Les premiers appareils numériques capables de produire des images de qualité sont apparus très récemment. L'un des précurseurs, le reflex Nikon D1 et son capteur 2,7 Mpixels, sorti en fin 1999, a été aussi le premier à séduire bon nombre de professionnels de la photo. Non pas pour produire de grands reportages dans les magazines utilisant un papier glacé - la qualité du capteur n'est toujours pas suffisante - mais plutôt pour réaliser des photos destinées aux catalogues ou encore pour la reproduction dans des magazines «standards » en demi page ou pleine page. Cela s’accompagnait toutefois de compromis, car il fallait accepter une augmentation de la focale due à une surface moindre du capteur par rapport au film argentique.
Depuis cet été, le D1 est sorti dans une nouvelle version "D1X", doté d'un capteur de 5 Mpixels : la résolution devient franchement intéressante. Seul le prix reste prohibitif, même pour des professionnels, à plus de 50 000 francs, l’amortissement reste difficile.
Du côté du grand public
Parallèlement, les capteurs mégapixels font des apparitions de plus en plus nombreuses dans les compacts destinés au grand public. Même pour des appareils à moins de 3000 francs, la résolution commence à être suffisante pour égaler la qualité d'un négatif, à condition de rester dans des agrandissements de 13x18, voir 20x30 ou parfois même 30x40 maxi. Pour cet article, nous avons fait des essais en comparant un Mustek MDC 1500 avec un D1 et nous avons constaté que pour une utilisation familiale, le Mustek, appareil pourtant "basique" à capteur 1,5 Mpixels, peut très bien faire l'affaire, même s'il fausse un peu les couleurs et reste malgré tout un peu onéreux (environ 2700 francs, compte tenu de l'absence d'un vrai autofocus).La voie est donc ouverte pour un "remplacement" de l'argentique. Dans dix ans, nous trouverons certainement ridicule l'idée de faire des photos sur ce support chimique qu'est le film argentique… d’autant que celles-ci finissent dans un scanner pour être numérisées en vue d'une utilisation multimédia…
Still Alive !
Dans l’immédiat, cependant, l’argentique est toujours bien vivant, et cela pour de nombreuses raisons. Par exemple, la résolution des capteurs n'égale toujours pas celle du film: un négatif ou une diapo en format 24x36, scanné avec 2700 DPI correspond à un capteur d'environ 3800 points sur 2500. Scanné à 4000 DPI avec les scanners de la nouvelle génération, le film argentique équivaut même à un capteur de plus de 20 Mpixels ! Bien sûr, ce calcul n'a aucun sens si l'on scanne un film négatif bas de gamme, granuleux et aux couleurs fades. Mais si l'on utilise un film diapo du type Fujichrome Velvia, le piqué et surtout le rendu des couleurs reste inégalé. Il nous faut également considérer l'autonomie.
Dans la photo numérique, plus grande est la qualité d'image, plus il faut des mégas de stockage. Un film argentique, qu'il soit en négatif ou en positif, est toujours en résolution maximale ! Un capteur de 3,3 Mpixels comme celui du compact Nikon Coolpix fournit, lorsqu’il est réglé sur sa qualité maximale, des fichiers qui pèsent près de 10 Mo par photo.
Pour le moment, les moyens de stockage adéquats comme les cartes Compact Flash de grande capacité ou les fameux Microdrive d'IBM restent assez chers. D'ailleurs, les cartes livrées avec la plupart des appareils numériques restent ridiculement petites, ne permettant souvent pas de stocker plus de six images en haute définition ! Mais c'est surtout la consommation électrique qui dégrade l'autonomie du photographe numérique : avec un vieux reflex mécanique , on
peut faire des milliers de photos d'excellente qualité en consommant juste une petite pile pour le posomètre. Avec les appareils numériques actuels, l'autonomie se mesure en quelques dizaines d'images avant le changement des piles ou la recherche d'une prise secteur pour le rechargement des accus !
