous privilégions les contacts par téléphones et fax puisque nous n'avions pas le vôtre nous étions obligés de vous contacter par mail. »

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Un PDF censé me mettre en confiance...
Au moins monsieur ne tourne pas autour du pot : si je suis une arnaqueuse, mieux vaut que je passe mon chemin. Monsieur se méfie, j'imagine que c'est censé être rassurant. Après une phrase de transition magnifique - « La lumière étant faite sur les points d'ombre de l'escroquerie via internet, revenons à nos moutons distraits » - Franck Kilabongo m'explique la suite de l'opération : je vais servir de pont entre les fonds qui se trouvent à Bruxelles, et un « paradis fiscal (Suisse ou Luxembourg) ». Une fois l'argent transféré, ce dernier sera investi dans un projet immobilier déjà défini, ainsi que dans les énergies renouvelables. Pour m'expliquer tout ça, j'ai droit à un petit PDF qui va bien avec un entête tout moche à base de cliparts et de coordonnées bidonnées (ci-contre, la première page).

Bien évidemment, j'adhère au projet. Franck est content et m'assure que je ne regretterai pas ma décision. Il m'annonce que je vais changer d'interlocuteur, mais m'explique que : « C'est déjà le weekend donc il serait vraiment difficile de vous mettre en contact avec le notaire. Dès lundi matin, je vous transmettrai ses contacts afin que vous le contactiez directement ». Je lui réponds que je suis d'accord, mais que comme je suis au travail toute la journée, il serait plus facile pour moi de parler avec lui par MSN ou Skype que par téléphone. Et puis je pars en week-end.

« C'est votre statut de femme qui nous a conduit à vous contacter »

Comme prévu, à mon retour de week-end, je ne tarde pas à trouver une réponse de mon nouvel ami Franck, qui me fournit les coordonnées de Maître Leonide DaSilva, son notaire. Ce dernier dispose d'un cabinet à Cotonou : je m'étonne donc faussement auprès de Franck, qui m'avait laissé entendre que le notaire était Belge. « C'est plutôt notre intermédiaire et expert financier qui est à Bruxelles. C'est lui qui sera le pont ou le lien entre vous et la banque. Vous aurez l'occasion de discuter avec lui au moment opportun » me répond-il.

Je suis plutôt surprise de la façon dont Franck s'exprime : pour préparer cette enquête, j'ai exploré beaucoup de sites et forums français ou anglais évoquant des tentatives d'escroqueries, et dans la plupart des cas, l'orthographe et la grammaire étaient suffisamment alambiquées pour qu'un doute s'installe rapidement. Quelques jours après avoir commencé les discussions, je constate que mon premier interlocuteur - et rien ne me dit, encore aujourd'hui, que ce n'était pas le seul - s'exprime plutôt bien. De quoi mettre en confiance, me dis-je.

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Clipart+Notaire+adresse Hotmail=WIN
J'envoie ensuite un mail à Maitre Leonide, qui me répond le lendemain. Je constate que, comme pour Franck, Leonide me répond systématiquement avec un nouveau mail qui ne contient aucun historique de nos précédents échanges : j'en déduis que l'envoi de mails doit se faire « à la chaîne » à plusieurs personnes, et que le copier-coller doit être de la partie. J'ai le droit, en pièce jointe, à un document orné d'un superbe clipart censé être le logo du cabinet de l'avocat (ci-contre). Ce dernier m'explique que c'est mon « statut de femme » qui les a conduits à me contacter et à me faire confiance. Je récupère une adresse MSN et un rendez-vous fixé à l'avance en raison du « décalage horaire » - inexistant en hiver entre la France et le Bénin.

Par curiosité, j'explore les informations du document à la recherche d'indice sur son auteur. Je découvre alors que ce dernier est désigné par le nom « awesbross » : un petit tour sur Google me permet de mettre la main sur un profil, sur un site de rencontre, d'un homme de 31 ans résidant à Abomey-Calavi... au Bénin. Hasard ou coïncidence ? Quoi qu'il en soit, tous les documents que je recevrai par la suite, quels qu'ils soient, porteront cette signature. De même, aucun des cabinets d'avocats ou d'investissement cités dans l'affaire n'existe, hormis la banque Dexia, en Belgique.

