Vue d'artiste de la mission Chang'e 6 posée sur la surface lunaire © CNSA / CLEP
Vue d'artiste de la mission Chang'e 6 posée sur la surface lunaire © CNSA / CLEP

La Chine a beau opérer une station orbitale autour de la Terre et préparer les futurs pas de ses astronautes sur la Lune, son programme lunaire robotisé se poursuit. Toujours plus ambitieux ! Chang'e 6 partira l'an prochain pour rapporter les premiers échantillons de la face cachée de la Lune. Une mission unique…

Discret, et même relativement lent à ses débuts, le programme lunaire Chang'e fait beaucoup parler de lui depuis une décennie. Il est devenu une véritable vitrine technologique du savoir-faire spatial chinois. En 2013, le projet réussit un premier atterrissage avec un petit rover (Chang'e 3). Puis, les équipes remettent le couvert en 2018, avec Chang'e 4, qui devient le tout premier véhicule au monde à opérer sur la surface opposée de la Lune.

Chang'e 5, enfin, réussit à ramener des échantillons de la région volcanique lunaire Rümker en 2020. Ce 1,7 kilogramme de matière a fait la fierté du programme d'exploration chinois autant que la joie des scientifiques. Avec Chang'e 6 en 2024, la progression est constante. Cette fois, la Chine veut rapporter encore plus d'échantillons en allant les chercher sur la face cachée.

Chang'e 6 ressemblera beaucoup à Chang'e 5, que l'on voit ici en photo © CNSA
Chang'e 6 ressemblera beaucoup à Chang'e 5, que l'on voit ici en photo © CNSA

L'épineux problème du relais lunaire

Avec l'effet de marée qui la « bloque » en rotation synchrone, la Lune présente toujours la même face à la Terre. C'est particulièrement intéressant lorsqu'il s'agit d'envoyer des missions côté visible, car au moins, les antennes peuvent toujours pointer notre planète. Mais à l'inverse, pour explorer la face cachée, les missions sont beaucoup plus complexes.

Pour les sondes et orbiteurs, il leur est tout à fait possible de capturer des images qu'elles transmettent ensuite vers la Terre quand cette dernière revient en ligne de vue. Mais pour les atterrisseurs et les missions à la surface, ce n'est pas aussi simple, il faut donc un véhicule qui assure le relais des communications. Là encore, l'affaire est complexe. La Chine a trouvé en 2018 une parade originale, en envoyant son relais Queqiao autour du point de Lagrange Terre-Lune L2.

Depuis cette position, Queqiao fait en quelque sorte des « 8 » derrière la Lune, en ayant la Terre dans son champ de vision durant des périodes très longues. Cette solution fonctionne, même si Queqiao n'était que la première génération de ce genre de relais. Dérivé d'un satellite de communication, le véhicule n'était pas assez protégé contre les particules chargées, a utilisé beaucoup de carburant et a vu sa liaison avec la Terre ou avec la Lune coupée plusieurs fois. Ces aléas ont tout de même permis à la Chine de bien comprendre les problèmes, en sachant qu'il s'agit de la seule agence au monde à disposer d'un relais lunaire.

C'est grâce à ce retour d'expérience que son prochain relais, Queqiao 2, qui devrait décoller au premier trimestre 2024, utilisera une autre orbite, une ellipse très prononcée autour de la Lune. Elle restera pratiquement 20 heures sur 24 visible depuis la face cachée. Il s'agit d'une grande sonde de 1,2 tonne, avec une antenne parabolique de 4,2 mètres de diamètre.

Le principe du relais entre la Terre et la face cachée © CNSA

Chang'e 6, un grand véhicule lunaire !

Les missions de récupération d'échantillons lunaires chinoises sont (pour l'instant) les ensembles les plus imposants à se poser sur la Lune au XXIe siècle. 8,2 tonnes sur la balance au décollage, une mission de 53 jours, et surtout, il s'agit d'un assemblage de véhicules imposants et tous capables de fonctionner de façon indépendante. Pour décoller, il lui faut un lanceur Longue Marche 5, le plus puissant de l'arsenal très vaste dont dispose la Chine. Le lancement est pour l'instant prévu au deuxième trimestre prochain, en sachant tout de même que la plupart des missions lunaires chinoises ont eu lieu à l'automne jusqu'ici.

Les trois grands éléments sont tous alimentés par des panneaux solaires et des batteries, et durant deux mois, tout doit se passer à la perfection. Objectif : rapporter cette fois 2 kilos, prélevés dans le sud du cratère Apollo, non loin du « pôle Sud Lunaire ». Le clin d'œil sera aussi politique que scientifique, car cette zone particulière fait aussi l'objet de l'attention américaine pour de futurs prélèvements. Les chercheurs pensent en effet que de très anciens matériaux issus du manteau lunaire (lors de sa formation, donc, avant les très nombreuses éruptions et le constant bombardement d'astéroïdes) pourraient être rapportés pour dater avec précision sa formation.

