MaiaSpace fait partie des 7 sélectionnés. De quoi dépasser les vues d'artiste ? © ArianeGroup / MaiaSpace
MaiaSpace fait partie des 7 sélectionnés. De quoi dépasser les vues d'artiste ? © ArianeGroup / MaiaSpace

Le 25 juillet dernier, le CNES a présélectionné 7 mini et micro-lanceurs spatiaux pour leur donner accès au futur site « commercial » du Centre spatial guyanais, qui a servi il y a quelques décennies pour la fusée Diamant. On y retrouve quelques-unes des entreprises les plus prometteuses du NewSpace européen.

Ce qui ne garantit pas qu'elles vont toutes y arriver…

Diamant brut

Retour aux premières heures de l'exploration spatiale « à la française » : à la suite des accords d'Évian, la France et sa toute jeune agence spatiale, le CNES, ne peuvent plus utiliser les installations de lancement d'Hammaguir, en Algérie. Et, du désert, chercheurs, militaires, techniciens et scientifiques déménagèrent dans la jungle.

Au cœur de ce grand Centre spatial guyanais, le premier vrai site spatial construit est l'ensemble de lancement Diamant, qui accueille la fusée du même nom. Le 10 mars 1970, Diamant-B décolle et atteint pour la première fois l'orbite depuis la Guyane française. C'est là le début d'une longue série… qui fut ensuite marquée par quatre décennies d'Ariane. Le site Diamant, lui, est « mis en sommeil ». Dans les faits, il sert un temps de caserne, puis de décharge pour les propulseurs à poudre d'Ariane 4, récupérés dans la jungle et stockés sur place.

Destruction du portique de 35 m de haut du site de Diamant, le 6 novembre 2020 © Optique vidéo du CSG
Destruction du portique de 35 m de haut du site de Diamant, le 6 novembre 2020 © Optique vidéo du CSG

En 2019, la décision est prise de reprendre entièrement le site Diamant, d'en raser la majorité des bâtiments devenus obsolètes et/ou dangereux, et d'installer sur place un site consacrés aux essais des futures fusées démonstrateurs réutilisables : Callisto d'abord et Themis ensuite. En plus de cela, l'idée germe d'ouvrir le Centre spatial guyanais au « NewSpace » européen, à la demande des entreprises, mais aussi de l'ESA.

Diamant, avec une infrastructure minimaliste, vise à offrir l'accès à un site sécurisé, multi-utilisateur, où chacun peut disposer d'une partie de matériel spécifique et des installations génériques qui vont être mises en place. Un site de lancement universel ? Dans la mesure du possible… Fin 2021, les entreprises sont invitées à déposer des dossiers au CNES pour exprimer leur intérêt et leurs besoins pour une future installation. Et, le 25 juillet 2022, l'agence française a sélectionné 7 acteurs du domaine spatial européen et leurs futurs lanceurs. Tour d'horizon.

Avio et MaiaSpace, les infiltrés

Eh oui, on pourrait le dire sans ciller, car eux sont déjà sur place en Guyane ! Avio est le responsable industriel du projet Vega. C'est une entreprise italienne d'envergure dans le secteur, cotée en Bourse et surtout très expérimentée, avec 20 décollages de Vega et un lancement de Vega-C à son actif. En tant que maître d'œuvre du programme qui opère aujourd'hui le plus petit lanceur européen, Avio est donc à la bonne place pour proposer ses services pour un microlanceur !

Du moins, c'est ce qu'espèrent les responsables de l'entreprise, qui souhaitent reprendre les ingrédients du succès de Vega : le premier étage de Vega-C ainsi qu'un petit étage supérieur pour la mise en orbite et la manœuvre avant de larguer le satellite. Une sorte de mini-Vega, si l'on peut dire… Et ne souriez pas, le projet s'est effectivement longtemps appelé ainsi. Longtemps ? Oui, car ce concept de Vega à seulement deux étages existe depuis au moins 2015. Avio a tenté à plusieurs reprises de le faire financer par l'agence européenne. Ce dossier pour un accès au site de lancement Diamant montre-t-il que l'industriel a finalement franchi le pas ? Ce mini-lanceur est en tout cas l'un des plus simples à mettre en œuvre sur le papier, car ses éléments existent déjà et sont qualifiés pour le vol spatial.