Concerto pour pipeau

Avec Maître Leonide, les choses sérieuses commencent : d'entrée de jeu, mon nouvel ami me ressort la question de la confiance.

Leonide dit :
  • merci pour votre demande de renseignement mais avant tout nous devons nous faire confiance mutuellement car la confiance dans cette affaire est de mise et aussi et surtout la discrétion.
Confiance et discrétion, parce que cette affaire n'est clairement pas toute nette :

Leonide dit :
  • mon étude travaillait en collaboration avec le cabinet de mr Franck Kilabongo pour Mr SEIF ALI
  • celui ci était un haut cadre ayant travaillé sous le guide libyen mohammar khadafi. Comme vous devez le savoir cette affaire est légale mais n'oubliez pas que tous les compte des autorités ayant travaillé pour khadafi ont été gelés. heureusement ils ignorent l'existence de celui-ci et c'est pour cela que nous vous demandons un minimum de discrétion.
Me Leonide fait des fautes, et écrit vite. Me Leonide veut être sûr que je ne parlerai de cette histoire à personne. Les fonds sont dans une banque belge, la Dexia. En servant d'intermédiaire dans la transaction, on me garantit « 15% du capital total et serez associée aux investissements puisque nous ne sommes pas sur place ». Leonide blinde son argumentaire de termes juridiques et me parle de documents qu'il faudra faire établir par son cabinet et par la banque, comme une procuration, un certificat de changement de propriété, un certificat anti-terroriste, ou encore un acte de notoriété. Quand je pose des questions au sujet des documents, les réponses sont évasives. Je laisse tomber, et je décide de répondre à ce beau solo de pipeau par une mélodie de ma composition, non sans m'amuser un peu au passage :

Leonide dit :
  • une question: que faites-vous dans la vie????
Audrey dit :
  • Je suis éleveuse de poneys dans une ferme à côté de Paris
Leonide dit :
  • vous les vendez ces poneys?
Audrey dit :
  • Oui, je les dresse, aussi, et je fais des animations pour les enfants
  • j'ai aussi un petit élevage de chats que je vends mais l'élevage de poneys est ma principale activité
Leonide dit :
  • c'est une professionnel très noble. Vous donnez le sourire aux enfants je trouve cela très louable
Audrey dit :
  • merci beaucoup :)
Pour clôturer l'échange, Leonide me dit qu'il a besoin d'informations me concernant : nom, adresse du domicile et du travail, téléphone, statut matrimonial et copie de la carte d'identité. Je lui réponds qu'il aura tout ça dans la semaine, mais je lui demande en échange une copie de sa propre pièce d'identité : il n'y a pas de raison que je sois la seule à me farcir la création de faux papiers.

Avec une amie qui se prend au jeu, nous concevons une fausse carte d'identité et, par la même occasion, un personnage dont l'existence est remplie de références aux jeux Resident Evil et Mass Effect. La photo est celle d'une actrice anglaise : tout est bidon et suffisamment énorme pour que la supercherie soit découverte à la moindre recherche Google, mais il me semble essentiel d'user de très grosses ficelles pour mesurer l'attention de mon collaborateur. Côté vie privée, je possède un poney club avec mon mari qui n'est pas du tout au courant de la situation - car je suis très discrète comme on me l'a demandé. Du coup, je donne un numéro de fixe bidon en expliquant qu'il vaut mieux me joindre sur mon portable (un numéro mobicarte de secours) pour que mon mari ne décroche pas inopinément.

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Une carte d'identité très crédible (Merci à Mégane pour le coup de main !)

Alors que je m'apprête à envoyer tout ce background aussi subtil qu'un bulldozer, mon interlocuteur me transmet une copie de son passeport : à ce moment-là, je commence à me demander pourquoi je fais autant d'efforts pour être crédible si c'est pour recevoir des faux pareils.
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Il ne manque plus que le Comic Sans

Réponse à tout

En quinze jours de contact avec Me Leonide Da Silva, a aucun moment ce dernier ne m'a parlé argent... mais je me doute que ça ne va pas tarder. La fausse carte d'identité que je lui ai envoyée était un peu grossière sur le recto, mais visiblement, suffisamment crédible pour que l'on continue.

