Depuis le mois d'octobre 2003, il m'arrive encore d'avoir de véritables bouffées d'angoisse à l'idée que l'on puisse adapter l'ovalie au monde du jeu vidéo. Si vous ne devinez pas la cause de mes horribles cauchemars et de mes sueurs froides, un petit clic sur ce lien devrait suffire pour faire comprendre mon anxiété à l'idée de devoir tester un nouveau jeu de rugby. En effet, alors que même Electronic Arts et ses énormes moyens n'avaient pas réussi à retranscrire toute la finesse de cet élégant sport, comment Cyanide, petit développeur français de Région Parisienne pouvait-il espérer faire mieux ?
Evidemment, les connaisseurs ne manqueront pas de m'objecter que Cyanide n'est pas un débutant en la matière. S'ils sont sadiques, ces connaisseurs pourraient même enfoncer encore le clou en me rappelant que Cyanide, c'est tout de même la série des Cycling Manager. Trois volumes qui sont là pour attester de l'expérience acquise par la jeune équipe aussi bien dans le domaine de la simulation sportive que dans celui du management. C'est d'autant plus vrai que j'avais moi-même plutôt bien noté chacun de ces titres et pourtant rien n'y fait... Mes doigts tremblent encore au moment de saisir l'unique galette que contient le boîtier... Inouïe l'influence que peuvent avoir certains développeurs sur nous autres pauvres testeurs... Inouïe.
De Festina au traiteur intraitable !
Encore toute jeune, c'est donc avec sa trilogie Cycling Manager que Cyanide est parvenue à se faire un nom. En misant sur un sport populaire mais pourtant délaissé par le monde du jeu vidéo, la petite équipe avait créé la surprise et à chaque nouvelle version, elle parvenait à convaincre un public toujours plus nombreux au point qu'aujourd'hui, elle tente tout simplement de renouveler l'expérience avec Pro Rugby Manager. La parenté entre les deux jeux est d'ailleurs évidente au premier coup d'œil jeté sur l'interface. Au départ, Pro Rugby Manager permet de choisir parmi trois modes de jeu : "Carrière", "Match Simple" et "Multi-joueurs". Les deux derniers sont en fait très proches l'un de l'autre et restent bien moins complets que le mode "Carrière". Il est tout simplement question de jouer des matchs indépendants les uns des autres, en solo ou à plusieurs, via Internet ou en réseau local et en choisissant parmi un large éventail d'équipes et de compétitions. S'ils permettent de varier les plaisirs et d'affronter des adversaires plus coriaces que l'intelligence artificielle, ces modes de jeu constituent également une excellente première approche afin d'assimiler les finesses des matchs avant de se jeter dans le bain...Du choix de l'équipe dépend évidemment la difficulté du jeu : prendre Toulouse vous assure une partie très tranquille !
Une partie gestion très complète
... Et d'attaquer le "gros morceau" du jeu, son mode "Carrière". Classique des classiques, ce mode est ce que les fans du rugby attendent depuis longtemps : l'occasion de montrer au monde incrédule leurs talents de manager. Tout commence bien sûr par le choix de son équipe ce qui nous permet déjà d'apprécier la richesse de la base de données du jeu. Au hasard des hémisphères et des pays, c'est ainsi quelques 120 clubs qu'il sera possible de prendre en main. Des indispensables Top16 et ProD2 français en passant par la Zurich Premiership anglaise (NDLR : vive le mécénat), la Gaelic League ou la SA Province Cup sud-africaine, on peut globalement dire que c'est assez complet. Tournoi des Six Nations oblige, on retrouve même le timide championnat italien ! Ce choix crucial effectué, il est possible de découvrir l'interface extrêmement sobre du jeu. A la manière des Cycling Manager, Pro Rugby Manager propose un "plan de travail" extrêmement dépouillé : au centre on retrouve le statut du club avec les prochains matchs ou les blessés par exemple et tout autour ont été placées les nombreuses icônes pour accéder aux différentes fonctions du jeu : finances, contrats, entraînements, staff technique, infrastructure et bien sûr effectif des joueurs.