Le booster P120C qui constituerait le premier étage de cette "mini-Vega" a été testé plusieurs fois en Guyane (y compris sur Vega-C) © ESA / CNES / CSG / Arianespace / JM Guillon

MaiaSpace, cela sonne comme une start-up… Mais derrière cette « jeune pousse » se cache toute la machine ArianeGroup ! Il s'agit en effet d'une filiale créée en 2021 par le géant de l'aérospatial franco-européen pour participer à la course aux « mini-lanceurs réutilisables », souhaitée par le président Emmanuel Macron. Le lanceur Maia dispose lui aussi d'une architecture simple avec deux étages, fondés sur le moteur réutilisable Prometheus, en développement chez ArianeGroup (et disposant d'importantes aides de la part de l'ESA et de la France). Il est d'ailleurs étudié comme un dérivé commercial et orbital du démonstrateur Thémis, lequel fera, si tout va bien, ses essais pour voler, puis se poser depuis Kiruna en Suède, puis depuis la Guyane. Les installations de l'un pourraient bien servir à l'autre…

MaiaSpace, avec un lanceur réutilisable d'une capacité d'environ 500 kg à 1 tonne maximum, pour une fusée alimentée au méthane-oxygène liquide, aura un tour de force technique à réussir. Et, pour 2026, on a affaire à un calendrier agressif : il faudra bien les ressources de la maison mère ArianeGroup pour se hisser à sa hauteur ! Surtout, Prometheus n'est pas encore prêt. Les tout premiers essais de mise à feu étaient attendus en février 2022 avant des essais au sol en Allemagne. Ils n'ont pas eu lieu pour le moment. Mais MaiaSpace est définitivement un « client » pour les installations guyanaises !

Zéphyr sera-t-il l'un des remplaçants de Diamant ? © Latitude

Latitude, de l'Écosse à la France

Si vous ne connaissez pas Latitude, vous reconnaîtrez peut-être leur ancien nom, VOS (Venture Orbital Services), ou celui de leur fusée Zéphyr, qui n'a pas changé. La start-up, située à Reims et qui continue de s'agrandir, avait déjà signé un partenariat pour son lanceur léger (moins de 100 kg en orbite basse) avec SaxaVord au printemps.

Mais le modèle économique visé par Latitude n'est pas celui de quelques décollages chaque année : il faudra, pour assurer la pérennité, une certaine cadence de tirs. Aussi, disposer de plusieurs accès à l'espace dans les îles Shetland, mais aussi au Centre spatial guyanais tombe sous le sens.

C'est également une question de gains pour une fusée à petite capacité : plus près de l'équateur, elle peut, selon les vols, bénéficier d'un effet de fronde. La fusée Zéphyr devrait subir ses premiers essais au sol en 2023, tandis que Latitude a récemment mis à jour son agenda pour un décollage orbital en 2025. De quoi développer le moteur « Navier », alimenté au kérosène-oxygène liquide, qui équipera le premier et le deuxième étages. Verra-t-on Zéphyr décoller sur le même site que Diamant ? De toute façon, le public ne comprendrait pas qu'une start-up française ne veuille pas décoller de Guyane…

Le démonstrateur suborbital de Hyimpulse Technologies lors de tests au sol © Hyimpulse Technologies

Hyimpulse Technologies, un moteur hybride en Guyane ?

L'entreprise allemande Hyimpulse Technologies développe son lanceur SL-1 (Small Launcher, ou Smart Launcher 1) capable d'emporter environ 50 kg de charge utile en orbite basse. Tout comme les Français de Latitude, cette entreprise, à l'origine issue d'une « spin-off » de l'agence spatiale allemande DLR, dispose d'un accord avec l'astroport privé de SaxaVord, dans les Shetlands.

Mais Hyimpulse, qui utilise un moteur hybride paraffine-oxygène liquide, a mis en place une stratégie plus graduelle, avec des essais qui concernent d'abord une petite fusée suborbitale. Cette dernière est d'ores et déjà en essais au Royaume-Uni, et elle a passé avec succès plusieurs étapes telles que la pressurisation des réservoirs et les pré-allumages. Il reste toutefois beaucoup de travail avant de disposer d'un lanceur orbital, sachant que les entreprises qui utilisent des carburants hybrides ne sont pas légion et n'ont pas nécessairement bonne presse. Virgin Galactic est l'une des seules firmes du monde à avoir gardé cette technologie. La verra-t-on en Guyane ? Pourquoi pas. Après tout, elle a besoin de moins d'infrastructures qu'une fusée à ergols liquides. Alors, rendez-vous en 2023 ? 2024 ?

