Gigabyte nous a conduits au coeur des 40 000 m² de son site de Nan-ping, à 45 minutes du centre ville de Taipei, pour une visite de ses unités de production de Cartes mères. Menée tambour battant par un responsable de production quelque peu anxieux de voir des journalistes désinvoltes évoluer au milieu de ses machines hors de prix, cette visite nous permet aujourd'hui de revoir avec vous quelques uns des processus qui interviennent dans la fabrication d'une carte mère. Les produits que vous voyez passer aujourd'hui sur les photos sont peut-être ceux que vous trouverez demain sur les linéaires de votre revendeur préféré.
Bienvenue chez Gigabyte
Premiers pas dans l'usine
L'usine qu'a choisi de nous faire visiter Gigabyte est la deuxième plus importante du groupe en termes de superficie (40 000 m²) et d'employés, puisqu'environ 1600 personnes y travaillent, de l'entretien aux chaînes d'assemblage en passant par la sécurité, la maintenance des machines ou la cantine. Les installations de Nan-ping sont réparties sur huit étages. Le dernier est réservé à l'administration et aux salles de réunion, alors que le rez-de-chaussée est consacré à l'accueil, au stockage et au service après-vente. Entre les deux se trouvent les espaces réellement consacrés à la production. Ici sont fabriquées plus de 450 000 cartes mères par mois, ce qui n'empêche pas l'usine de se consacrer à d'autres produits du groupe Gigabyte comme les Cartes Graphiques ou les cartes réseau.Accueil et distribution de chaussons
Préliminaire indispensable avant de pénétrer dans le saint des saints : revêtir d'harmonieux chaussons de feutre bleu clair protégeant les machines de la poussière contenue sous les semelles comme d'éventuelles décharges d'électricité statique. Second passage obligé, la cabine à air comprimé, ne pouvant contenir que quatre personnes au maximum, dans laquelle des jets d'air se chargent de décrocher des vêtements, des cheveux et de la peau les éventuelles impuretés pouvant interférer avec les machines. Une fois ces deux étapes franchies, il est enfin possible d'entrer dans le vif du sujet.
Une fois que le design de référence d'une carte mère est arrêté, sa production s'articule autour de trois grandes étapes, que nous aurons l'occasion de passer en revue.
- Lignes SMT (Surface Mount Technology) : préparation du PCB et assemblage automatisé des composants montés en surface
- Lignes DIP (Direct Insertion Process) : chaînes d'assemblage manuel des composants traversants sur les cartes mères
- Emballage et expédition
Chacune de ces étapes fait l'objet d'étages dédiés dans l'usine de Nan-ping, chaque étage pouvant contenir plus d'une dizaine de lignes de production où machines et employés travaillent de concert. Au sein de chaque ligne ainsi qu'au passage d'une étape à l'autre interviennent de nombreuses procédures de test. Certains demandent une grande précision et sont assurés par des machines. D'autres requièrent une intervention immédiate et font appel à des employés. Objectif : les processus mis en oeuvre lors de la production doivent garantir que chaque carte est entièrement fonctionnelle une fois qu'elle atteint son carton d'emballage.
Lignes automatisées SMT
Gigabyte ne produit pas lui-même le PCB de ses Cartes mères mais sous-traite cette activité à un autre fabricant. Rappelons que le PCB (Printed Circuit Board) est le circuit imprimé qui supporte l'ensemble des composants de la carte mère. Le fournisseur de Gigabyte traite vraisemblablement les commandes de nombre des concurrents de ce dernier, ce qui lui permet de maintenir des rythmes de production très élevés et d'abaisser significativement dans le même temps le coût de revient de ses produits. Nous n'avons pas pu savoir quel est ce fournisseur mais nous savons par exemple qu'Abit dispose d'un très important centre de production de PCB dans le centre de l'île de Taïwan.Préparation du PCB
Les PCB sont livrés à Gigabyte « prêts à l'emploi » : les pistes sont déjà inscrites sur la résine (époxy) qui compose les différentes couches du PCB et ces dernières sont prêtes à accueillir les différents composants électroniques nécessaires au bon fonctionnement d'une carte mère. Les composants peuvent être installés de deux façons différentes. Les éléments de taille importante, dits composants traversants, comme les ports PCI, les slots de mémoire, les ports ATA ou certains condensateurs sont enfichés au travers de trous effectués à l'avance sur la carte mère. D'autres généralement plus petits ou plus sensibles, dits composants montés en surface, sont soudés directement sur le PCB de la carte mère.Nous aurons les honneurs de la ligne numéro 7
Ces derniers sont assemblés sur le PCB sur les lignes de production SMT (Surface Mount Technology, soit assemblage en surface) qui sont presque entièrement automatisées. Seuls l'approvisionnement et certaines étapes de contrôle sont assurés par les employés, les machines se chargeant d'effectuer, à un rythme effréné, la préparation des cartes et le placement des composants. Les PCB sont tout d'abord chargés dans la chaîne par une machine qui se charge de les empiler puis de les distribuer à la suite de la chaîne, en commençant par une unité de nettoyage qui s'assure qu'aucun parasite ne subsiste à la surface des futures cartes mères. Précisions que chaque machine dispose de dispositifs de sécurité qui permettent d'arrêter l'ensemble de la chaîne au moindre problème. Ils prennent, comme partout, la forme de gros boutons poussoir rouges.
