Huit ans après l'attribution d'un contrat de plus de 4 milliards de dollars de la part de la NASA, la capsule Starliner de Boeing n'a volé qu'une seule fois jusqu'à la station spatiale internationale. Le premier test habité se fait attendre… Mais le programme est victime d'une importante série de blocages.
Et la situation ne devrait pas beaucoup évoluer.
Une croix sur le passé ?
Le 25 mai 2022, les équipes de Boeing et celles de la NASA célébraient une mission réussie. Six jours de vol, après un décollage impeccable, un trajet vers la Station Spatiale Internationale et un retour à travers l'atmosphère terrestre. Pas d'incidents majeurs, quelques petites défaillances techniques mais rien d'inhabituel pour ce qui était, presque, un vol inaugural. Et dans tous les esprits, une seule question. Était-ce la fin des incroyables difficultés du programme ?
Sélectionné avec SpaceX en 2014 pour assurer les rotations d'équipages vers et depuis l'ISS, Boeing avait progressé jusqu'en 2019, avec le premier vol orbital de la capsule au mois de décembre. Mais au cours de la mission OFT-1, un défaut sur l'horloge interne de Starliner commande des corrections de trajectoire… Il ne reste plus assez de carburant pour rejoindre la station. Puis, lors de la séparation du module de service, ce dernier manque de peu de percuter la capsule. Pire qu'un résultat mitigé, c'est un véritable fiasco pour le programme, qui doit attendre les résultats d'un audit, puis subir des modifications et prouver qu'il n'y a plus de problèmes.
Mais en 2021, c'est un autre problème de vannes qui apparaît alors même que Starliner est sur le site de lancement. Il faut la démonter de sa fusée Altas V et la ramener pour inspection et tests dans son hangar de production. Une suite de ratés qui donne une réputation exécrable au programme de Boeing, malgré la démonstration réussie en 2022.
Avancer à coup de millions
Surtout, Starliner coûte cher. Pas tant à la NASA, qui avait certes engagé Boeing pour un contrat à coût fixe de 4,2 milliards de dollars en 2015, mais qui ne paie pas pour les retards et les tentatives supplémentaires que l'industriel a mises en place pour compléter les essais au sol et en vol. Le géant de Seattle a confirmé avoir déjà dépensé 900 millions de dollars de ses propres fonds pour couvrir le programme.
Dans ce cadre, de nombreux observateurs se sont déjà interrogés : après tant d'années, et puisque la capsule ne sera jamais « rentable », pourquoi poursuivre l'aventure Starliner ? D'une part, parce que c'est l'objectif même du programme Commercial Crew de la NASA de disposer de deux capsules différentes et indépendantes, afin de se prémunir d'une interruption des missions habitées si jamais l'une ou l'autre est interdite de vol. Aussi, parce que la NASA et Boeing sont contractuellement liés… Et enfin, parce que malgré ses déboires, Starliner aujourd'hui est au point !
Le vol habité, plus que quelques mois ?
Pourtant, le premier vol habité a été repoussé au mois d'avril 2023, avec à bord les astronautes Butch Wilmore et Sunita Williams. Pourquoi ? Les raisons sont complexes. D'abord, il faut comprendre que c'est entre les missions habitées et inhabitées que la NASA effectue le plus de vérifications avec les équipes de l'industriel sur les données de vol. On remarquera par exemple qu'il y avait un écart de plus d'un an entre ces vols lors des missions de Crew Dragon en 2019 et 2020. Ensuite, il y a quelques points faibles qui ont quand même été identifiés lors de la mission de mai dernier : il fallait les documenter et les corriger (et comme il s'agit des circuits des propulseurs du module de service, ce ne sont pas des points de détail). Enfin, le plus complexe (bien que contre-intuitif) c'est de trouver un « créneau » viable pour la visite de Starliner sur l'ISS avec sa mission de test.
