Studio polonais nouvellement créé et par conséquent inconnu, CDProjekt est tout de même parvenu à convaincre un éditeur de poids, Atari, avec son tout premier projet. Il était pourtant question d'un jeu de rôle, un genre pour le moins difficile d'accès où le public est particulièrement exigeant. Le scénario était en outre basé sur la série du Sorceleur, une œuvre elle-aussi polonaise dont la qualité n'est pas remise en question, mais qui n'est sans doute pas aussi vendeuse qu'une bonne licence AD&D. Enfin, pour ne rien arranger, film et série basés sur ce Sorceleur ont été des échecs commerciaux... Atari n'a pourtant jamais semblé inquiet. L'éditeur n'a d'ailleurs jamais poussé son partenaire et tous les reports demandés ont été acceptés, jusqu'à obtenir le jeu de rôle dont nous rêvions ?
Le Sor-scelleur du destin des Hommes ?
Personnage mystérieux, fier et cynique, le Sorceleur héros de l'œuvre de Sapkowski répond au nom de Geralt de Riv... Enfin, il ne répond pas tant que ça puisqu'au début du jeu de CDProjekt, il est handicapé par une amnésie aussi tenace qu'embarrassante lorsqu'une ancienne amante lui fait des avances. Nous n'en sommes toutefois pas là et l'aventure débute alors que Geralt, amnésique donc, est soigné par ses confrères sorceleurs. Dans leur forteresse de Kaer Morhen, ces vengeurs / justiciers pensent être à l'abri des terribles créatures qui peuplent le monde de Temeria. Il n'en est évidemment rien et après une très rapide entrée en matière, il nous faut déjà prendre les armes pour repousser une troupe de mercenaires emmenée par Savolla, un puissant magicien.Prologue et premier chapitre sont l'occasion de découvrir Geralt, le système de combats et les fameuses « décisions clefs »
Cette attaque constitue ce que les développeurs ont appelé le Prologue et nous permet en réalité de découvrir le système de combat conçu pour The Witcher. Plutôt que de nous faire cliquer comme des forcenés sur les boutons de la souris ou nous faire utiliser une liste de compétences en mode tour par tour, les créateurs ont imaginé un système plus ou moins basé sur le rythme. Selon le type de créature, le joueur doit effectivement choisir entre deux types d'armes (argent, acier) et trois styles de combat (puissant, rapide, groupe). Ensuite, il faut asséner un coup et lorsque l'attaque de Geralt se termine, un indicateur nous signale la nécessité d'enchaîner. Toute la « difficulté » étant de n'être ni trop lent ni trop rapide pour que l'enchaînement se poursuive jusqu'à la botte finale.
Si Sorceleur vous fait penser à sorcier, ce n'est pas un hasard et au fil du jeu, Geralt est amené à utiliser ses dons en magie et en alchimie. La première discipline lui permet de jouer avec des boules de feu ou de pratiquer la télékinésie alors que la seconde se focalise sur la préparation de potions. Si Geralt est capable de créer des élixirs très puissants (pourvu qu'il ait recette et composants), la magie reste secondaire. Les sortilèges sont des atouts, mais Geralt est un guerrier et il ne perd pas une occasion de nous le faire savoir. Rapidement, le scénario l'éloigne de Kaer Morhen et des autres sorceleurs. Geralt a pour mission de découvrir le pourquoi de cette attaque sur la forteresse et les réponses ont parfois besoin d'être un peu « encouragées ».
Nous touchons ici à ce qui fait la grande force de The Witcher, la crédibilité de son scénario. S'ils viennent en aide aux populations, les Sorceleurs ne sont pas des tendres et leurs actions ne sont pas désintéressées. Bien au contraire, si la situation l'exige, ils sont prêts à faire usage de la force. L'intimidation, voire le chantage, fait partie des armes qu'ils utilisent et, parfois, ils peuvent mettre en oeuvre les solutions les plus extrêmes. Cet aspect rend les situations plus logiques et dans un monde violent, notre personnage s'adapte, trouve sa voie sans être pieds et poings liés par un code de conduite hors de propos. Du coup, ses réactions paraissent plus naturelles et, malgré son allure inquiétante, l'identification est plus rapide.