En cas de problème, ayez le réflexe du buzzer
Avant d'y placer des composants, il est nécessaire de préparer le PCB destiné à les recevoir, en appliquant à la surface de ce dernier de la soudure sous forme de pâte. Pour que cette dernière ne se répande que là où il est nécessaire qu'elle aille, une plaque de métal percée de trous correspondant aux emplacements prédéfinis est apposée sur le PCB. La plaque est ensuite nettoyée pour évacuer les éventuels résidus afin de garantir une application constante de PCB en PCB.
Un fois la soudure appliquée, les cartes pénètrent dans la machine suivante
Premiers composants et tests
Une fois convenablement préparées, les cartes reçoivent une première série de composants, dont l'emplacement du socket processeur. A l'exception de celui-ci, les pièces intégrées sont minuscules (souvent à l'échelle du millimètre) et seule une machine peut s'acquitter de cette tache en assurant une précision optimale dans les temps impartis. Plusieurs dizaines de composants sont intégrés, en quelques secondes, par un robot dont les différents bras font penser aux marteaux d'un piano tant ils s'abattent vite et avec précision sur les emplacements recouverts de soudure. Les composants sont chargés par des employés dans la machine par le biais de rouleaux évoquant des bobines de film entreposés non loin.Elles en ressortent équipées de leurs premiers composants
Les opérations évoquées ci-dessus sont en réalité effectuées deux fois, dans des machines similaires. Le premier passage s'occupe en réalité des quelques composants qui peuvent parfois prendre place sur la couche arrière du PCB d'une carte mère. Une machine se charge ensuite de retourner soigneusement les cartes pour que puisse être attaquée la préparation de la face supérieure. Pour cette dernière, différentes machines assurent le placement des pièces. Pour simplifier, disons que l'une s'occupe des composants les plus volumineux alors que la seconde se focalise sur les plus petites pièces. L'étape suivante est le passage dans un four, où des résistances font monter la température à plus de 300 degrés afin de faire fondre la soudure en pâte qui, une fois refroidie, fixera les composants et assurera les liaisons électriques.
Deux contrôles sont ensuite effectués en fin de chaîne, le premier par une machine et le second par un, ou comme ici, une employée. Elle utilise un modèle en carton qu'elle positionne sur le PCB de la carte pour visualiser très rapidement l'éventuelle absence d'un composant, et une loupe, pour vérifier la qualité des fixations ou la détérioration d'un composant.
Lignes DIP : assemblage manuel
Une fois validées, les cartes sont rangées dans des containers et dirigées vers un étage inférieur, pour passer sur les chaînes d'assemblage manuel (Direct Insertion Process) où elles se verront gratifiées de leurs divers mosfets, condensateurs et ports pour carte externe. Le passage d'un étage à l'autre se fait grâce à un système d'élévateurs automatisé qui traverse les huit étages de l'usine.Préparation et assemblage des composants
Les lignes DIP se présentent comme de longues chaînes le long desquelles les employés de Gigabyte (en majorité des femmes) disposent manuellement les composants nécessaires sur les Cartes mères qui défilent devant elles. Chaque ligne de production est destinée à l'assemblage précis d'un modèle de carte mère. Sur cette ligne, il revient à chaque ouvrier de placer entre deux et cinq composants sur la carte mère. Ici, les composants sont simplement enfichés au moyen des trous qui percent la carte mère. Pour certains de ses composants, il est préférable d'appliquer au préalable un peu de colle au moyen d'un pinceau, pour soulager les contraintes mécaniques des soudures.Nous ne voudrions pas que les slots DDR se détachent lorsqu'on retire une barrette ?