Sur le papier, tout le nécessaire du parfait petit manager est en place. On retrouve de quoi gérer les contrats de nos champions, on décide de la promotion des cadets et des juniors, on envoie des recruteurs fouiner aux quatre coins du monde pour dénicher la perle rare et bien sûr on définit périodes de travail de fond / périodes de repos afin que les joueurs soient au top de leur condition physique au moment d'affronter entres autres les Saracens en Champions Cup ou Montferrand en Finale du Top16 ! Il faut également prendre soin de choisir un bon sponsor pour que les rentrées d'argent se fassent correctement et qu'ensuite, il soit possible de construire un terrain d'entraînement digne de ce nom, une salle de presse suffisamment vaste pour accueillir les journalistes du monde entier ou encore une école de rugby pour apprendre les fondamentaux aux petits jeunes. Pour un premier essai, Cyanide s'est fendu d'un module gestion pour le moins complet, bien sûr on peut imaginer quelques petites fonctions supplémentaires comme la définition du prix des places, la gestion de l'ensemble des sponsors, l'architecture / agrandissement du stade mais ces améliorations resteraient superficielles, l'essentiel est d'ores et déjà présent.
S'il est un domaine dans lequel Cyanide pêche en revanche régulièrement, c'est bien celui de la finition. Pro Rugby Manager est ainsi handicapé par de nombreuses lacunes "ergonomiques" et les concepteurs ont fait l'impasse sur tout ces petits trucs qui rendent la vie beaucoup plus agréable. Un exemple tout bête, lorsque vous êtes sur le marché des transferts : un clique sur la position permet de trier les joueurs en fonction de leur poste, mais à chaque fois que vous ferez un aller-retour sur la fiche d'un joueur, il faudra refaire ce tri de poste, le jeu ne conservant rien en mémoire. Cette remarque est valable lors de la sélection des joueurs, du renouvellement des contrats, en bref à chaque fois que vous aurez à faire des allers-retours entre la liste complète et les fiches détaillées de vos hommes. On regrettera également qu'il n'y ait pas quelques assistants pour nous rappeler qu'un joueur arrive en fin de contrat, pour nous permettre de définir l'importance de tel ou tel type de messages ou bien encore pour nous délester d'une partie du travail de manager (la gestion des entraînement ou des sponsors par exemple).
Gestion des infrastructures, des blessures ou des entraînements : on ne se tourne pas les pouces lorsque l'on est manager
Résolution des matchs très originale
Ces lacunes sont symptomatiques d'un manque de soin plus général que le premier patch déjà disponible ne corrige qu'en partie. Compte tenu des ressources tant humaines que financières de Cyanide, on reste évidemment plus indulgent mais il ne faut pour autant pas tout laisser passer. C'est ainsi qu'on regrettera les multiples bugs qui émaillent le jeu : disparition de joueurs transférés ou en fin de contrat (NDLR : de ta faute si tu as perdu Michalak), compétitions chamboulées après trois saisons, toujours plus ou moins les mêmes équipes européennes qui se retrouvent, erreurs dans la base de données, j'en passe et des meilleurs. Ces trop nombreux bugs, défauts d'interface ou simples bizarreries sont autant d'occasions de pester contre la machine, de râler contre les développeurs et de jurer que l'on ne nous y reprendra plus. Pourtant, après le énième plantage suite au chargement de deux sauvegardes de suite (NDLR : THE manœuvre à ne pas faire), on se surprend à relancer machinalement le programme, à cette fois choisir la bonne sauvegarde et à replonger dans les méandres du management. Car malgré ces défauts, Pro Rugby Manager a un charme indéniable.