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Leonide me confirme que la machine est lancée auprès de la Dexia et me fournit, pour me le prouver, un nouveau document PDF censé être une copie de celui envoyé à la banque belge (ci-contre).

Je remarque qu'à aucun moment mon « nom » n'apparaît sur le document, et je suis un peu déçue, avec toutes les informations envoyées à mon avocat préféré, j'aurais aimé recevoir un courrier un peu plus personnalisé. Heureusement, quelques jours plus tard, mon ami fait une jolie bourde... En signant avec un autre nom que celui habituellement utilisé : Atchade. Je saisis la balle au bond pour essayer de le piéger, d'autant qu'une petite recherche sur Internet me permet de mettre la main sur une arnaque, très similaire à celle dont je suis la « victime », dans laquelle est impliqué un cabinet d'étude Atchade. Leonide serait-il bipolaire ?

Mais Maître Leonide a des explications pour tout, même si c'est bancal : « Merci pour votre réponse, il ne s'agit pas d'un autre maître mais c'est toujours moi on m'appelle aussi ATCHADE, le nom avec lequel j'ai grandi même si cela ne figure pas sur mon passeport. J'ai l'habitude de l'utiliser. J'avais donc oublié que ne le connaissiez pas. toute mes excuses alors. Dorénavant vous pouvez également m'appeler ATCHADE ou DASILVA mais avec vous DASILVA est mieux ». J'ai un peu l'impression qu'il panique. Ça ne sera pas la dernière fois où je recevrai un mail donnant l'impression d'être rédigé « à la va-vite », comme si, pour une fois, il ne s'agissait tout simplement pas d'un copier-coller. Quoi qu'il en soit, mon correspondant en profite pour m'annoncer la nouvelle que j'attends depuis longtemps : le dossier est actuellement en bonne voie à la banque, mais pour le valider, il va falloir payer.

Faites sauter la banque

Pour me parler des « frais » - le mot « argent » n'est pas employé, jamais - Maitre Leonide insiste pour m'avoir au téléphone... mais j'oublie souvent mon second mobile chez moi et rate ses deux appels. Il me laisse des messages où il m'explique le caractère urgent de ce qu'il a à me dire. Je lui envoie un mail en lui expliquant qu'il est plus facile pour moi de parler sur MSN, pour être discrète.

Leonide dit :
  • revenons à notre affaire proprement dite: pour l'établissement, l'enregistrement au tribunal et au service des domaine, le courrier express, nous devons assumer les frais. Nous avons donc partagé les responsabilités: 35% chacun pour Mr Kilabongo et moi et vous 30%
Audrey dit :
  • d'accord
  • avez-vous une idée de la somme ?
Leonide dit :
  • on a fait le compte ensemble hier : 2500EUR TTC ce qui amène votre part de responsabilité à 750EUR.
Une somme qui, selon mon avocat préféré, englobe 4 « documents primordiaux » et des timbres fiscaux. Quant au paiement, il est à effectuer d'une manière assez étonnante pour un avocat :
Leonide dit :
  • étant donné que c'est une petite le versement est fait à notre service comptable par mandat cash: western union ou moneygram. Nous ne recevons que les sommes supérieures à 5000EUR par virement bancaire
Nous y voilà : le paiement par Western Union, grand classique chez les escrocs du Net, est l'un de leurs signes distinctifs. Réaliser une transaction par le biais de ce service ne nécessite aucune coordonnée bancaire, puisqu'elle consiste à transférer directement de l'argent liquide par le biais d'un mandat, en indiquant seulement les coordonnées de l'expéditeur : il ne s'agit pas d'un paiement, mais d'un transfert. Ca ne laisse pas de trace, il n'y a donc pas de preuve et il est impossible d'en demander l'annulation, à l'inverse d'un quelconque virement bancaire. Une preuve supplémentaire que je me trouve les deux pieds dans une charmante escroquerie.

