ECLAIRs et MXT sont prêts à partir en Chine, d'où ils décolleront pour une mission astronomique commune et inédite : SVOM. A la recherche des sursauts gamma, ils seront le maillon d'une chaine d'observations à la frontière de la technique et de la collaboration. Nous sommes allés les voir au CNES, à Toulouse.
Des événements les plus énergétiques de l'univers jusqu'aux yeux des homards.
Théorie de l'effondrement
La première trace documentée du « ciel transitoire » a lieu en 1054, lorsqu'une étoile explose en supernova, générant la nébuleuse du Crabe. Ce sont les astronomes chinois qui l'ont précisément cataloguée et documentée, avant qu'elle soit redécouverte en Occident dans les siècles suivants et qu'on y identifie en 1968 un pulsar, forte source de rayons gamma, forme de la lumière la plus énergétique. Les scientifiques français, dans la courte histoire de la détection moderne des sources d'émission gamma, sont très actifs, en particulier dans le domaine spécifique des sursauts gamma.
Ces signaux sont très courts, de quelques secondes à quelques minutes, et sont émis par une étoile en train de s'effondrer pour former un trou noir, ou lorsque deux étoiles à neutron entrent en collision. Un événement rare… enfin, pas tant que ça à l'échelle de l'univers ! Sur l'ensemble du ciel, il est possible d'en détecter environ un par jour, et ces sursauts intéressent beaucoup les astrophysiciens. Car depuis la première observation commune qui a permis de détecter la source d'un sursaut gamma en 1995, on sait qu'une grande partie d'entre eux sont extraordinairement lointains : c'est la fin spectaculaire de la « première génération » d'étoiles de l'univers dont l'énergie nous parvient comme un écho, presque 13 milliards d'années plus tard. En 2009, un sursaut gamma est détecté, si lointain qu'il n'aurait eu lieu que 625 millions d'années après le Big Bang !
De tout temps, SVOM…
Ce domaine de l'astrophysique encore très jeune pose beaucoup de questions, et les scientifiques se demandent par exemple s'il est possible grâce à l'étude de ces sursauts (et des rayons moins énergétiques produits ensuite par la même source) de déterminer des paramètres de l'Univers jeune et de ses premières étoiles… Le plus important est d'abord de se donner l'opportunité de bien les localiser, de les étudier le plus rapidement et le plus précisément possible pour mieux les comprendre. Et c'est là que les télescopes spatiaux dédiés sont utiles, en jouant le rôle de « premiers détecteurs », dirigeant les efforts autour du monde autour de sursauts qu'ils viennent de capter.
La France a déjà participé à une telle mission avec Granat, puis les Etats-Unis ont déployé Swift en 2004. Et le prochain satellite à partir, qui devrait apporter une véritable bond en avant dans le domaine, c'est cette collaboration franco-chinoise (ou sino-française), SVOM. SVOM sera positionné à 625 km d'altitude environ, avec une inclinaison de 30° environ. La mission devrait entrer en service et « produire » ses détections dès la fin de l'année 2023, deux à trois mois après son décollage. Sa mission complète durera au moins 3 ans, plus probablement 5, et peut-être même plus, espèrent déjà les scientifiques.
Des détections pour les autres
SVOM (Space-based multi-band astronomical Variable Objects Monitor), sera lancé depuis le site de Xichang en Chine et sera donc un satellite d'observation et de détection rapide de sursauts gamma. Il pourra compter sur ses deux instruments français ECLAIRs et MXT, et sur un partenariat qui s'étend bien au-delà des opérations spatiales… Puisque le but est de coordonner à l'aide d'un réseau VHF de plus de 40 stations autour du globe, les observations des télescopes disponibles au sol dans un temps extrêmement court : entre 1 et 3 minutes après détection !
La mission embarquera aussi deux instruments chinois, ce qui fait finalement intervenir de très nombreux laboratoires et agences (CNES, CEA, IRAP – et de nombreux autres qui interviennent - côté français, CNSA, CAS, SECM et NSSC côté Chine), sans même prendre en compte les entités au sol. SVOM et ses 930 kg au décollage forme l'une des deux collaborations majeures de la France et de la Chine dans le spatial, après le satellite CFOSat qui étudie depuis déjà trois ans les vents et les vagues depuis l'orbite basse.
C'est une coopération de plus de dix ans, qui a été complexe à mettre en œuvre… pour des questions scientifiques bien sûr (les instruments sont novateurs) mais aussi géopolitiques entre industriels français et chinois. Et même pour des raisons sanitaires : la pandémie et la fermeture des échanges avec la Chine durant un temps, ont considérablement freiné le projet en 2020. Un comble pour les équipes communes qui venaient de se voir durant plusieurs mois pour débloquer les derniers points durs côté technique.
ECLAIRs de génie
Le détecteur principal de la mission SVOM est encore pour quelques jours dans sa salle blanche, sur le site du CNES à Toulouse. C'est l'instrument ECLAIRs, qui aura la lourde tâche de capter et localiser les sursauts gamma à l'aide de son capteur spécifique. Officiellement, c'est un « télescope à ouverture codée à grand champ », même si dans les conditions actuelles juste avant qu'il soit envoyé en Chine, c'est avant tout un grand trapèze fermé de 80kg.
