Après une première mission réussie, la Chine se teste en 2010 avec cette nouvelle aventure lunaire. La préparation pour les atterrissages à venir n'est plus un secret, mais surtout, les équipes étendent leurs capacités. C'est la mission qui mène la Chine au-delà de la zone d'influence terrestre !
Elle servira de modèle pour d'autres missions encore plus éloignées.
Une première réussite et une suite
Pour comprendre les premières missions Chang'e, il faut se souvenir d'un contexte particulier, celui du spatial chinois du début du XXIe siècle. En effet, le pays réussit à peine ses premières missions habitées et commence à affirmer ses ambitions dans les domaines des satellites autant que des lanceurs. Mieux, la Chine souhaite marquer de son empreinte l'exploration spatiale hors de l'orbite terrestre. Et pour cela, la Lune est l'objectif le plus proche et le plus accessible.
C'est ainsi que naît le programme Chang'e. En 2007, un satellite modifié, Chang'e 1, réussit à manœuvrer depuis l'orbite terrestre pour atteindre la Lune, et la mission est un grand succès (d'autant plus que le véhicule réussit à dépasser sa durée de vie prévue). Malgré tout, il reste beaucoup à apprendre et les mesures depuis l'orbite ne suffisent pas pour envisager la planification de futurs atterrissages. Il faut donc remettre le couvert. Pour ça, l'agence spatiale chinoise et sa nouvelle branche consacrée à l'exploration lunaire (la CLEP) vont pouvoir utiliser la sonde Chang'e 1 « bis », conçue en cas de problème avec leur première mission.
Améliorer le système
Toutefois, il ne s'agit pas simplement de renvoyer un véhicule à l'identique. D'abord, grâce à de nouvelles performances de la branche des lanceurs (elle décolle avec une CZ-3B avec 4 boosters au lieu de 2), Chang'e 2 pèse 100 kilos de plus, pratiquement 2,5 tonnes, et utilise moins de carburant pour rejoindre l'orbite lunaire. Eh oui, cette fois, la Chine tente directement une manœuvre « TLI », Trans-Lunar Injection, un allumage moteur du lanceur pour envoyer la sonde en direction de notre satellite naturel, réduisant la durée du voyage à 5 jours seulement.
La base du véhicule est toujours celle d'un satellite de télécommunications : panneaux solaires, antenne, électronique de bord renforcée et, sur une face, les instruments scientifiques. De ce côté-là, pas de grande surprise non plus, mais des améliorations : un appareil photo avec une plus grande optique et un meilleur capteur pour obtenir des clichés d'une résolution dix fois meilleure, un altimètre laser plus précis avec une meilleure fréquence, et deux petits appareils pour l'étude des particules à haute énergie dans l'environnement lunaire.
En route pour la Lune
Chang'e 2 est prête à l'heure et décolle vers la Lune le 1er octobre 2010. Une date symbolique pour la Chine, puisque c'est le 61e anniversaire de la République populaire. À 18 h 59 (heure de Beijing), le site montagneux de Xichang tremble, et la deuxième mission lunaire chinoise s'élève à travers le ciel. Un lancement sans incident, suivi par un vol de croisière vers la Lune.
La première manœuvre importante a lieu dans la nuit du 5 au 6 octobre, et il s'agit de freiner pour entrer en orbite lunaire. Cette fois encore, c'est un succès ! La sonde manœuvre pour rester d'abord sur une orbite à 100 kilomètres d'altitude, et c'est déjà une amélioration par rapport à Chang'e 1, qui était resté plus haut. Le guidage est plus précis, et la sonde démarre rapidement ses prises d'images pour façonner un atlas lunaire incluant des images haute résolution ainsi que les données altimétriques. Cette cartographie est importante, puisque la mission Chang'e 3, déjà en préparation, vise à atterrir sur la surface.
Grâce aux images prises depuis l'orbite, il faut donc pouvoir lui sélectionner un site, évaluer les dangers et les trajectoires d'approche… Des éléments indispensables pour de longues simulations au sol.
Chang'e 2 reste plusieurs mois en orbite lunaire, même si sa mission n'est pas aussi longue que celle de l'orbiteur précédent. Elle a même le luxe, puisque la précision de ses instruments le permet, de descendre en rase-mottes à 15 kilomètres d'altitude seulement, pour des images d'une résolution qui atteint environ 1 mètre par pixel.