S'impliquer ou rester neutre dans un monde qui évolue, tel est le dilemme du Sorceleur
Une identification d'autant plus rapide que de nombreuses décisions cruciales pour le déroulement du scénario sont laissées à la discrétion du joueur. Ainsi, en début de partie, Geralt se trouve confronté à une étrange bête dans les faubourgs de Wyzima. En démêlant les histoires de chacun des habitants de la région, le joueur et son Sorceleur peuvent aboutir à diverses conclusions et, de ce fait, entreprendre des actions radicalement différentes. Là encore, les développeurs ont fait très fort, car si certaines conséquences sautent immédiatement aux yeux du joueur, d'autres ne seront visibles que plusieurs heures de jeu après. Il ne sera alors évidemment plus question de faire machine arrière pour tenter une des autres possibilités et il faudra assumer ses choix.
Le joueur peut donc choisir de prendre fait et cause pour la sorcière Abigaïl ou plutôt faire confiance au Révérand du coin. Il peut choisir d'armer les hommes de la résistance ou au contraire leur refuser les précieuses caisses qui leur auraient permis d'assassiner le dénommer Coleman, un personnage non-joueur que le héros n'est donc pas certain de rencontrer. Tout au long des cinq chapitres que compte l'aventure, ces choix ne sont pas si nombreux que nous pourrions le penser, mais ils tombent à chaque fois au bon moment, relançant ainsi sans arrêt un scénario qui nous change de certaines histoires à dormir debout. Pour ne rien gâcher, les quêtes secondaires, un grand classique du jeu de rôle, n'ont rien à envier à la trame principale du jeu.
Spakowski qui ponderait un tel scénario
Variées, ces aventures annexes ne sont pas obligatoires, mais elles ne sont cependant pas là que pour faire joli et remplir notre journal de quêtes. Elles permettent d'en savoir plus sur le monde de Temeria, d'apprendre les secrets de tel personnage et de connaître les points faibles des créatures... La richesse de l'oeuvre de Sapkowski transparaît et il ne faut pas plus de cinq minutes pour se rendre compte que l'amateur d'univers complexes aura de quoi faire. De manière plus classique, ces quêtes annexes sont également là pour rendre notre Geralt plus costaud. À la manière des traditionnels jeux de rôle, notre avatar progresse effectivement en fonction de l'expérience qu'il accumule et cette expérience, c'est en faisant passer les « vilains-pas-beaux » de vie à trépas qu'on la récupère.Perfectible, l'interface pêche au niveau de l'inventaire, mais donne accès à d'innombrables informations sur l'univers du jeu
En début de partie, l'expérience prend à chaque niveau la forme de talents de bronze à répartir sur la fiche de personnage. Il est possible de les attribuer à des compétences aussi classiques que la force, l'intelligence ou la dextérité, mais nous avons également des aptitudes plus spécifiques qui permettent d'obtenir de meilleures chances de parade, de plus importants saignements chez l'ennemi ou des boules de feu plus puissantes. Cet aspect est sans doute le plus traditionnel, mais les développeurs ont tout de même pensé à varier les compétences et dans les niveaux supérieurs, il faut faire avec des talents d'argent puis d'or, en quantité largement insuffisante par rapport aux aptitudes disponibles.
La progression de Geralt se fait donc en douceur afin que le joueur ait le temps d'assimiler ses nouvelles possibilités. Autre élément intéressant, si les combos à l'épée ne sont pas plus complexes à réaliser dans le temps, le joueur se rend bien compte des conséquences des nouvelles aptitudes puisque les animations et le rythme des enchaînements changent. Nous n'avons aucune idée du niveau maximal auquel peut prétendre Geralt à la fin de l'aventure, mais une chose est sure : celle-ci est particulièrement longue. CDProjekt a parlé d'une bonne trentaine d'heures pour terminer la trame principale et il ne semble pas loin du compte. Il ne faut pas non plus oublier toutes les quêtes secondaires qui peuvent sans doute doubler cette excellente durée de vie.