Pour comprendre la complexité de cet agenda, il faut se souvenir que Starliner s'amarre sur une écoutille équipée d'un IDA, l'International Docking Adapter. Mais il n'y en a que deux, et comme il y a en continu des rotations d'équipages en cours, l'un des deux est déjà occupé par une capsule Crew Dragon. Cela n'en laisse plus qu'un, sauf que là aussi, il est possible qu'il y ait un deuxième véhicule Crew Dragon au même moment (mission de tourisme, rotation d'équipage) ou un cargo Dragon, qui utilise lui aussi le même port d'amarrage… Et reste entre 4 et 8 semaines sur place. Ajoutons à cela qu'il ne faut pas que ce soit en même temps qu'une sortie EVA (ni américaine ni russe), ou qu'un cycle de départ/arrivée d'un autre cargo Progress ou Cygnus. Et une fenêtre de tir de quelques jours ne suffit pas : outre la météo, il faut prendre en compte des éventuels soucis de préparation. D'où ce choix d'avril prochain.
Un seul vol par an pour Starliner
On le sait également depuis peu, le vol de démonstration habité sera l'unique en 2023. Là encore, cela n'a pas beaucoup à voir avec la capsule elle-même, mais plus avec le cycle des opérations. Pour cela, il faut comprendre les besoins. La NASA envoie deux rotations de quatre astronautes sur l'ISS chaque année, une au printemps et l'autre à l'automne. En coordination avec les rotations de véhicules Soyouz russes, cela assure des équipages de missions de longue durée de 5 à 7 mois. Il y a donc deux capsules américaines qui décollent chaque année.
Or ces vols sont préparés environ 12 mois en avance pour des raisons évidentes : il faut que le constructeur s'y prépare (côté capsule, côté fusée), mais aussi et surtout attribuer les places pour l'équipage et leur laisser le temps de s'entraîner. Pour la NASA, comme Starliner n'est pas encore certifiée pour des rotations ISS, le créneau du printemps 2023 a été automatiquement attribué à SpaceX. Et pour celui de l'automne ? Impossible de savoir si Boeing est capable de passer toutes les étapes de la validation d'ici septembre 2023… Donc le créneau est une fois de plus revenu à SpaceX avec Crew Dragon. Pas question pour l'agence américaine de passer à 3 missions par an pour faire plaisir à tout le monde, l'idée avec les prestataires privés est bien d'économiser !
Est-il seulement possible d'aller plus vite…
Pour Starliner, le futur « idéal » est donc le suivant, avec une mission habitée de test en avril 2023, puis un vol par an au service de la NASA entre 2024 et 2030, ce qui remplit contractuellement les obligations des uns et des autres jusqu'à la fin de l'ISS et son éventuel remplacement. Pour l'instant, Boeing ne prévoit d'ailleurs pas d'opérer une flotte de plus de deux capsules Starliner opérationnelles.
Notons aussi que contrairement à SpaceX, Boeing ne peut se permettre de vol de tourisme dans un futur proche. Et ce n'est pas une question de certification, mais surtout… De lanceur. En effet Boeing a réservé des fusées Atlas V à United Launch Alliance (ULA) pour envoyer Starliner en orbite au cours de la décennie. Ce qui est pratique pour le constructeur comme le client puisqu'acheter un lot coûte moins cher et permet de sécuriser les emplois sur le moyen terme. Mais le nombre de vols est fixe, et ULA est en transition vers son nouveau lanceur Vulcan.
Résultat, il n'est pas possible d'ajouter des missions « à volonté », et d'ici 2024-25, Starliner sera probablement la dernière charge utile à décoller avec Atlas V. Problème, maintenir un seul lanceur dédié à un véhicule orbital coûte cher : des équipes à la production, à l'assemblage, au contrôle sol, sur le site de lancement, des véhicules de transport, la maintenance des équipements… Tout cela sera indirectement dédié à Starliner.
Un vol par an pour le status-quo
ULA et Boeing se sont engagés sur le long terme, et tous les signaux sont au vert pour que Vulcan soit un jour le porteur des capsules Starliner vers l'orbite basse. La performance supérieure du véhicule pourrait même abaisser le coût d'un lancement…
Mais il faudra encore financer la certification, et qui voudra y injecter la somme correspondante ? La NASA ? Peut-être pas avant la fin de la décennie. Boeing, avec un autre acteur du secteur privé ? Ce serait un signal important pour le futur de la capsule. Car pour l'instant, Starliner paraît condamnée à une carrière très restreinte, dans l'ombre de ses retards et de ses surcoûts.