Sur ces chaînes, l'assemblage des composants n'a rien d'une sinécure. Les ouvriers peuvent ralentir une carte mère le temps de terminer leur travail mais ils retardent alors l'ensemble de la chaîne. En ces lieux où la productivité est le maître mot, de tels ralentissements sont évidemment malvenus. La vitesse moyenne de la chaîne est telle que les ouvriers ont le temps d'effectuer calmement ces mouvements qu'ils connaissent par cœur, mais la moindre erreur, le fait de faire tomber un composant ou d'avoir mal géré l'approvisionnement les forcent à ralentir le rythme général. Pour éviter d'en arriver là, une concentration exemplaire est de mise. Bon nombre des ouvriers présents sur cette ligne DIP ne nous ont même pas accordé un regard.
Vue d'ensemble d'une ligne DIP
La première partie de la chaîne est dévolue au placement des composants : socket processeur, condensateurs, ports PCI ou PCI-Express, connectique arrière de la carte mère, ports IDE ou SATA, slots pour la mémoire, etc. Chacun connaît l'emplacement exact des composants dont il a la charge et les mouvements s'enchaînent mécaniquement. A sa droite, chaque ouvrier dispose des réserves de composants nécessaires à sa journée de production. Il doit, entre deux cartes, s'assurer de déballer ces derniers et recharger ses bacs d'approvisionnement.
Précision et concentration sont les maîtres mots...
Une fois les composants enfichés sur la carte mère, les éléments suivants de la chaîne se chargent de vérifier le bon positionnement de ces derniers. A l'aide d'un petit maillet, ils frappent sur les composants les uns après les autres, dans le but de vérifier que tous sont bien correctement enfoncés dans leurs logements. Pour l'étape suivante, qui assure la fixation définitive des composants, il est en effet primordial qu'aucun ne soit placé de travers, ou qu'une patte ne soit pas correctement logée dans le trou censé l'abriter.
Sur certaines lignes, destinées aux cartes mères pour serveurs, des masses de caoutchouc sont placées sur les ports PCI ou les slots de mémoire DDR afin d'assurer le bon contact de ces différents pièces avec le PCB. Sur toutes les lignes, le Socket processeur est protégé et lesté pour éviter tout mouvement intempestif.
Ces poids assurent le bon déroulement de l'opération suivante
Et bien soudez maintenant !
Une fois assemblés, tous ces composants ne resteraient pas longtemps solidaires dans le boitier d'un amateur de Lan party s'ils n'étaient soigneusement fixés au moyen d'une soudure dite « soudure par vague » ou, en anglais dans le texte, « wave soldering ». Si l'assemblage est assuré par des mains humaines, la nature de la soudure par vague fait que cette opération se prête bien mieux à une exécution mécanique.Longue de trois ou quatre mètres, la machine qui gère la soudure des composants sur le PCB est traversée par le tapis roulant de la chaîne de montage, ce qui permet théoriquement de finaliser les cartes mères. Sans trop rentrer dans les détails techniques, le principe est le suivant. Une première couche d'apprêt est vaporisée sur la carte mère, avant que cette dernière ne soit chauffée grâce à des convecteurs. Cette période de chauffe a pour but d'éviter les éventuels chocs thermiques lors de l'application de la soudure. Portée à près de 300°, cette dernière se présente sous forme complètement liquide. Elle est appliquée par « vagues » et n'est retenue sur la carte mère qu'aux emplacements nécessaires, sur les pattes des différents composants.
Les cartes mères doivent ensuite être rapidement refroidies par une batterie de ventilateurs, afin de fixer les soudures et d'en garantir la qualité. Elles passent ensuite entre les mains d'une série d'ouvriers chargés d'effectuer un contrôle visuel des soudures et éventuellement d'en retoucher certaines à l'aide d'un fer à souder manuel. Une fois cette étape franchie, les cartes mères sont théoriquement prêtes à l'emploi, ce dont il va falloir s'assurer.
Refroidissement et vérification manuelle
Test, emballage et conclusion
Avant de rejoindre une troisième ligne, destinée à l'emballage des Cartes mères et la préparation de l'acheminement vers le monde entier, il est nécessaire de s'assurer du bon fonctionnement de ces produits grâce à une batterie de tests fonctionnels. Pour se faire, Gigabyte dispose d'une série de postes dédiés, équipés de tous les composants nécessaires au protocole de test. Comme dans le reste de l'usine, le maître mot est encore une fois ici la productivité. Difficile de tester si vite une carte mère chez soi...Parfois, une retouche manuelle est nécessaire
Portées par des chariots, les cartes arrivent rangées verticalement, rangées dans des mousses antistatiques. Un poste de test permet de jongler en permanence avec deux cartes. On installe la première et lance la batterie de tests. Le temps de ceux-ci, on installe la seconde carte et initie le protocole. Juste à temps pour vérifier la première, valider la procédure, et passer à un autre exemplaire. Installation et désinstallation comprises, le test dure à peu près cinq minutes. La carte, qui arrive nue, est d'abord dotée de barrettes mémoire et d'une nappe IDE reliée à un disque dur. Elle est ensuite posée sur un support dédié, au dessus duquel on retrouve un système mobile comprenant processeur, carte graphique et autres périphériques. Ce lourd dispositif est positionné au dessus de la carte puis abaissé pour que les différents éléments s'enfichent. Seul le couple radiateur/ventilateur requiert une manipulation spécifique.