Vue d'artiste de Chang'e 6 quittant la zone terrestre © CNSA / CLEP

Une architecture complexe, sans aucune erreur possible

Chang'e 6 est donc un assemblage de plusieurs éléments, chacun étant indispensable. Le premier est le module orbital, qui va d'abord se charger de la navigation jusqu'à la Lune, puis de l'insertion en orbite. Cette fois, le site d'atterrissage est beaucoup plus au sud que pour Chang'e 5, il s'agira donc de bien préparer en amont les manœuvres d'approche. En sachant que le module orbital, comme son nom l'indique, n'ira pas se poser. Il se séparera du module atterrisseur à quelques dizaines de kilomètres d'altitude au-dessus de la surface lunaire, et c'est ce dernier qui partira se poser, exercice toujours difficile, mais que la Chine a historiquement maîtrisé durant cette dernière décennie.

Une fois sur la surface, l'atterrisseur déploie les instruments scientifiques et récupère les échantillons, que ce soit le régolithe à la surface avec un petit collecteur (une pelle) ou plus en profondeur, avec une foreuse. Les échantillons sont transférés dans un container scellé et qui contient plusieurs compartiments étanches.

La vue panoramique prise sur la surface lunaire par l'atterrisseur de Chang'e 5 © CNSA / CLEP

L'atterrisseur est lui aussi séparé en deux parties, puisqu'après quelques jours à la surface, le module de remontée décolle de la Lune pour rejoindre son orbite. S'ensuit une manœuvre automatisée d'approche et d'amarrage que la Chine, encore une fois, connaît bien, car elle la pratique régulièrement autour de la Terre. Le module de remontée s'amarre au module orbital et transfère les échantillons, qui sont alors emmagasinés dans la capsule à destination de la Terre.

Avant de modifier son orbite et de repartir, le module de remontée est largué. Le module orbital, lui, revient vers la Terre en quelques jours. Il largue la capsule avec précision pour son atterrissage dans le désert au nord-est de la Chine, puis il peut (en fonction des ergols encore disponibles ou non) poursuivre sa mission avec une extension, pour tester une orbite particulière ou, avec beaucoup de chance, survoler un astéroïde. Mais le plus important n'est pas là. Une fois sur Terre, la capsule est transférée à Pékin, puis isolée dans un environnement stérile avant d'être ouverte.

Sur la Lune, une aventure scientifique

En plus d'un petit satellite pakistanais (ICECUBE-Q), la mission Chang'e 6 embarquera plusieurs instruments scientifiques sur la surface lunaire, où ils resteront actifs au moins 48 heures (l'Italie a envoyé un rétroréflecteur laser, qui est passif et qui servira à localiser le site d'atterrissage avec précision). La Suède, elle, a envoyé un petit instrument nommé NILS (Negative Ions on Lunar Surface), tandis que l'agence française, le CNES, participe à la mission Chang'e 6 avec son instrument DORN.

L'instrument DORN du CNES avant son départ en Chine © CNES

Ce dernier va mesurer les concentrations et la désintégration du radon autour de l'atterrisseur pour mieux comprendre les dégazages issus de la croûte et du régolithe lunaire, et également mieux caractériser l'exosphère (l'atmosphère superfine, presque inexistante, mais constituée de quelques particules) de la Lune. Il ne s'agit pas des premières collaborations entre Chine et nations européennes, mais c'est un petit pas supplémentaire. Précisons que la Chine tente de s'ouvrir aux travaux scientifiques étrangers, en particulier pour ses futures aventures lunaires. Dans moins d'une décennie, elle devrait bénéficier d'une station robotisée permanente au sol, l'ILRS.

Les échantillons sont rapportés dans une capsule qui rappelle la capsule Shenzhou, en plus petit © CNSA

Si la Chine réussit ce tour de force avec Chang'e 6, les missions Chang'e 7 et 8, qui sont déjà sur les rails, prévoient de leur côté des objectifs différents, avec le retour d'un rover sur Chang'e 7 (accompagné cette fois d'un « hopper », un robot sauteur) avant une préinstallation de l'ILRS aux alentours de 2028, en fonction des lanceurs disponibles pour emporter un maximum de matériel sur la Lune. L'accomplissement technologique que représente un retour d'échantillons depuis la face cachée sera peut-être dépassé quelques années plus tard !