A la manière de ce qu'il avait accompli avec Cycling Manager, Cyanide a en effet réussi à nous proposer un titre aussi lourdeau et pénible qu'il est attachant et original. En choisissant le rugby, Cyanide avait une idée derrière la tête, une idée qui change beaucoup de choses : la représentation 3D des matchs. Au moment de mettre le pied sur la pelouse, deux options s'offrent aux joueurs. Le mode "simuler le match", classique pour un jeu de ce genre, permet de calculer le résultat sans que le joueur ne puisse intervenir. A contrario, le mode "aller au match" permet une plus grande originalité. L'affichage passe ici à un mode 3D qui représente très correctement joueurs et stades. A noter que 13 stades ont été modélisés pour l'occasion et si le résultat est évidemment très loin de celui d'un FIFA 2004 par exemple, ça reste agréable. Le tirage au sort effectué, le match peut commencer et le joueur dispose alors d'un contrôle inédit sur son équipe. Pas question bien sûr de prendre en main chacun des joueurs à la manière de FIFA 2004, mais cela reste plus intéressant que ce que proposent les autres jeux de management. Ici, le manager donne plutôt de larges consignes tactiques.
Passage au centre, percussion, élargissement à droite ou sur la gauche sont autant de possibilités qui permettent d'avoir une influence bien réelle sur la rencontre sans pour autant prendre la casquette d'entraîneur-joueur. Il est également possible de donner des instructions plus précises à chaque joueur, mais après quelques essais, cette possibilité m'a semblée plus brouillonne et moins intéressante. Selon que l'on soit ou non en possession du ballon, les possibilités tactiques changent évidemment et la protection de l'en-but se fait au moyen d'une défense au centre, d'un rabattement des arrières pour contrer un coup de pied adverse, ou bien encore du fameux deuxième rideau visant à rapatrier un ou deux troisièmes lignes derrière la mêlée. Très amusant, ce mode de jeu permet d'éviter les résultats parfois étonnant du mode simulation mais s'avère hélas un peu exagéré au niveau des scores. Plus généralement, on touche ici à un autre défaut du jeu : sa relative facilité. Bien sûr il est toujours possible de prendre une petite équipe pour disposer d'un défi plus intéressant mais il est malgré tout dommage de ne pas pouvoir prendre Toulouse ou Montferrand sans que le jeu ne devienne une promenade de santé même pour quelqu'un d'aussi peu expérimenté que moi en rugby.
Peut-être un petit peu trop facile, la résolution des matchs en 3D n'en demeure pas moins passionnante
Conclusion
Mitigée. Voilà l'adjectif qui définit le plus parfaitement mon opinion à propos de Pro Rugby Manager... Mitigée et ce pour plusieurs raisons. Tout d'abord, on ne peut que regretter l'abondance de bugs et autres défauts de conception qui énervent passablement le joueur. De l'ergonomie largement perfectible, aux plantages lors du chargement des sauvegardes à la mauvaise gestion des transferts, Pro Rugby Manager est une véritable constellation de bugs qui ne laisse pas de doutes sur la sortie un peu précipitée du jeu. Il est toutefois indiscutable qu'elle devait coûte que coûte coïncider avec le Tournoi des Six Nations sous peine d'être un bide retentissant. Focus / Cyanide n'ont assurément pas les moyens de Microsoft ou Electronic Arts pour imposer leurs titres et le rugby n'est pas un sujet aussi porteur que le football. De fait, Pro Rugby Manager ne peut pas être comparé aux meilleures simulations de management que nous connaissons déjà comme le fameux L'Entraîneur (Championship Manager outre-Manche).Pourtant, Pro Rugby Manager dispose d'atouts absolument indéniables qui le rendent très attachant. Le contexte du jeu y est évidemment pour beaucoup et les amateurs de gestion que ce sport viril ne rebute pas seront heureux de se changer un peu les idées. Les possibilités en matière de gestion sont là et la profondeur de la simulation n'est pas feinte. Pour un premier essai, Pro Rugby Manager propose d'ailleurs une base de données très complète et un mode de résolution des rencontres tout simplement excellent même si encore trop facile. S'il n'est pas possible de conseiller Pro Rugby Manager à tous les joueurs, il n'est pas non plus possible de parler d'échec. A défaut de sortir le jeu de management de rugby ultime, Cyanide nous présente donc un premier essai déjà très prenant et plein de promesses pour l'avenir... N'oublions pas que les frères Collyer travaillent depuis maintenant 12 années sur leur petit protégé (L'Entraîneur) et que Rome ne s'est pas faite en un jour comme nous le dit le proverbe.
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