Pour autant, grâce à son package performant, pas besoin de rester autour de la Lune beaucoup plus longtemps. La sonde Chang'e 2 a encore des réserves de carburant, et les équipes au sol comptent se servir d'elle pour préparer l'avenir. Le 8 juin 2011, après 8 mois de mission cartographique, la sonde allume ses propulseurs et quitte la Lune. Elle s'éloigne encore plus loin, vers le point de Lagrange L2 Terre-Soleil, à 1,5 million de kilomètres de son point de départ (mais oui, l'endroit où vont les télescopes comme le James Webb ou Euclid).
Changement de destination
L'objectif de ce voyage est multiple. D'abord, il permet de tester en conditions réelles le rapport entre les installations au sol et une sonde en mission lointaine. Pour un pays qui développe ces capacités, ce n'est pas si trivial. En effet, la Chine ne dispose pas (encore) d'une infrastructure d'antennes de réception tout autour du monde ou de partenariats avec d'autres nations. Il faut donc compter sur les antennes en Chine et sur les grands navires de communication, qui sont plus conçus pour le suivi des lanceurs orbitaux que pour récupérer des données depuis les points de Lagrange.
C'est la même chose du côté de la sonde pour le test du matériel embarqué : les protections ont-elles été suffisantes ? Les débits et protocoles utilisés sont-ils corrects ? Les équipes en profitent pour tester le guidage et la propulsion dans cette zone très sensible aux changements de trajectoire (les points de Lagrange sont un équilibre constant entre les puits gravitationnels de la Terre et du Soleil). Chang'e 2 restera au point L2 du 25 août 2011 au 15 avril 2012. Et il lui reste encore du potentiel !
Mais que visiter d'autre ?
Considérant les réserves de carburant et les bons résultats des communications entre la Terre et la sonde, les équipes envoient Chang'e 2 survoler un astéroïde. Et la Chine n'a pas choisi n'importe lequel, c'est le grand Toutatis (2,5 kilomètres de diamètre) qui est sélectionné, notamment parce que son orbite très elliptique le fait passer dans des régions aussi lointaines que l'orbite de Jupiter jusqu'à la zone terrestre.
Attention, pas question de manœuvrer pour entrer en orbite ou le suivre sur le long terme, comme d'autres missions (Hayabusa, OSIRIS-REx) l'ont fait avec d'autres astéroïdes. Il s'agit d'un survol, un rendez-vous très précis et unique sur la trajectoire de Toutatis. Ces manœuvres ne sont pas si complexes pour des équipes, qui ont montré qu'elles maîtrisaient avec précision les mouvements de leurs véhicules. Néanmoins, il s'agit toujours d'un corps inconnu, il peut donc être accompagné d'un nuage de débris ou d'une lune non détectée. L'approche doit être un parfait équilibre entre le risque et la récompense d'un maximum de découvertes en un minimum de temps. C'est aussi un défi pour les instruments et la programmation, avec une séquence de quelques heures et un maximum d'enregistrements à transmettre ensuite vers la Terre.
Chang'e 2 survole Toutatis le 13 décembre 2012 et s'en approche jusqu'à 3,2 kilomètres. Tout se passe remarquablement bien, et les équipes réussissent quelques jours plus tard à récupérer un maximum de données, en particulier les images du survol. Toutes ne seront pas publiées, en particulier parce qu'elles ne sont pas toutes exploitables. Il ne faut pas oublier que la sonde n'était pas vraiment prévue pour cet exercice.
Néanmoins, c'est un véritable final en apothéose. Cette fois, Chang'e 2 en termine avec sa mission. Les équipes lui cherchent un nouvel objectif à sa portée, mais les réservoirs sont vides, et la trajectoire n'est pas compatible avec autre chose que des observations à très longue portée. La campagne scientifique est d'abord mise en sommeil, puis les communications, à partir de 2014 et avec une très grande distance avec la Terre (200 millions de kilomètres), deviennent erratiques. La mission se termine la même année, dans un silence tout relatif. Mais elle fut une véritable réussite.
Des résultats concluants
En effet, les résultats de Chang'e 2 ont été utilisés de façon approfondie pour l'atterrissage de Chang'e 3, qui fut le premier atterrissage lunaire réussi depuis les missions de l'URSS dans les années 70.
Mais ce n'est pas tout ! Les résultats de ses évolutions autour du point de Lagrange L2 Terre-Soleil ont permis la conception efficace de la sonde relais lunaire Queqiao envoyée en 2018. De plus, les améliorations sur les composants et antennes profitent notamment à la mission martienne Tianwen 1. Un programme graduel et très efficace.