Variété des quêtes, profondeur du scénario, héros moins chevaleresque que de coutume et durée de vie excellente, The Witcher semble réussir le parcours sans faute. En réalité, quelques problèmes plus ou moins gênants viennent se greffer aux légers soucis déjà mentionnés. Il nous faut tout d'abord parler des plantages, certes pas si nombreux, mais suffisamment rageants pour ne pas être passés sous silence : malgré une première mise à jour, The Witcher a encore tendance à retourner au bureau de Windows et le plus souvent quand la dernière sauvegarde date de trois ou quatre heures ! On regrettera aussi d'étranges limitations comme l'impossibilité de sauter ou de se laisser tomber, ce qui nous oblige à quelques détours fort malvenus.
Pas grand-chose à redire sur la qualité graphique du jeu, malgré quelques bugs encore à corriger
Plus gênants, car beaucoup plus fréquents, les chargements constituent sans doute le point le plus pénible de l'aventure. Il faut dire que du fait des nombreuses quêtes, le joueur est amené à changer de lieu assez fréquemment et la moindre entrée / sortie d'un bâtiment est le prétexte à un chargement, court pour l'entrée, relativement long pour la sortie. Reconnaissons également que le scénario a ses limites et que pour nous proposer des enchaînements intéressants, les développeurs se sont laissés aller à quelques raccourcis : chacun des chapitres a lieu dans un décor donné et généralement un prétexte un peu léger nous empêche d'en sortir (besoin d'un sauf-conduit, quarantaine). La liberté du joueur en prend encore un coup, même si ce n'est finalement pas bien gênant.
Quelques bugs sont enfin à signaler. Lors des combats, des créatures se téléportent et la gestion des collisions surprend. Cela dit, les créateurs semblent impliqués dans leur projet et réactifs. Le fait qu'ils envisagent déjà extension et suite est de bon augure : ils auront sûrement à coeur de contenter la communauté. Enfin, terminons avec la réalisation. The Witcher exploite le moteur Aurora de Neverwinter Nights, mais CDProjekt est parvenu à imposer son style. Un style qui ne plaira pas à tout le monde, mais qui a su nous séduire, malgré des animations un peu figées. Les environnements sont splendides et la profondeur de champ joliment simulée. Du côté d'Atari on a assez bien fait les choses : même si la version française (voix et textes) n'est pas parfaite, elle reste très correct et ne gâche pas le scénario. Question configuration, The Witcher paye sa beauté graphique : il semble raisonnable de tabler sur un processeur à 3 GHz épaulé par 2 Go de mémoire et une carte graphique 256 Mo de type 7800GT.
Conclusion
Malgré d'indiscutables lacunes et quelques inexplicables loupés, The Witcher est un vrai, un bon et un grand jeu d'aventure / rôle. Certes, le scénario est extrêmement cloisonné et la liberté d'action n'est pas aussi importante que promise. Certes également, le système de combat, en dépit d'une certaine originalité, est un peu répétitif. Mais qu'il est bon de remuer la fange de ce monde à la fois moderne et chaotique. Qu'il est bon d'évoluer dans un univers crédible, violent et sans pitié. Aussi cynique que pragmatique, Geralt ne répond pas vraiment aux canons du héros de jeu vidéo, mais chose rare, ses décisions sont aussi les nôtres. Nous avançons avec lui comme avec bien peu d'autres et le système de conséquences à long terme fonctionne à merveille. Quelques imperfections techniques viennent ternir un peu le tableau : nous devons notamment souligner des chargements aussi longs que fréquents et un système de contrôle un peu particulier (pas de sauts) qui nous pousse à certains détours assez incroyables. Qu'importent ces défauts, beau, long et passionnant, The Witcher est une vraie réussite et CDProjekt un développeur à suivre de près.Ce jeu vous intéresse ? Retrouvez-le dans le
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