Face à un point crucial dans mon histoire - car je ne compte bien évidemment pas payer - je décide de me jouer de mon ami du Bénin, pour voir ce qu'il est prêt à faire pour toucher son argent. Je lui explique donc que, de mon côté, je n'ai aucun souci pour payer, mais qu'étant donné la somme, je dois absolument en parler à mon mari. Une décision qui ne plait pas vraiment à mon interlocuteur : « Concernant le fait que vous manifestiez le désir d'en parler à votre mari, je ne suis pas du tout contre seulement il ne faudrait pas qu'il vienne tout gâcher en arguant avec des explications qui ne tiendront pas la route car nous ne recherchons pas quelqu'un qui va nous mettre des bâtons dans les roues mais plutôt celui qui nous aidera à réussir cette affaire et c'est d'ailleurs pour cela que nous avons choisi une femme car les femmes sont réputées plus dignes de confiance dans les affaires que les hommes. »

Je lui explique néanmoins que je ne peux pas retirer autant d'argent sans le dire à mon mari et que j'ai donc besoin de son consentement. Je sollicite donc l'aide de mon interlocuteur, en lui demandant de m'apporter des preuves concrètes de l'existence de l'affaire, mais également de l'existence de ses acteurs, à savoir lui-même et Franck Kilabongo.

Quand je lui demande de m'envoyer par email des copies des documents fournis à la Dexia, Leonide panique. « N'oubliez pas qu'on vient de démarrer » me précise-t-il, m'expliquant ensuite que l'absence de documents à mon nom vient du fait qu'il a « directement transmis la copie de CIN et coordonnées ». En insistant un peu, il accepte de rédiger un document : « Si vous voulez je vous délivre une attestation certifiant que je vous ai délégué pour nous représenter ». Je lui dis que ça fera l'affaire, mais je lui réserve déjà un autre rebondissement. De son côté, il me demande de lui envoyer une copie d'un justificatif de domicile : je lui envoie une facture EDF allégrement trafiquée qui concorde avec les coordonnées présentes sur ma fausse carte d'identité.

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Je lui demande également des détails sur la transaction Western Union : il m'explique que son comptable fera l'intermédiaire. Pour gagner du temps, je lui demande de me fournir ses coordonnées : il refuse. « Croyez-vous pas qu'il faudra attendre que votre mari accepte d'abord?? » me lance-t-il sur MSN, tout en me demandant « quand allez-vous pouvoir me dire la décision de votre mari? ». Leonide est de plus en plus pressé d'en finir, et ne veut pas me donner d'informations sur son comptable avant d'être certain : et pour cause, il ne pourra alors pas mentir sur le nom et l'adresse du destinataire de la transaction.

Je reçois quelques heures après mon document par mail. Incohérent et riche en fautes (ci-contre), il témoigne de l'empressement que mon interlocuteur ne parvient plus à dissimuler et me délivre une petite victoire : je fais ramer mon escroc. Mais ce n'est pas encore l'objectif que je désire atteindre avant d'en finir.

Mon trophée

Je réponds alors rapidement à Leonide : mon mari est convaincu par l'affaire, mais veut des preuves concernant l'existence de l'avocat et de Franck Kilabongo. Je propose donc à Leonide de se faire prendre en photo avec Franck dans son bureau pour prouver son existence. Et pour m'assurer qu'il s'agit bien d'eux, je demande à ce qu'ils portent un écriteau sur lequel est marqué « Poney Club HIC » - jeu de mots pour « Poney Clubic ».

Mon objectif est ici d'obtenir ce que les « piégeurs d'escrocs » considèrent comme un trophée : sur Internet, des communautés rassemblées sur des forums se sont en effet fait un passe-temps de l'arnaque d'arnaqueurs. L'un des objectifs est, lorsque l'escroc est prêt à tout pour obtenir son argent, de lui demander une photo de lui dans une situation rocambolesque. Le site 419eater en recense des centaines, dont certaines sont particulièrement hallucinantes... ma demande à moi est particulièrement soft... ce qui ne m'empêche pas de recevoir un mail incendiaire de la part de Leonide.

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Leonide voit rouge !

