Longtemps promis pour juillet 2020, le premier décollage du lanceur est repoussé au moins jusqu'à mi-2022. Alors même que les critiques se font pressantes en Europe, plusieurs essais indispensables sont encore en préparation… Mais que reste-t-il à faire pour mettre en service Ariane 6 ?
Sept ans après la signature de l'ESA avec les industriels, l'aventure n'est pas terminée.
Ariane 6, encore au premier plan ?
Il a quelques années, Ariane 6 était un sujet régulièrement évoqué. Pour les contrats industriels, pour l'inauguration des nouveaux outils de production et de tests, pour le chantier impressionnant réalisé en Guyane sur l'Ensemble de Lancement ELA-4. Ariane 6 était la réponse attendue au changements imposés par les Américains et le NewSpace, offrant une réduction des coûts de moitié et une compétitivité nouvelle grâce à ses composants communs avec sa cousine Vega C. Mais depuis 2020, depuis que la date du premier décollage a « glissé » en 2022, place à un relatif silence. Lassés des questions sur la réutilisation, des comparaisons avec SpaceX ou des retards qui pénalisent la signature de nouveaux contrats, les communicants parlent déjà de l'après : de l'évolution du lanceur, de son futur successeur et de ses moteurs d'une autre génération.
Pourtant, dans l'Hexagone comme en Guyane, des centaines d'employés travaillent d'arrache-pied sur la mise en place du lanceur. Et malgré des retards conséquents, les chantiers progressent, étape après étape.
Le bord et le vol au rapport
On discerne plusieurs points bloquants sur le « dossier Ariane 6 » aujourd'hui. Le premier est directement lié au matériel de bord, c'est-à-dire le lanceur lui-même. Citons notamment le deuxième étage. Le 29 janvier dernier, l'ESA et Arianegroup communiquaient largement sur le départ de l'exemplaire de test vers son banc d'essai en Allemagne à Lampoldshausen. Installé dans le bâtiment P5.2 flambant neuf, l'étage devait allumer son moteur Vinci et simuler « au plus près » un futur vol pour placer un satellite en orbite. Pourtant, plus de six mois après son arrivée au centre en Allemagne, l'étage en question n'a toujours pas été mis à feu. Un point critique, car il faut valider les travaux pour certifier que les deux autres exemplaires d'étages produits depuis sont prêts à voler. L'étage central, qui lui est assemblé en France, souffre peu ou prou des mêmes retards. Résultat : la première Ariane 6 à partir pour un assemblage en Guyane et qui servira aux essais combinés, n'a pas encore pris le bateau.
Les essais combinés, c'est la « répétition générale » de tous les éléments constituant une campagne de vol, jusqu'à des essais de mise à feu sur le site de lancement. Pas une mince affaire, et malgré les nombreuses simulations, les articles de test et les essais mécaniques qui ont pu avoir lieu jusqu'ici, les essais combinés dureront plusieurs mois (même si tout va bien). Il faut dire qu'il ne suffit pas d'assembler Ariane 6, de la mettre à la verticale puis d'appuyer sur un bouton : tous les équipements de l'ELA-4 sont neufs et bon nombre d'entre eux n'ont pas encore subi toutes les contraintes liées à un décollage. C'est le cas par exemple des deux caissons MANG (Moyen d'Avitaillement Nouvelle Génération) sur la table de tir. D'énormes équipements de dix mètres de haut et de plus de 100 tonnes qui alimenteront le premier étage en ergols et seront capables de le purger. Installés ce printemps, les caissons MANG et les bras cryogéniques qui se rétracteront au moment du décollage (beaucoup plus imposants que ceux d'Ariane 5) fonctionnent bien, même si une pièce d'interface avec Ariane 6 a dû être redessinée après de récents essais.
De gros essais à venir sur l'ELA-4
Toutefois, ces grands équipements n'ont pas pu être totalement testés sur le lieu de leur fabrication par Latesys à Fos-Sur-Mer, ni pour l'instant en Guyane. Il reste à leur faire subir le « choc thermique » des ergols à très basse température : de l'Azote d'abord pour tester les canalisations, puis les réseaux Oxygène et Hydrogène liquide (-252 °C). D'abord dans des essais statiques pour vérifier qu'il n'y ait pas de fuite et que les équipements sont conformes, puis une phase dynamique avec notamment la déconnexion des interfaces dans des compte à rebours simulés.
Ces tests devaient avoir lieu cet été, mais sont eux aussi retardés à cause des canalisations. Posées dans des conditions difficiles les années précédentes, ces dernières doivent être d'une propreté intérieure irréprochable, ce que le chantier n'a pu garantir malgré le stockage et les attentions portées lors de la pose. Boue, poussière, grains liés à la soudure… Les contaminations possibles sont nombreuses et exigent dès lors un nettoyage complet. Mais l'opération est difficile et malgré des ennuis du même genre lors des anciens travaux Ariane 5 et Soyouz au Centre Spatial Guyanais, elle a dépassé le planning initial.