En cinq minutes, les cartes sont acceptées ou recalées
La série de tests inclut l'essai des principales fonctionnalités de la carte mère (vérification de la mémoire et du bon fonctionnement du dual channel, lecture et écriture via les ports IDE, cartes d'extension, vérification du BIOS, reconnaissance du processeur, etc.). Le verdict est sans appel : si la carte franchit tous les tests avec succès, elle rejoint un nouveau chariot qui la destine aux lignes d'emballage. Dans le cas contraire, elle partira vers un autre poste de test où le rapport de test sera utilisé pour localiser et éventuellement corriger le problème.
Certaines cartes, prises au hasard passent une série de tests fonctionnels à l'intérieur d'un four. Benchmarks et procédures de test s'enchaînent pendant des heures, pour vérifier que les cartes mères supportent sans broncher des conditions de chaleur importante.
Dernière ligne droite avec la mise en boite
Celles qui franchissent victorieusement les tests se retrouvent deux étages plus bas, au niveau des lignes assurant l'emballage, dernière étape avant l'acheminement vers les ports de Taïwan, puis vers les assembleurs ou détaillants du monde entier. Pour que l'acheteur final ne soit pas déçu, un emballage de bonne facture et quelques accessoires sont le minimum à prévoir.Aux côtés de machines chargées de plier et d'assembler les cartons, quelques équipes s'emploient à disposer les cartes mères sur une nouvelle chaîne, pour ensuite les habiller du sachet plastique antistatique que nous connaissons tous. Les ouvriers semblent moins concentrés sur ces lignes que dans les étages supérieurs, mais les impératifs de la chaîne sont toujours présents et un contremaître peu amène se charge le cas échéant de le rappeler aux distraits.
Il vous faudra plus de temps pour la déballer !
Une fois la boite de la carte mère montée et présentée ouverte sur la chaîne, un premier pose la carte mère à cheval sur les bords, pour qu'un second puisse installer au fond de la boite une épaisseur de mousse alors qu'un troisième glisse la carte dans son sachet plastique. Elle gagne ensuite le fonds de la boite où la rejoignent ses accessoires. Une fois la boite fermée sont apposés quelques autocollants attestant l'authenticité du produit, avant qu'un dernier ouvrier ne charge, par paquets de dix, les boites dans des cartons plus importants. Ceux-ci reçoivent ensuite une étiquette indiquant la zone d'affectation finale.
Emballé c'est pesé... en route pour la Russie
Conclusion
Impossible de s'aventurer trop avant dans l'usine, histoire d'aller jeter un oeil aux laboratoires de recherche et développement. Impossible également de parler avec les employés, notre guide étant notre seul interlocuteur. Gigabyte nous a fait le plaisir de nous ouvrir son usine, mais ne souhaite pas pour autant que tous ses secrets soient dévoilés. Certaines étapes supplémentaires, non dévoilées ici, interviennent dans la fabrication d'une carte mère, particulièrement au niveau des tests qui sont, aux différentes étapes de la fabrication, plus poussés que ce que nous avons pu montrer ici.Il est toujours instructif de voir l'envers du décor. On découvre ici une production répondant à des normes de productivité draconiennes et régie par des objectifs journaliers. Les ouvriers évoluent dans des conditions de travail qui peuvent sembler relativement dures mais qui restent tout à fait correctes comparées à ce que peuvent pratiquer certains à quelques centaines de kilomètres seulement. Les ouvriers sont invités à apprendre l'anglais (pour les hommes, cela se fait, en plus de cours, au moyen de mémos scotchés au dessus des urinoirs !) pour évoluer dans le groupe et accéder à des postes ouvrant sur l'international.
Comble du luxe, nous avons même eu le droit, en guise de conclusion, à un rafraichissement des plus... occidentaux !
Même à 10 000 km de chez soi, le McDo est omniprésent...
Les amateurs de visites guidées pourront maintenant se tourner vers de précédents articles :