Stockage et tri
Le stockage des images finies s'avère assez facile lorsqu'on travaille avec des diapos en planche Panodia : il est facile de feuilleter des milliers d'images en quelques minutes. En revanche, cette méthode de classement reste assez coûteuse… Pour les photographes travaillant en négatif, le stockage devient un peu plus compliqué : il n'est pas toujours aisé de retrouver le négatif correspondant à un tirage.
En numérique, le photographe peut avoir une réelle tendance à prendre trop de clichés et à amasser une quantité d'images trop importante à gérer, puisque "la photo est gratuite et on peut l'effacer". Une raison de plus de s'organiser rigoureusement dans les deux cas. En matière de stockage, il est vrai que si l'on ne stocke ses photos numériques uniquement sur disque dur sans faire une, voire plusieurs copies sur CD, les archives présentent un réel danger. En revanche, si l'on grave le contenu sur plusieurs CD en vérifiant la lisibilité du support, le risque paraît moindre par rapport au fil argentique dont les émulsions restent sensibles par exemple à l'humidité et à la moisissure. Le grand avantage du numérique réside dans la possibilité de dupliquer l'image à volonté sans aucune perte de qualité. Le photographe qui souhaite obtenir un agrandissement en 30x40 d'une photo peut sans aucune crainte envoyer une copie du CD au labo. Contrairement au négatif, en cas de perte de l'envoi, rien n'a définitivement disparu.
Dernier point à vérifier dans le cas des archives numériques : personne ne peut prédire la stabilité dans le temps des CD actuels... Contrairement à ce que l'on pourrait croire, le tirage par un labo restera assez intéressant : les imprimantes photo-réalistes n'égalent pas un tirage sur du vrai papier photo dans un labo spécialisé. Par ailleurs, compte tenu du prix des cartouches d'encre, ce ne sont pas non plus des considérations économiques qui devraient pousser le photographe à imprimer ses images lui-même. Malheureusement, le tirage immédiat à partir de support numérique dans des "mini-lab" ne s'est pas encore répandu partout : la grande chaîne "Photo Service" par exemple ne propose pas encore ce service dans ses filiales de province. Une autre possibilité peu onéreuse, l'envoi par Internet à des labos comme Picbull, donne des résultats assez bons, mais implique également un délai d'attente de deux jours minimum.
Numérique ou argentique ?
Dernier détail : le numérique reste très cher, si l'on considère la durée de vie du matériel. Un appareil numérique vendu cette année sera dépassé dans deux ans, et il ne vaudra presque plus rien sur le marché de l'occasion. Avec un vieux reflex des années 70, il est toujours possible de faire d'excellentes photos numérisées ensuite à 4000 DPI et agrandies à 50x60 cm ou plus.
En résumé: la photographie numérique n'atteint pas encore tout à fait la qualité de l'argentique, si le photographe ne dispose pas d'un budget de 50 000 francs minimum ! Cependant, dans certaines situations, l'appareil de 1,5 à 3,3 Mpixels peut même s'avérer plus performant que le film argentique. C'est notamment le cas de prises de vue à faible lumière ou en contre-jour, ou un bon capteur numérique peut gérer de plus grands contrastes. De plus, l'utilisateur peut choisir vue par vue la sensibilité de "son film". Pour le moment, il est donc trop tôt pour condamner l'argentique.
Mais la révolution est en marche, et le récent Minolta Dimâge 7 par exemple, avec son capteur de 5,5 Mpixels et son zoom correspondant à un 28-200 en argentique vendu à un prix inférieur à 10 000 francs, montre clairement que la fin du règne de la chimie est imminent. Les amateurs vont s'équiper massivement, les labos suivront en proposant des délais plus adaptés. Toutefois, pour les photographes experts et les professionnels, l'argentique restera encore d'actualité, et ce pendant quelques années.