D'autres éléments sont, eux, en attente après leurs essais réussis. C'est le cas des demi-coiffes, qui ont au printemps été rejointes pour encapsuler un satellite factice, et qui seront amenées en temps utile jusqu'au site de lancement grâce à un nouveau véhicule autonome UCT (Upper Composite Trailer). Ici, les outillages sont d'ores et déjà qualifiés, ainsi que les modifications sur le bâtiment qui accueillera les satellites avant leur dernier voyage sur Terre. C'est aussi le cas depuis un peu plus longtemps pour d'autres systèmes sur le site ELA-4 comme le portique, les différents systèmes de déluge ou les équipements qui serviront à l'assemblage du lanceur. Et d'autres essais encore moins visibles, que ce soit par le grand public ou par les équipes sur place ont lieu actuellement au CDL (centre de lancement) à environ 4 kilomètres du pas de tir.
Les équipes travaillent en particulier sur les logiciels qui vont gérer l'activité chronologique des tirs et raccorder les activités de l'ensemble de lancement avec le centre de contrôle général, la fameuse salle Jupiter… Des travaux qui ne doivent pas avoir lieu trop tôt car le cahier des charges a beaucoup évolué, ni trop tard pour ne pas bloquer le reste du chantier.
Le plus important des essais combinés sera pour plus tard
S'il reste bien sûr la question du « quand » (les plannings sont bien différents entre les officiels, ceux annoncés à demi-mots et ceux des équipes techniques), celle du « comment » est intéressante également. La campagne d'essais combinés devrait durer environ six mois… Si tout se passe bien. Les personnels sur place se préparent déjà à des heures supplémentaires ! Après leur arrivée par bateau (pas encore le très grand roulier à voile Canopée, il n'est pas encore en service), l'étage principal et l'étage supérieur destinés aux essais combinés seront amenés au Bâtiment d'Assemblage Lanceur. Ils y seront assemblés, et les équipes auront pour la première fois l'occasion de travailler avec le « vrai » matériel, puisque les essais précédents utilisaient des maquettes structurelles.
Une fois complet, en route en ligne droite pour la table de lancement ! Une fois à la verticale, Ariane 6 sera équipée pour la mesure d'environ 1 000 paramètres en temps réel. Quatre boosters auxiliaires lui seront alors attachés (ce sont des maquettes inertes, car les vrais boosters à ergols solides ne sont utilisables que pour le vol) pour disposer d'une configuration « Ariane 64 » complète une fois que la coiffe sera elle aussi assemblée au lanceur. A ce moment-là, on peut espérer une grosse communication sur les essais combinés, car pour la première fois, une Ariane 6 sera complète sur son site de lancement, et le portique sera reculé comme en situation réelle.
3, 2, 1, allumage vulcain !
Cela étant, on arrivera à la partie dangereuse des essais combinés, alors pas question de faire prendre trop de risques à des coiffes qui - elles - sont des vraies : le composite supérieur sera démonté et quittera l'ELA-4 pour les cinq grands essais dynamiques. Les équipes vont alors réaliser cinq campagnes complètes de compte à rebours en situation réelle, avec remplissage des réservoirs. La première sera stoppée à T-0, avant l'allumage du moteur vulcain, simulant une annulation automatisée. Une fois les données déchiffrées et d'éventuelles corrections appliquées, ce sera l'heure du « green run » à la mode guyanaise ! Après un nouveau compte à rebours, cette fois l'étage principal d'Ariane 6 sera mis à feu sur son site de lancement, pour une durée significative de plusieurs minutes, grâce à des dispositions spéciales pour cet essai en particulier. Ce deuxième test est considéré comme le plus important aujourd'hui, les trois suivants étant plus ou moins une réédition du compte à rebours dans des conditions dégradées (météo contraignante, soucis logiciels, aléas techniques).
2022 arrive en courant
Ce n'est qu'une fois les essais combinés terminés que la première campagne de lancement Ariane 6 pourra prendre place… et encore ! En effet, il faut repasser par le bâtiment d'assemblage pour pouvoir démonter correctement l'exemplaire servant aux essais. Inévitablement, ce décollage inaugural n'aura pas lieu en seulement quatre semaines, durée que prévoit ArianeGroup pour les futurs lancements de la fusée européenne. Pour l'instant, Arianespace (qui vend les services de lancement) n'a pas fait de nouvelle annonce concernant le premier vol. Il y a quelques années, OneWeb devait profiter de conditions avantageuses et placer une nouvelle « grappe » de satellites avec Ariane 6, mais il n'est plus question de ce contrat depuis la faillite et le rachat de la constellation orbitale en 2020. Les industriels espèrent de nouveaux contrats commerciaux lorsque les capacités et la fiabilité du lanceur auront été démontrés, ce qui pourrait prendre un peu de temps.
Officiellement, la date de décollage d'Ariane 6 est encore fixée à la fin du deuxième trimestre 2022. Mais au début de l'été, le directeur de l'ESA, Josef Aschbacher, expliquait déjà qu'il espérait un premier vol « avant la ministérielle », qui aura lieu en novembre/décembre de la même année. Un horizon qui se rapproche…