« Qui ne risque rien n'a rien » : voilà de quelle façon on peut résumer cette soufflante de la part de mon interlocuteur, qui me reproche clairement d'avoir été honnête avec mon mari. Néanmoins, même s'il semble énervé et qu'il le souhaite pas se prêter au jeu, il va demander à son associé de le faire : une situation qui tend à confirmer mes soupçons quant au fait qu'il n'y a qu'une seule personne qui joue tous les personnages. Même piégé, Me Leonide trouve encore une pirouette pour justifier qu'un seul des deux associés se prêtera au jeu. Petit bonus : le post-scriptum en rouge, où le ton autoritaire tranche avec le « je vous prie » judicieusement placé, qui me rappelle un peu mes lointaines parties de Bioshock...

Reste que, quelques jours après, j'ai reçu ça :

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Actor Studio, sort de ce corps !

Tout y est : l'écriteau « Poney Club HIC » fabriqué à la hâte, le globe terrestre en plastique, ce cher Franck surpris par l'appareil photo alors qu'il est en pleine rédaction sur son ordinateur dont l'écran est éteint... Et voilà, je l'ai, mon trophée.

Dans mon entourage, les gens m'encouragent à aller plus loin... mais impossible sans payer mon escroc. A ce stade, je comprends que c'est la seule façon de continuer, mais c'est un engrenage dans lequel je refuse de mettre le doigt, pour d'évidentes raisons.

En cherchant sur Internet, il est très simple de découvrir des témoignages de gens s'étant fait avoir via des méthodes similaires, parfois ruinés après avoir répondu à un mail ou encore via un site de petites annonces. Pas vraiment besoin d'aller plus loin pour mettre en avant la mécanique utilisée dans ce genre d'arnaque : je décide donc d'arrêter là avec Leonide. Pour ce faire, je lui explique que mon mari refuse de poursuivre s'il ne reçoit pas également une photo de l'avocat. Visiblement au pied du mur - et attendant sans doute un revirement de ma part - Leonide décide de mettre fin à notre « partenariat »... et se trompe une fois encore dans sa signature :
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Non sans une certain tristesse, j'en déduis que, non, je ne deviendrai pas millionnaire en 2012.

Après l'arnaque, le bilan... et la réflexion

Au final, à part du temps et pas mal de mensonges, cette aventure ne m'a rien coûtée... mais après ça, je ne peux m'empêcher de me demander comment des gens peuvent en venir à donner des sommes folles à des inconnus sur Internet. Si je conçois que la crise, les promesses de fortune et le désespoir de certains internautes peuvent sans doute les pousser à croire que le rêve peut devenir réalité, j'imagine qu'il y a autre chose derrière tout ça.

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Pour en savoir plus, je demande au professeur Robert Vincent Joule, chercheur à l'université d'Aix-Marseille et expert en techniques de manipulation - il est, à ce titre, le co-auteur de l'ouvrage Petit traité de manipulation à l'usage des honnêtes gens - de lire les notes de mon enquête. Pour lui, pas de doute : ce type d'arnaque s'appuie sur des techniques de manipulation « scientifiquement démontrées » : « Tout commence par ce que les chercheurs appellent un amorçage ou « low-ball » : on amène une personne à prendre une première décision a priori très intéressante, ici répondre à un mail dans le but d'obtenir une importante somme d'argent. Il va sans dire que le mail reçu semble avoir été rédigé par quelqu'un de confiance. »

Puis vient l'étape suivante où la personne doit réaliser certaines actions, comme donner des infos sur lui-même, des documents, prendre des rendez-vous... « Ces actes, que les chercheurs appellent des actes préparatoires, pour anodins qu'ils puissent paraître, ont pour effet d'engager chaque fois un peu plus la personne. Elle va ainsi se retrouver, actes préparatoires après actes préparatoires, prise dans un engrenage dont il va lui être de plus en plus difficile de sortir » m'explique Robert Vincent Joule. Ce qui amène à la finalité de l'arnaque : « Lorsqu'on va lui demander de donner de l'argent pour que le processus puisse se poursuive la personne aveuglée par le sentiment d'avoir « trop investi pour abandonner » aura tendance à faire ce qu'on lui demande. Evidemment, en pure perte et la manipulation, hélas, aura réussi » conclut le professeur.