Mais à l'intérieur, c'est un bijou de conception et d'ingénierie. Car sous le cache, on trouve d'abord ce qui ressemble à un labyrinthe, ou à un grand QR Code, de 54 cm de côté. C'est le « masque codé » d'ECLAIRs, qui fonctionne sur le même principe qu'un cadran solaire : un sursaut gamma va projeter une image du masque sur sa matrice de capteurs principale située dessous, et équipée de 6400 détecteurs. Selon l'angle et la position du sursaut dans le ciel, la projection ne sera pas la même sur la matrice, et avec la donnée d'orientation du satellite, le calculateur de bord saura retrouver très précisément la source du sursaut gamma dans le ciel.
Cela représente un travail de calcul conséquent sur le matériel de bord, qui permet une étude en temps réel de ces phénomènes transitoires… D'autant qu'on s'imagine un sursaut gamma comme une vague d'énergie, mais le signal réel est très faible. Pour maximiser ses chances, ECLAIRs couvre une large zone du ciel : près d'1/6e de l'univers observable rentre dans son champ de vue ! Avec une telle surface couverte, les équipes scientifiques savent qu'elles peuvent d'ores et déjà s'attendre à de nombreuses détections de sursauts gamma, en moyenne entre une et deux chaque semaine ! Il y a jusqu'à une étoile sur 10 000 qui terminera sa vie en s'effondrant sur elle-même… et en étant potentiellement découverte grâce à ECLAIRs. Si l'instrument français détecte un sursaut gamma, les autres instruments du satellite seront tournés vers ce dernier et le signal sera immédiatement transféré au sol pour des observations complémentaires dans différentes longueurs d'ondes, du visible jusqu'aux signaux radio.
Temps de réaction minimal
Et puisque la détection des sursauts gamma doit être traitée au plus vite, de nombreux programmes d'observation télescopiques sont partenaires. En France et en Chine notamment (il ne s'agit pas nécessairement d'utiliser les plus grandes optiques du monde), mais aussi ailleurs. Dans le cadre d'une collaboration, un télescope français (le F-GFT) sera installé au Mexique, et plusieurs unités seront pilotées automatiquement pour répondre aux alertes de la mission SVOM.
Pour les télescopes plus gros et les programmes plus longs, les équipes ont même mis en place un rôle « d'avocat sursauts » auprès de différentes instances européennes et internationales. Bertrand Cordier (CEA) explique que la mission tentera dans tous les cas de fédérer les astrophysiciens de la communauté mondiale, puisque les données seront en accès ouvert (open data) et ne seront pas réservées aux scientifiques français et chinois. Il sera même possible de collaborer avec des télescopes spatiaux, la demande d'observation de ces sources d'énergie par les plus capables comme Hubble ou le James Webb étant forte… Mais tout dépendra des fameuses allocations de « temps d'observation », l'imprédictibilité des sursauts gamma rendant la tâche difficile. D'autres collaborations avec des télescopes en bande X (comme le tout nouveau IXPE de la NASA) seront possibles et même encouragées.
Dans l'œil des crustacés
L'autre instrument en préparation à Toulouse (et qui partira avec son voisin) est le MXT, pour Microchannel X-Ray Telescope. C'est le moment de vous rappeler qu'en haut de l'article, on évoquait les yeux des homards. Car sur ce télescope, on trouve un exemple impressionnant et novateur d'inspiration animale... Dans les années 70, les scientifiques qui se sont intéressés aux yeux de cette branche des crustacés ont découvert que ces derniers avaient une vision toute particulière. Contrairement aux humains, leurs yeux sont constitués de centaines de petits tubes carrés (une géométrie très rare dans la nature) dont les parois réfléchissent la lumière entrante jusqu'à un point de convergence. Pas très pratique pour nous, mais dans un environnement à très bas contraste comme le fond de l'eau, où il s'agit d'avoir un large champ de vue et de détecter un mouvement ou un reflet, c'est efficace. Or, ces micro-tubes sont très intéressants aussi pour les rayons X (et gammas).
Les télescopes à rayons X classiques utilisent des collecteurs que l'on appelle Wolter, des mille-feuilles de miroirs cylindriques concentriques. C'est efficace, mais c'est lourd et généralement très encombrant. En utilisant la technique des « yeux de homard » avec des micro-tubes réfléchissants de la bonne longueur, les équipes à la conception de l'instrument MXT (CNES/CEA-Irfu/IJCLab/MPE (Munich)/Université de Leicester) ont produit des « galettes » de 4 cm de côté, contenant chacune un million de tubes en verre plombé… Un véritable défi de fabrication microscopiques, répliqué 21 fois ! L'ensemble collecteur de MXT, avec cette méthode novatrice, ne pèse que 1,6 kg pour quelques centimètres d'épaisseur.
Ce sera le premier instrument du genre à atteindre l'orbite, selon les scientifiques de la mission, même si on peut noter que le principe des tubes pour les rayons X a été expérimenté depuis juillet 2020 sur un petit satellite chinois nommé bien à propos le « Lobster Eye X-Ray Satellite ».
Pour en revenir à MXT, il pèse environ 40 kg, et permettra de mieux préciser la position des sursauts gamma (avec des mesures dans les rayons X « mous » entre 0,2 et 10 keV), tout en validant la technique d'observation.
Entre le QR Code géant d'ECLAIRs et les yeux de homard du MXT, voici deux instruments pour une bien impressionnante mission co-dirigée par les équipes françaises !