Vue d'artiste de Miura-5 (PLD Space) en Guyane. Réaliste ? © PLD Space

PLD Space, l'aventure espagnole

L'entreprise installée à Elche, qui a récemment fêté ses 11 ans, ne baisse pas les bras pour disposer un jour d'un petit lanceur spatial. Elle a développé son lanceur suborbital Miura-1 et tentera, si tout se passe bien, de décoller de Guyane avec Miura-5 à l'horizon 2024-25.

Du groupe de « PME » présenté ici (et duquel on peut donc exclure Avio et MaiaSpace), PLD Space est sans doute celle qui a le plus d'expérience. Miura-1 devrait voler en 2022, et l'entreprise a réalisé jusqu'à la mi-juillet une série de tests de plus en plus longs et représentatifs d'un vol au-delà de la frontière de l'espace. Reste à savoir si l'aventure sera concluante, car il faudra encore beaucoup d'efforts et de ressources (ce qui fait parfois défaut à ces petites entreprises, il n'est pas facile en Europe de lever autant de fonds) avant de pouvoir viser l'orbite.

Les Miura seront des fusées partiellement récupérables, ce qui « collerait » bien avec le profil que le CNES a jusqu'ici donné au futur site Diamant. Mais PLD Space assure ses arrières et a déjà signé des accords avec l'agence espagnole INTA afin d'utiliser ses installations dans le pays pour ses prochains essais. Aura-t-elle besoin d'aller jusqu'au CSG ? Sans compter Soyouz, elle y serait peut-être la première à décoller avec des moteurs au kérosène-oxygène liquide…

Dans les locaux allemands d'ISAR Aerospace © ISAR Aerospace

ISAR, vous avez dit ISAR ?

On retrouve ici l'une des entreprises allemandes les plus avancées dans le secteur des lanceurs. Située près de Munich, ISAR Aerospace a d'ailleurs l'objectif d'être la première à faire décoller une fusée depuis le site Diamant remis au goût du jour, avec sa fusée Spectrum. Cette dernière devrait, selon la firme, être disponible dès 2024 pour des décollages orbitaux, en particulier depuis la Guyane.

ISAR Aerospace est bien financée et dispose déjà de contrats institutionnels et privés, même si elle doit, comme ses concurrentes, montrer de quoi ses lanceurs sont capables. Et de ce côté-là, les Allemands sont restés très discrets. Spectrum aura la capacité d'emmener jusqu'à 1 tonne de charge utile en orbite basse avec ses deux étages et ses 9 + 1 moteurs au mix assez original d'ergols (propane et oxygène liquide).

ISAR a récemment posté une vidéo qui dévoile son système de coiffe entièrement conçu dans ses locaux, avec un test réussi de commande de séparation. Une façon de montrer que l'entreprise est dans la course. Mais seuls les lancements assurent des revenus ! ISAR Aerospace a aussi conclu un accord pour les décollages avec le site norvégien d'Andoya, actuellement en construction.

Rocket Factory Augsburg, l'autre ambition allemande

Avec son lanceur RFA One, la start-up allemande, elle aussi située en Bavière, attaquera presque jusqu'au marché de Vega ! En effet, l'entreprise sera théoriquement capable de transporter jusqu'à 1,6 tonne de satellites jusqu'en orbite basse… et peut-être même plus depuis la Guyane !

Pour l'instant, les Allemands se sont surtout tournés vers le nord, avec leurs essais du moteur à combustion étagée Helix pratiqués à Kiruna, en Suède, et un accord pour des décollages orbitaux de RFA One avec le site norvégien d'Andoya. La « Rocket Factory » a un agenda bien agressif, maintenant que son moteur réussit des essais complets à feu. Elle vise donc le premier semestre 2023 pour un décollage inaugural. Est-ce bien crédible ? RFA dispose d'une grande force de travail et de ressources importantes grâce à sa maison mère initiale : tout comme MaiaSpace est une émanation d'ArianeGroup, c'est le puissant OHB qui chapeaute RFA. La fusée RFA One utilise une propulsion kérosène-LOX. Prête pour la jungle ?

Et vous, quel « petit lanceur » verriez-vous décoller depuis le nouveau site de lancement Diamant ?