Des explications qui, couplées à mon expérience, raisonnent en effet comme une évidence. Avec une vision plus « judiciaire », le lieutenant-colonel Eric Freyssinet, chef de la division de lutte contre la cybercriminalité à la Gendarmerie nationale, m'explique que les risques dans ce type d'affaires ne concernent pas uniquement l'aspect financier. Après m'avoir expliqué que certains détails ne trompent pas - comme les demandes de transfert d'argent par des services de type Western Union, il met en avant les risques entraînés par l'envoi d'informations et documents personnels, « qui peuvent être réutilisés pour usurper votre propre identité dans d'autres escroqueries. » Par ailleurs, « On peut se retrouver complice d'infractions, notamment lorsqu'on croit être recruté pour un travail légitime qui consisterait à recevoir des sommes d'argent sur son compte bancaire ou des colis postaux et à les réexpédier. » Durant mes pérégrinations virtuelles, voilà un élément auquel je n'avais pas pensé.

Je demande également au chef de la DLCC pourquoi, à son avis, mes montages globalement grossiers n'ont pas attiré l'attention de mon interlocuteur : « L'objectif n'est pas forcément de vous identifier et d'avoir confiance en vous, mais d'obtenir de l'argent. Une fois l'argent transmis par un moyen tel que Western Union, de toutes façons les sommes liquides sont entre leurs mains et intraçables. » En somme, « Prends l'oseille et tire-toi ». Ca tient la route.

En cas d'arnaque avérée, que faire ?

Connaître les mécaniques d'une arnaque, c'est bien, notamment pour éviter de se faire avoir. Mais quand le mal est fait, quand on découvre le pot aux roses trop tard, que faire ? Eric Freyssinet donne quelques conseils : « Si l'on a effectivement été victime, présenter rapidement une réclamation auprès de sa banque ou du prestataire gérant la transaction. Dans certains cas, les sommes d'argent pourront être bloquées avant d'être arrivées à destination. Dans tous les cas demander auprès de ce prestataire un maximum d'informations sur la transaction pour aider ensuite les enquêteurs. » On peut également « déposer plainte avec tous ces éléments auprès de la brigade de gendarmerie, le commissariat de police de son domicile ou en écrivant au Procureur de la République de son tribunal de grande instance. Les dépôts de plainte de victimes en France permettent d'apporter des éléments concrets aux autorités judiciaires et policières du lieu de résidence de l'escroc qu'il soit localisé en France ou à l'étranger. » Le lieutenant-colonel rappelle également l'existence d'Info Escroqueries, qu'il est possible de joindre au 0811 02 02 17.«  Le numéro Info Escroqueries géré par l'OCLCTIC reçoit énormément d'appels concernant ce type de faits de la part de particuliers qui se renseignent ou en sont victimes. » me précise-t-il, ajoutant enfin qu'« il est difficile au niveau statistiques de séparer les différents types d'escroqueries » et, par conséquent, impossible de déterminer combien d'internautes en sont victimes chaque année.

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Et pour conclure...

Quelques semaines après la fin de l'enquête, Leonide m'a recontacté sur MSN, où je n'avais pas supprimé son contact. Déçu de ma décision de tout laisser tomber - « ça ne se fait pas entre gens de bons sens », il m'explique que cette dernière lui a causé des ennuis et qu'il n'est « pas facile de tout recommencer à zéro et d'accorder à nouveau sa confiance à quelqu'un d'autre. » Après une dernière discussion, nous mettons un terme définitif à notre relation mais Leonide, face à la perte d'une transaction de plusieurs milliers d'euros, reste finalement beau joueur :

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Difficile de trouver meilleure conclusion.
Audrey Oeillet
Par Audrey Oeillet

Journaliste mais geekette avant tout, je m'intéresse aussi bien à la dernière tablette innovante qu'aux réseaux sociaux, aux offres mobiles, aux périphériques gamers ou encore aux livres électroniques, sans oublier les gadgets et autres actualités insolites liées à l'univers du hi-tech. Et comme il n'y a pas que les z'Internets dans la vie, j'aime aussi les jeux vidéo, les comics, la littérature SF, les séries télé et les chats. Et les poneys, évidemment.

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